Un homme et une femme, L’aventure c’est l’aventure, Itinéraire d’un enfant gâté… Le lundi 8 avril, l’école de management et de l’innovation de l’IEP parisien recevait Claude Lelouch dans le cadre des rendez-vous de la création. L’occasion pour le réalisateur à la filmographie colossale de revenir sur son parcours guidé par un mot : la liberté.
« Je suis tombé amoureux très tôt du cinéma. »
C’est l’histoire d’un enfant juif pendant la seconde guerre mondiale. Cachée à Nice, la famille est recherchée par la Gestapo. Pour calmer cet enfant intrépide que rien ne semblait pouvoir calmer, sa mère décide un jour de l’emmener au cinéma. Elle avait alors trouvé « la potion magique. » C’est ainsi qu’à quatre ans, Claude Lelouch passe la majeure partie de son temps dans les salles de cinéma. « Je trouvais que les gens à l’écran étaient les mêmes que ceux dans la rue mais en plus courageux, en plus beaux, bref en plus finis. Et je voulais fréquenter ce monde-là ! » Il passera la guerre caché dans les cinémas, à regarder parfois les mêmes films plusieurs fois à la suite. « J’étais au Paradis ! s’exclame-t-il. On me cachait dans le plus beau pays du monde ! C’est là-bas que je trouvais les réponses à toutes les questions que je ne me posais pas encore. » Il sourit : « je suis tombé amoureux du cinéma et de la vie en même temps. » Voilà que débutait la double histoire d’amour qui a construit le grand réalisateur.
Enfant buissonnier, moyennement intéressé par l’école, le jeune Claude préfère rêver films que rester plongé dans ses cours. Jusqu’au jour où son père déclare que s’il rate son baccalauréat, il lui offrira une caméra. On ne lui fit pas répéter deux fois et, suite à son échec au baccalauréat, Lelouch père est bien contraint de tenir sa promesse. « Cette caméra a changé ma vie. Depuis ce jour-là, je suis en vacances ! » rit Claude Lelouch en rendant hommage à son père, « ce génie ». « La caméra, c’est un troisième œil. On ne voit pas les choses, les hommes, les femmes, de la même manière. »

Premiers pas à Moscou
Claude Lelouch commence sa nouvelle vie en réalisant des reportages journalistiques comme en USA en vrac, Une ville pas comme les autres… En 1957, il entre en URSS et entre au Parti Communiste. Une caméra cachée sous son imperméable, il filme Moscou pendant treize jours. « une expérience qui elle aussi a changé ma vie » confesse-t-il. Son reportage sur la vie quotidienne en URSS, Quand le rideau se lève, lui vaudra en effet de gagner le concours organisé par une télévision canadienne. Il crée alors Les Films 13, sa société de production. Mais ce séjour en Russie lui fit aussi connaître la mise en scène. Alors qu’il converse avec un chauffeur de taxi, celui-ci lui propose de l’emmener dans un studio. C’est ainsi qu’il se retrouve sur le tournage de Quand passent les cigognes de Mikhail Kalatozov. « Le hasard m’a toujours emmené là où l’intelligence n’y aurait jamais pensé, indique-t-il. Le hasard, c’est l’aventure. Il n’y a aucune école du monde qui nous permette de développer notre part d’irrationnel. Pourtant, c’est lui qui a fait de moi un cinéaste. Car sur ce tournage, j’ai compris que le cinéma permettait de réinventer la vie. » La plus grande école du monde selon lui ? « L’échec ! C’est la personne qui m’a tout appris. Avec l’argent, on s’achète uniquement un peu de confort. Avec l’échec, nos plus grandes réussites. » Il conclut : « Je laisse la porte grande ouverte à la vie qui est la plus grande des cinéastes. »
La passion de la curiosité
Durant sa carrière, Claude Lelouch a beaucoup travaillé sur la direction des acteurs. « Je ne crois ni aux héros, ni aux salauds. Dit-il. On peut être les deux à la fois. » Les plus belles scènes de ses films ont été tournées par des acteurs soit très en colère, soit de très bonne humeur : « ils viennent avec leur bagage. » Il mentionne par exemple Annie Girardot qui tourna « la scène de sa vie » dans les Misérables un jour où elle n’avait pas envie de tourner.
