« Le courage de la goutte d’eau, c’est qu’elle ose tomber dans le désert » – Lao She
La philosophie de notre époque consiste en un pessimisme cinglant face à un monde à sec. Tel un désert aride où l’humanité s’est depuis longtemps enfuie, nos esprits ne lui offrent plus qu’une façade de désamour, vidée de beauté et d’espoir, où l’individualisme se conforte et se complait au détriment du vivre-ensemble. Les technologies et le progrès scientifique jouent certainement un rôle dans cette habitude du moindre effort que nous avons fait nôtre et qui, aujourd’hui, va jusqu’à se satisfaire de ne pas prendre la peine d’être heureux, ou simplement optimiste. Car, comme l’écrivait Alain « encore faut-il le vouloir » et notre confort actuel pourrait très bien aller jusqu’à faire de la volonté un effort heureusement contournable.
Il ne suffirait pourtant que de faire renaître ce semblant de volonté pour nous apercevoir que, loin d’être à sec, notre époque est un espoir permanent. Car à tous les coins du monde, au-delà de ce désert que nos yeux s’obstinent à voir, des gouttes d’eau se lancent, jour après jour, à corps perdu, pour l’empêcher de se sécher. Il est vrai que nous n’aimons pas trop en parler. Leur volonté, leur passion, et, surtout, leur anonymat, n’en font pas des sujets « à gros titres » aussi divertissants que le nouvel amour de Marion Maréchal Le Pen ou le débat exaltant sur l’orientation sexuelle de notre nouveau Président. Invisibles, elles passent à travers la passoire médiatique lorsque celle-ci effectue la sélection des informations. C’est qu’elles sont si petites, si fragiles, si peu demandeuses : à quoi bon les porter sur le devant de la scène et leur offrir ne serait-ce qu’autant d’intérêt que la nouvelle tenue de Kate Middleton ? Et pourtant, ce sont elles qui, malgré leur taille microscopique, empêchent le monde de se défaire lorsque ceux qui prétendent changer le monde perdent leur temps derrière de beaux discours tout alambiqués.
Ces gouttes d’eaux, ce sont toutes ces personnes, de toutes générations, de tous les horizons, de toutes les religions, agissant à leur échelle pour maintenir un monde que l’on dit à la dérive. Loin de se satisfaire de l’avenir sombre que nous nous promettons en nous affirmant impuissants, ils luttent pour forger un demain plein d’optimisme. Chaque jour, ils se lèvent dans l’indifférence générale. Et loin de nos foules en quête de célébrité courant les plateaux télévisés pour faire la Une du prochain Paris Match, nos gouttes d’eaux continuent de pleuvoir, inconnues et satisfaites de l’être. Pourquoi leur refuse-t-on le devant de la scène ? A eux qui maintiennent le monde jour après jour, qui, de leurs passions ou de leurs espoirs, n’ont de cesse de renforcer ce que nous détruisons inconsciemment, pourquoi refuse-t-on de les voir davantage ? Il n’y a pourtant qu’en les faisant connaître que nous ferons du désert un océan. En faisant porter leur voix, sûrement sortirions-nous de notre passivité séculaire pour voir l’espoir derrière le gaz de brume que nous acceptons seulement de voir. Lorsque ces gouttes d’eaux seront entendues, qu’elles seront comprises, le moment sera venu de les suivre pour qu’une tornade souffle sur le monde.
