Les nouvelles technologies…on en parle beaucoup, on en utilise beaucoup, on les encense et en même temps on les critique beaucoup. Mais alors, comment penser notre relation aux nouvelles technologies ? Pour commencer, abordons la question de la « technologie », plus généralement, et de sa supposée opposition avec la « Nature »
En des temps d’urgence environnementale, la question revient souvent : vit-on avec trop de « technologie », celle-ci nous éloigne-t-elle de la « Nature » en la détruisant à petit feu ?
Je vais vous répondre clairement, en tant qu’écologiste radical et convaincu : non. Laissez-moi donc vous expliquer pourquoi je réponds par la négative à cette question, à laquelle beaucoup de militant.es écologistes répondraient probablement « oui ».

Premièrement, définissons les termes. La technologie, selon le Larousse, est définie notamment comme « Ensemble des outils et des matériels utilisés dans l’artisanat et dans l’industrie » ou encore comme « Ensemble cohérent de savoirs et de pratiques dans un certain domaine technique, fondé sur des principes scientifiques. » La technologie a en fait toujours existé. Si, effectivement, nos ordinateurs sont de la technologie, n’oublions pas que les verres dans lesquels nous buvons le sont également, que les fourchettes avec lesquelles nous mangeons tout autant, ainsi que le papier sur lequel nous écrivons. Ce ne sont pas le même type de technologie, certes. Ils n’ont pas le même impact sur l’environnement, non plus. Mais c’est de la technologie à part entière. On pourrait même parler des ustensiles utilisés par les singes ou les éléphants comme de la technologie à part entière. Chose qui déplaira peut-être aux personnes osant encore effectuer une nette distinction entre « humains » et « animaux », nous ne sommes pas les seul.es à nous servir de la technologie, loin de là. Non seulement la technologie n’est pas quelque chose de propre à la vie moderne post-industrielle, mais elle n’est même pas propre aux êtres humains.
Ce rappel effectué, comment définir « Nature » alors ? Ce terme est prôné de plus en plus, par les écologistes, les réactionnaires ou les homophobes : on nous parle de « retour à la Nature », de ce qui est « naturel » ou pas, mais on sait rarement de quoi on parle. Le Larousse apporte plusieurs définitions : « Le monde physique, l’univers, l’ensemble des choses et des êtres, la réalité » ou encore « Ensemble des principes, des forces, en particulier de la vie, par opposition à l’action de l’homme » et « Ensemble de ce qui, dans le monde physique, n’apparaît pas comme (trop) transformé par l’homme (en particulier par opposition à la ville) ».
Avec tant de définitions différentes, on doit alors se questionner sur la « nature profonde » de ce terme, justement. Et il est intéressant de noter la tendance de l’être humain à s’exclure de la « Nature ». Si la technologie serait quelque chose qui nous « envahit », « là, maintenant, tout de suite », la « nature » serait quelque chose de « loin là-bas, dans le passé » voire « hors du temps ».
Comme si nous ne faisions partie de rien, dans notre petite bulle de béton imaginaire. Pourtant, le béton, nous le récupérons bien à partir de la « nature ». Si on pousse le raisonnement plus loin, le « pétrole » dont sont hélas composés tant d’objets de notre quotidien n’est autre que du résidu de matières organiques vieux de millions d’années. Et que dire des comportements soit-disant « naturels », l’hétérosexualité avant tout ? Un grand mythe qui a été bien utile pour justifier des discriminations et des injonctions, mais qui est en réalité loin d’être la règle parmi ceux que l’on appelle « animaux ».

Mais alors, si la technologie a toujours existé et que la « Nature » n’existe pas, cela signifie qu’on doit arrêter de se soucier de la préservation de l’environnement ? Non, au contraire. Il s’agit avant tout de sortir de cette dualité, de cette binarité qui oppose l’être humain aux « animaux », la technologie à la « Nature », l’harmonie supposée de cette dernière au désordre humain. En réalité, le monde du vivant est désordonné, même chaotique. La notion d’« harmonie naturelle » nous éloigne de l’environnement plutôt qu’elle nous en rapproche. Elle nous fait croire que nous en sommes séparés, alors que nous faisons partie de ce monde, que nous en sommes des acteurices au même titre que les autres êtres vivants. Il s’agit plutôt de voir à quel point nous sommes semblables à ces autres êtres, et en même temps à quel point nous sommes toustes différent.es.
Cette destruction du mythe de la « Nature » doit donc se faire en même temps que cette prise de conscience, pour qu’on commence enfin à prendre la mesure du rôle qui est le notre, un rôle qui ne doit pas être paternaliste mais qui doit prendre en compte l’interconnexion entre les êtres et entre les choses.
C’est pour cela que la technologie n’est pas à jeter dans son ensemble. L’abus d’une certaine technologie est néfaste pour l’environnement, pour le monde du vivant, pour nous, aussi, puisque nous faisons partie de tout ça. Nous ne sommes pas sur notre petit « cloud ». Il faut alors commencer à se poser des questions sur son utilité, sa finalité, le but de celle-ci. La surconsommation des nouvelles technologies est à questionner en profondeur. Pourquoi avons-nous « besoin » de tous ces ordinateurs, ces smartphones, ces enceintes connectées ? Quel est leur impact concret sur le monde (et donc sur nous) ? Ce sont des questions auxquelles nous essaierons de répondre dans des articles successifs.
Car il ne faut pas oublier que la technologie est aussi un moyen de lier les êtres entre eux, en plus d’être indispensable à la survie des êtres vivants. C’est finalement les nouvelles technologies qui nous permettent de prendre la mesure de la situation environnementale dans laquelle on se trouve ; ce sont elles qui permettent également d’envisager avec plus de clarté le monde, l’univers. Ce qui n’est pas forcément plaisant, mais nécessaire.

Alors, arrêtons d’opposer technologie et « Nature ». Bannissons le second terme et redonnons un sens au premier. La technologie est nécessaire, et pas naturelle. Mais ce n’est pas grave, puisque rien n’est naturel. La technologie se doit, alors, d’être un outil de découverte, de prise de conscience éclairée, d’avancée sociale, et elle doit cesser d’être un instrument au service de la publicité, du capitalisme et du contrôle des citoyens. Elle doit permettre de sauvegarder le monde du vivant, en utilisant la capacité de réflexion de chaque être. Au lieu de se faire exploiter par elle, nous devons nous en servir avec clairvoyance et mesure, pour qu’elle mette un terme à l’exploitation.
Pour plus d’informations sur le sujet, le livre « La Pensée écologique » de Timothy Morton apporte un point de vue très intéressant.
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