Le Kurdistan est une Nation, une Nation sans Etat. Il s’agit du peuple apatride le plus nombreux du monde. Géographiquement, les kurdes sont répartis entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Nous sommes allées à la rencontre d’un jeune Kurde demandeur d’asile en Allemagne. Il a accepté de nous parler de son périple mais également de sa vie actuelle, dans le nord de l’Allemagne.
Combat : Bonjour, est-ce que tu pourrais te présenter ?
Mem : Mon nom est Mohamad mais en kurde on dit Mem. J’ai 23 ans et j’étudie la médecine à Ulm, en Allemagne. Je viens du Kurdistan qui est actuellement dans la partie syrienne
C : Depuis combien de temps vis-tu en Allemagne ? Pourrais-tu nous expliquer pourquoi est-ce que tu as quitté ton pays ?
M : Le 06 février 2016, je suis arrivé en Allemagne, il y a donc trois ans. Mon objectif a toujours été de vivre en Europe. D’où je viens, il est difficile de défendre mes propres idées, alors je voulais vivre là où il y a le plus de liberté et de soutien. La vie en Syrie a été très dangereuse pour moi parce que j’étais politiquement actif contre le gouvernement et aussi contre l’opposition islamiste.
C : Que veux-tu dire par-là ? Tu étais engagé politiquement ?
M : J’ai participé à des manifestations et j’ai beaucoup écrit contre le gouvernement.
C : Pourrais-tu nous parler de ton voyage ? Quels sont les pays que tu as traversés ?
M : Ma famille s’opposait à ce que je quitte la Syrie et a accepté sous beaucoup de pression que je demande un visa étudiant et que j’aille en Allemagne pour étudier la médecine. J’avais déjà étudié 3 semestres à Damas. Depuis la fermeture de l’ambassade d’Allemagne en Syrie, j’ai dû faire mon entretien en février 2015 à l’ambassade d’Allemagne à Ankara, en Turquie. Pendant ce temps, de nombreux réfugiés sont venus en Allemagne et les ambassades allemandes ont été débordées. J’ai donc eu de la malchance : l’ambassade n’a pas envoyé de document provenant de mon dossier et l’autorité responsable n’a pas traité mon dossier. Pendant des mois, j’ai attendu en Turquie. Là-bas, j’ai volontairement pris des cours de turc pour ne pas perdre mon temps. Je n’ai pas pu attendre plus longtemps et le 30 janvier 2016, je suis partie illégalement en Grèce via la Turquie. Le voyage était très long : 13 heures en bus, à pied, avec un bateau gonflable à travers une petite rivière et enfin dans un camion pendant quelques heures. Les petits bébés devaient prendre des somnifères pour ne pas crier. Cette nuit a été très dure, je peux vous l’assurer.
C : Du coup, pour toi, l’objectif a toujours été l’Allemagne ?
M : Oui, je voulais aller en Allemagne. Comme je l’ai dit, je voulais vivre en Europe. Mon premier choix était l’Angleterre parce que j’avais étudié l’anglais à l’école mais cela coûte cher d’étudier en Angleterre alors qu’en Allemagne c’est gratuit pour les étrangers
C : Et tu es parti seul pour atteindre ce but ? Toute ta famille est restée là-bas ?
M : Je suis allé seul en Allemagne. Ma famille a des liens très forts avec le Kurdistan et a même eu beaucoup de mal à me laisser partir. Actuellement, toute ma famille vit à Damas à cause de la guerre, mais mon père vit à Raqqa car c’est là-bas qu’il travaille.
C : Tu vis depuis trois ans en Allemagne, as-tu cherché à obtenir le statut de réfugié ?
M : Oui, ma demande d’asile a été rejetée parce que je n’ai pas pu prouver que j’étais personnellement persécuté, non-sens politique. On m’a accordé ce qu’on appelle la protection subsidiaire. Un séjour pour ceux qui viennent d’une zone de guerre. J’ai eu 2 audiences. La procédure a duré environ 5 mois et demi.