Le choix de l’information par nos médias actuels a définitivement un rôle central dans notre pessimisme ambiant et notre doute quant aux capacités humaines. Si ce choix était fait de manière différente, peut-être aurions-nous conscience que nous avons tout à notre portée pour que l’horizon soit optimiste. Partout autour du globe, des gens font des choses. Il ne suffit que de les voir, de les entendre, de les aider, de les suivre enfin. L’humanité ne se portera mieux que le jour où elle s’apercevra du rôle qu’elle est capable de jouer. Certains l’ont déjà perçu. Quel que soit leur âge, quels que soient leurs moyens, ils n’ont pas attendu que leur nom soit connu pour tout quitter et partir au bout du monde, ou tout simplement descendre sur le pas de leur porte pour œuvrer au plus près de leur lieu de vie. D’autres encore s’engagent jusqu’à la mort, osent s’aventurer sur des terres à feu et à sang, un stylo à la main et une caméra dans l’autre. De tous ceux-là, qui leur prête le micro ? Qui leur donne une voix ? « Notre société, écrit Pierre Rhabi, vit dans le divertissement pour ne pas voir la réalité. » Il n’est plus temps que de n’offrir que du divertissement. Aujourd’hui il est temps de donner une place à ces gouttes d’eau qui trouvent le courage de tomber dans le désert pour empêcher que le monde ne se défasse. Le divertissement aussi, d’ailleurs, n’a pas attendu pour servir de nouvelles causes. La Beyoncemania n’a pas empêché Jean-François Bernardini de mettre sa musique au service de la paix, au même titre que la folie Tarantino n’a pas découragé Cyril Dion de militer sur un écran de cinéma.

Nous vivons dans une époque où la norme véhiculée serait de dire « nous avons tout essayé ». Comme si plus rien n’était possible, l’homme du XXIème siècle regarde défiler sur son écran les trains en retard ou accidentés, un Moyen Orient en feu, une politique dépravée, une Terre que l’on démantèle, des enfants mourir de faim aux quatre coins du monde. La solution est-elle de zapper sur NRJ pour oublier notre réalité ? N’est-elle pas plutôt de s’apercevoir que nous avons les solutions à portée de mains et que certains, quelle que soit leur génération, quelque que soient leurs aspirations, quelles que soient leurs passions, ont eu le courage de dire un jour « je ne suis peut-être qu’une goutte dans le désert, mais je prends le risque d’y tomber pour le dessécher ne serait-ce qu’un instant. » Il suffirait parfois de zapper sur une chaine différente. Ou bien que nos JT de 20h laissent de côté leur documentaire sur le prix du foie gras ou le nombre de touristes débarquant à Nice, pour diffuser des images de ces jeunes décidant de tout plaquer pour aider les migrant, de ceux qui défient la justice des hommes pour celle de l’humanité, de toutes celles et eux qui luttent à leur échelle et que personne ne prend la peine de regarder.
Si notre époque est celle qui s’écrie que nous n’avons plus de héros c’est qu’elle refuse uniquement de les voir. Emportée par la médiatisation de masses qui produit de la désinformation au profit de notre dépérissement, elle se détourne de toutes les gouttes salvatrices pour ne regarder, droit dans les yeux, relation passionnée, que ce désert aride que l’on veut bien nous offrir.
En même temps, comment trouver les solutions lorsque la vérité sur notre monde est cachée derrière des informations pesantes de futilité ? Lorsque nos médias nous chantent les louanges des lagons bleus des Maldives où nous rêvons de partir en vacances, n’omettent-ils pas de nous préciser que, de l’autre côté de la plage, la situation des journalistes est telle qu’on les retrouve poignardés dans leur cage d’escalier ? Quand nos médias pondent des études par milliers sur notre propre état d’urgence, fait-on la comparaison avec la situation du Bahreïn où les droits de l’homme sont en recul constant ? Au lieu de nos documentaires à tout va sur la manière de faire les soldes dans notre petit occident, évoque-t-on seulement l’insignifiance des droits de la femme en Pologne ou, plus loin encore, ces fillettes que l’on empoisonne en Afghanistan pour les empêcher de reprendre le chemin de l’école ? Le jugement de Nabila, suivi par les médias les plus « sérieux » il y a quelques mois, n’aurait-il pas plus de succès que le cas de Mathias Depardon, libéré cette semaine, et dont le nom, pour la plupart d’entre nous, n’a qu’une résonnance vague ? Après notre excitation face aux NRJ Music Awards ou à la remise des prix du festival de Cannes, a-t-on longuement évoqué la victoire de Radio Erena au concours One World Media, unique radio indépendante en Erythrée, pays si oublié par nos caméras et qui mériterait pourtant toute notre attention ? Et pendant que nos yeux se reportent sur la mise en examen de Fillon-Catilina, qui s’intéresse aux tribunaux de l’injustice se multipliant au Cambodge, si ce n’est Amnesty International ? Faut-il en ajouter davantage pour comprendre que, emportés par une vague médiatique qui ne nous laisse à voir que ce qu’elle accepte de nous montrer, les priorités de notre époque passent loin derrière nos passions égocentriques et nos amours des futilités. Des futilités qui, souvent, refusent de dépasser les frontières de l’occident.
