HÉBERGER DES MIGRANTS, C’EST POSSIBLE AVEC MIGRACTION 59

La devanture de la maison est quelque peu triste. Une porte blanche et une façade en pierres rouges, typique du Nord. Pourtant, à l’intérieur, c’est tout le contraire. Un grand salon avec cuisine ouverte, une pièce toute en simplicité, mais lumineuse et chaleureuse, à l’image de ses propriétaires. Emilie est assise autour d’une table ronde en vieux bois, au milieu de la pièce, avec son compagnon, Bastien, et Mazareth, l’Erythréen qu’ils accueillent.

Depuis un an, le couple a accueilli, le temps d’un week-end, des migrants de 16 à 36 ans, du Soudan, d’Erythrée, d’Afghanistan, de Libye ou encore d’Ethiopie. « La réalité, c’est qu’il y a une zone de non-droit à Calais. L’aide humanitaire est inexistante, explique Bastien. Avec Migraction 59, nous nous inscrivons dans un cadre légal, un cadre citoyen. Nous n’avons pas de compte à rendre. Nous habitons à 130 kilomètres de Calais. C’est important de faire parti de ce qui se passe, de donner notre contribution. Nous avons une valeur de témoin », ajoute le musicien qui a joué pendant sept ans à Calais avec Clown Sans Frontières.

Accueillir le temps d’un week-end

« Politiquement, la France est en mesure d’accueillir tous ces migrants », s’énerve Bastien. « Ce que je trouve aberrant, c’est qu’en face de la Jungle de Calais, il y a un hôtel Ibis rempli à 100 % par des flics. Les voitures de CRS ne s’arrêtent jamais, le moteur tourne toute la journée », complète le musicien. Pour pallier les manques de l’Etat, le couple en parle autour de lui. « Il faut que l’on ouvre nos portes. Il faut être capable de s’entraider », réplique Bastien. Emilie, ses cheveux bruns attachés en une couronne de tresse, poursuit : « Nous leur devons bien ça avec ce que l’on leur a pris et ce que l’on leur prend encore avec la politique de colonisation. »

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Le logo du groupement citoyen ©Migraction59

Le groupement citoyen Migraction 59 permet d’héberger le week-end des exilés, car il y a « peu de camions qui passent près de la Jungle vers l’Angleterre », explique la jeune femme. « Le temps d’un week-end, on leur redonne de la dignité, de l’humanité », confesse Bastien, un carré de chocolat noir dans la main. « Ils en profitent pour se reposer, pour se doucher, pour avoir internet illimité toute la journée. Nous organisons parfois des rencontres, nous allons au théâtre, nous allons voir des expos, nous jouons au foot. Mais ça dépend vraiment des personnalités. Certains ne vont pas sortir de la journée, d’autres vont jouer avec les enfants », continue le musicien.

Il ajoute : « Les migrants ont une mono-idée : aller en Angleterre. Si nous les accueillons plus d’un week-end, il y a un risque que cela les déstabilise dans leur objectif. » Pour autant, le couple conserve un lien avec eux. « Leur vie, c’est ça », raconte Emilie, montrant un smartphone noir. « Ce que nous leur disons toujours, c’est : « Quand t’arrives en Angleterre, tu nous appelles » », continue-t-elle.

Une ouverture d’esprit

En plus de repratiquer l’anglais, héberger des migrants, permet, notamment pour leurs deux filles, de 4 et 8 ans, d’avoir « une certaine ouverture d’esprit. Même si avoir du monde à la maison peut perturber le cocon familial, nos enfants s’adaptent, rétorque Bastien, Ca leur donne aussi une vision politique. » Tout en souriant, Emilie, raconte une anecdote. « Dès qu’Elisa voit une voiture de police, elle panique « vite cachons-nous, il y a un flic », alors que nous ne faisons rien d’illégal ! » C’est aussi « un lien sacré » qui se créer entre la famille et l’exilé. Ca leur montre qu’ils ne sont pas « rejetés par tout le monde », continue Bastien, barbu et aux cheveux noirs mi-longs.

Lorsque le couple a hébergé Abdi, un Éthiopien, ils ont cherché sa ville sur google maps. « Une ville au sud de la capitale, Addis-Abeba », raconte Emilie, buvant son infusion de thé. « Je lui montre et lui dit qu’il faut cinq jours de voiture pour aller de sa ville en France. Je me souviens encore de son visage, fermé. Il a mis 60 jours à pied, voire 120 avec les pauses. Et là, il voit qu’en voiture, en cinq jours le trajet est réalisable. »

Accueillir, c’est aussi un investissement financier. « Notre facture en électricité a augmenté de 30 euros par mois », témoigne Bastien, cigarette à la bouche. « Nous nous demandons comment c’est possible. « Ah mais si, tu sais, la chaleur, ça leur rappelle le Soudan », ajoute Emilie, au regard bleu clair profond souligné d’un trait d’eye-liner. Le problème de migration et de climat sont liés. »

Avec un anglais approximatif, Emilie s’adresse à Mazareth : « How do you cross Italy to France ? Mountains ? Train ? » Le jeune homme, écouteurs dans les oreilles lui répond : « 196 days to cross Italy-France, by foot, through mountains, during summer. » Mazareth est en «période de transition. Il est « fed up » », raconte la comédienne. L’Erythréen, qui a aussi passé six mois dans une prison aux Pays-Bas, est fatigué d’être baladé d’un pays à un autre. Il est donc en transition car il compte se rendre prochainement à Paris, pour une demande de statut de réfugié. Un regard complice vers Mazareth, Bastien conclut : « Tout est question de chance : Try, chance, try, chance…»

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