« Je fais des films pour les gens qui ont le plus gros des défauts : la curiosité ! » déclare-t-il avant d’ajouter, suscitant les rires de l’assemblée : « Moi-même, je suis une vraie concierge. » Ce curieux de nature porte en lui une passion débordante qu’il envoie au monde à l’aide de sa caméra. « Je m’amuse avec la vie, et grâce au cinéma, je peux partager mon amour de la vie avec les gens. Ni fin heureuse, ni triste, mais de l’espoir. Et l’espoir, c’est un acompte sur le bonheur ! »

Une vie de liberté
« On est dans une société où le succès seul a du succès » déplore Claude Lelouch. « Pourtant, il faut arrêter de comparer les films de riches et les films de pauvres. Il ne faut pas grand-chose pour faire un film. » Une réalité qu’il a pu contourner grâce à sa société. « Après un échec, personne n’aurait plus voulu me produire, alors que j’allais peut-être réaliser un chef d’œuvre. Moi, j’ai passé ma vie à faire des brouillons mais c’est très beau un brouillon ! C’est après chaque échec qu’il y a les plus belles réussites. »
Des acteurs et un Iphone
Loin d’être de la vieille école, Claude Lelouch a réalisé son dernier film à l’aide…d’un simple Iphone. « Je cherchais quelque chose qui ferait qu’un film serait plus qu’un film, que l’on puisse se retrouver réellement à l’intérieur d’une œuvre. J’ai essayé de faire des films avec des parfums de vérité. » Pour qu’un acteur soit spontané, il ne faut pas qu’il soit acteur, explique le réalisateur. Il faut le déstabiliser pour ne pas qu’il reste professionnel. C’est d’ailleurs pour cette raison que celui-ci ne leur envoie leurs scénarios que peu de temps avant le tournage. « La mémoire prend déjà la moitié de l’émotion » commente-t-il. « Dans la vie, on n’a pas le temps de répéter. » Les acteurs, Claude Lelouch les aime d’ailleurs beaucoup. « Un acteur, c’est un enfant qui n’a pas grandi » dit-il. Il ajoute « un grand acteur, c’est aussi quelqu’un de malheureux. Il nous fait cadeau de ses cicatrices, de ses souffrances, de ses échecs, bref, de sa vie. Et ce sont ses cicatrices qui les rendent beaux. » Des caméras cachés pour filmer la spontanéité, un minimum de matériel pour ne pas tuer l’émotion ; telle est la philosophie de Claude Lelouch. « Je n’ai jamais filmé d’aussi près que depuis que je filme avec un téléphone ! »
La modernité du réalisateur ne l’empêche pas de porter sur Netflix un regard critique. « J’ai du mal avec les petits écrans, explique-t-il. La salle de cinéma fait partie du spectacle ! Regardez par exemple, Roma. Sur petit écran, je me suis fait chier ! Puis je suis allé le voir sur grand écran, et en fait c’est un chef d’œuvre ! » Il réfléchit un instant et ajoute : « Le cinéma, c’est la vie en grand. » Quant aux séries, Claude Lelouch y émet également quelques réserves. « J’aime trop le cinéma pour être client, dit-il. Un film de deux heures est bien plus fort. La télévision, c’est la routine, l’habitude. Le cinéma, c’est l’aventure. Je serai malheureux avec les séries ! »
C’était un rendez-vous – Claude Lelouch (1976) from user40114832 on Vimeo.Le cinéma, ce monde sans frontière
« Ce court métrage, c’est le passage dont j’ai le plus honte et dont je suis pourtant le plus fier ! » s’exclame-t-il devant les images de C’était un rendez-vous. Tourné en 1976, le film montre près de neuf minutes de traversée de Paris à grande vitesse, à bord d’une voiture. « C’est la seule cascade qui dure neuf minutes, sans trucage. On grille dix-huit feux rouges et plus de cinq stops. En fait, c’est l’histoire d’un type en retard à un rendez-vous amoureux. Cette course dans Paris, c’est une déclaration d’amour à une femme. »
« Je crois à la force du cinéma : c’est un support extraordinaire où des hommes et des femmes filment des humains. » Aujourd’hui, ce dont on a besoin, c’est d’aller à l’essentiel, ajoute-t-il. « C’est l’absence de règles qui fait la beauté du cinéma. Et ce monde sans frontière, c’est mon pays ! » Claude Lelouch se passionne pour tout, sa caméra aussi. « Si on suit notre intime conviction, on fera les plus beaux films du monde, assure-t-il. Un film réussi, c’est un film qu’on a envie de revoir. Comme les gens. Et comme à l’école, ça commence par une récréation. »
Quant aux amoureux du cinéma qui se rêvent déjà caméra à la main, Claude Lelouch leur fait un clin d’œil : « N’oubliez pas, nos yeux sont les plus belles caméras du monde ! »