C : Je suppose que quand tu es arrivé tu ne parlais pas l’allemand, est-ce que ça a été compliqué de faire ces démarches ?
M : Non, ce n’était pas compliqué. L’Allemagne est un pays habitué à accueillir des réfugiés, mais cet Etat n’avait jamais connu un tel nombre de réfugiés, c’était donc chaotique mais il y avait des interprètes pour presque toutes les langues
C : Comment s’est passé ton arrivée en Allemagne ? Dans quelles conditions as-tu vécu ?
M : J’ai été placé dans un camp d’asile en Bavière. La Bavière est riche et accueille de nombreux réfugiés. Les procédures durent un ou deux ans. En tant qu’étudiant, je ne peux pas perdre autant de temps. Le lendemain, j’ai quitté le camp d’asile illégalement et je me suis rendu dans le Meklenburg-Vorpommern. C’est le moyen le plus rapide. 8 mois après mon arrivée, j’ai pu me décider pour une ville : c’était Greifswald, une ville avec une université près de la mer Baltique.
C : Quel a été est le premier évènement marquant quand tu es arrivé en Allemagne ?
M : « Merde », c’est le premier mot que j’ai prononcé. La nuit, j’ai été hébergé dans un camp de réfugiés, dans une salle avec peut-être 300 lits d’urgence superposés et à côté les uns des autres. Il faisait très sombre et j’ai dû chercher les toilettes pendant longtemps. Nous étions seulement deux personnes là-bas. Comme il faisait froid, j’ai ramassé plusieurs couvertures dans d’autres lits. J’ai regardé autour de moi, je ne savais pas comment continuer, j’ai eu une idée totalement différente, je me suis dit : « merde » et je me suis endormi. Le lendemain, l’employé m’a réveillé et m’a pris les couvertures supplémentaires. Il a dit quelque chose en allemand, probablement : « vous n’en aurez qu’une » ! La salle était pleine de réfugiés. Comment, quand étaient-ils arrivés ? Je ne sais pas.
C : Est-ce qu’il a été difficile pour toi de t’intégrer à la société allemande à Greifswald ?
M : Je n’ai pas eu de gros problème avec l’intégration, je suis probablement très ouvert, flexible et préparé à tout, mais aussi parce que j’ai rencontré des Allemands qui m’ont pris sous leurs bras et m’ont aidé.
C : Et plus globalement, que penses-tu de la politique d’intégration en Allemagne ?
M : Je pense que l’intégration se passe plutôt bien en Allemagne, Mme Merkel et les Allemands ont bien réussi. Cependant, les médias ont ici une forte influence qui peut être négative. Ils se concentrent sur les exemples négatifs et les élargissent. Il y a aussi quelques lois qui ne sont pas en faveur des réfugiés qui sont rejetés. Je pense que ce sont eux qui souffrent le plus de l’intégration.
C : Que fais-tu actuellement ? Es-tu toujours à Greifswald ? As-tu suivi des cours d’allemand ?
M : Chaque réfugié est obligé de suivre un cours d’allemand. Vous pouvez recommencer ces cours si vous échouez. J’ai atteint le niveau C2, ce qui est demandé pour étudier la médecine. Depuis octobre 2018, j’étudie, encore une fois, la médecine à Ulm.
C : Souhaites-tu travailler en Allemagne plus tard ?
M : Ce serait une possibilité mais je dois d’abord faire 6 ans de médecine et 5 ans de formation spécialisée. J’ai encore au moins 11 ans pour me décider.
C : Une dernière question : quel regard portes-tu sur la Syrie ?
M : Bien que j’aie grandi en Syrie et que j’aie un passeport syrien, je ne me sens pas syrien mais venant du Kurdistan. Voilà mon origine et je me battrai jusqu’à ce que le peuple kurde obtienne ses droits.