Il serait temps de se rappeler que le monde n’est pas occidental et que, si notre société est loin d’avoir trouvé l’apogée de la perfection, la réalité qui subsiste ailleurs demande davantage d’attention que nos propres revendications, aussi honorables soient-elles. Il serait aussi temps de noter que, loin du pessimisme ambiant que nous aimons tant mettre en avant, des hommes et des femmes, de tous les âges et de tous les coins du monde, mettent tout leur espoir dans leurs propres actions pour maintenir le monde debout. Certains n’ont pas attendu 2017 pour se mettre en marche ; il est bien dommage que nos médias y aient prêté moins d’attention.
Ils sont des millions, mais ils sont inconnus. Or, parce que nous refusons le maintien d’un constat partiel sur notre monde, parce que nous sommes convaincus que chacun, à notre échelle, nous pouvons être l’un de ces piliers empêchant le monde de se défaire, parce que notre terre est aride mais que nous avons toutes les clés en main pour la ressourcer, nous avons décidé de leur rendre leur nom et de leur offrir une voix. A Combat, nous avons décidé d’aller à la rencontre de ces gouttes d’eau qui, un jour, ont décidé que le monde méritait de se relever et que l’humanité était porteuse d’espérance. Semaine après semaine, nous leur offrirons une page ou une caméra pour qu’à travers nos colonnes, vive l’optimisme que d’autres voudraient nous retirer. Certains noms mériteraient d’être davantage connus que ceux que nous répétons jour après jour. A partir d’aujourd’hui, nous avons décidé de mettre un nom, un visage, un message sur toutes ces gouttes d’eaux qui nous sont encore inconnues. Elle s’appelle Victoria Mandefield et, à 22 ans, a créé un outil de service pour les SDF. Il s’appelle Cédric Herrou, agriculteur de 37 ans, et a été arrêté pour avoir osé apporter son humanité à des migrants. Journaliste indépendante, Juliette Duquesne a décidé d’offrir sa plume à Pierre Rhabi pour porter ses messages d’espérance. Depuis l’âge de 16 ans, Arnault Martin donne des cours de musique gratuitement aux enfants défavorisés. Flore Lelièvre, 26 ans, crée un restaurant entièrement tenu par des trisomiques. Et à tous les coins du monde, certains, du jour au lendemain, quittent loisirs, travail, quotidien, pour s‘engager aux côtés des plus défavorisés. Il est temps que toutes ces voix, que tous ces visages, prennent enfin une réelle importance dans notre société. Ils sont les acteurs d’aujourd’hui, mais les sauveurs de demain.
Alors que depuis quelques mois, chacun semble chercher l’homme ou la femme providentiel.le à travers les élections, nous laissons inconsciemment de côté ceux et celles qui luttent réellement. Non, la politique n’offrira plus d’élu providentiel. Mais notre société civile regorge de héros anonymes qui, à eux seuls, en font bien plus que tous nos dirigeants. Il n’y a qu’en les donnant à voir que notre monde, enfin, pourra avancer. Il suffit de prendre conscience que nous sommes tous des gouttes d’eau.
« Nous réalisons que ce que nous accomplissons n’est qu’une goutte dans l’océan. Mais si cette goutte n’existait pas dans l’océan, elle manquerait. » – Mère Theresa