Avertissement : Avant de crier au communautarisme, merci de prendre le temps de lire cet article jusqu’au bout.
Qu’est-ce que la non-mixité, tout d’abord ? Il faut distinguer la non-mixité subie, c’est-à-dire celle qui est imposée par les personnes qui dominent, de la non-mixité choisie, à savoir la décision prise par une minorité opprimée de se réunir. Il est ici question de la non-mixité choisie, et de son utilité en tant qu’instrument de lutte.

Cette non-mixité désigne le fait de se réunir uniquement entre personnes concernées par une oppression systémique, à savoir racisme, sexisme, homophobie, validisme, etc.
Elle a plusieurs intérêts, comme celui de permettre à des personnes partageant le même vécu d’échanger sur leurs expériences et leur ressenti ou de libérer une parole qui ne serait pas nécessairement entendue en présence de personnes non opprimées/qui oppriment. Pour prendre un exemple concret : des personnes ayant subi des violences sexuelles se réunissent et abordent des sujets qu’il leur serait encore moins facile d’évoquer en présence de personnes n’ayant pas des vécus similaires, voire en présence de personnes pouvant potentiellement être des agresseurs. Malgré toute la bonne volonté et la compassion du monde, rien ne remplace le partage de la même expérience, de difficultés semblables, etc. N’oublions pas que la non-mixité est un instrument de lutte parmi d’autres. Une fois les problèmes mis au jour, il est plus facile d’en parler à des personnes n’étant pas directement concernées et d’expliquer.
Malheureusement, cette question de la mixité ou de la non-mixité pose question, même dans les milieux militants eux-mêmes. Au lieu de parler des sujets de fond, on passe des heures à débattre : qui peut venir ? qui peut parler ? qui est légitime sur tel ou tel sujet ? Chose encore plus triste, les événements pointés du doigt en raison de leur non-mixité auraient bien souvent été non-mixtes dans les faits, même si la non-mixité n’avait pas été spécifiée : que les hommes blancs ayant voulu assister au festival Nyansapo organisé par le collectif Mwasi l’été dernier (avant le début de la polémique) me jettent la première pierre. Une fois la non-mixité pointée du doigt, c’est le drame : pourquoi les personnes non racisées ne pourraient-elles pas venir elles aussi ? En effet, prendre ses distances face à la classe dominante ne se fait pas facilement, ladite classe dominante voulant savoir de quoi il est question. Contrairement à ce qui se dit, on ne se rassemble pas seulement pour fomenter des complots et autres coups d’Etat ; n’en déplaise à celles et ceux qui craignent l’abolition du patriarcat ou le grand remplacement.

On reproche donc à la non-mixité de créer un entre-soi. Mais c’est justement son but : offrir un espace à des personnes pour qu’elles puissent parler entre elles. Parce que le problème principal est que les personnes revendiquant cette non-mixité sont bien souvent celles qui n’ont pas souvent l’opportunité d’être entendues. Pour reprendre l’exemple des victimes de violences sexuelles, leur parole est bridée : entre manque d’écoute, quête acharnée de preuves et culpabilisation, peu nombreuses sont les personnes qui fournissent une écoute véritable et bienveillante.
Evidemment, ce n’est pas le cas de tout le monde (et heureusement). “Oui mais moi […]”, disent les autres. Certes. Une bonne partie des hommes ne veut pas du patriarcat, une bonne partie des blanc·hes ne veut pas du racisme systémique. Mais il n’est pas question de vous. Acceptez d’être (temporairement) laissé·e de côté, muselez votre ego et laissez les personnes concernées déterminer ce dont elles ont besoin. Un·e allié·e bienveillant·e, c’est aussi et surtout quelqu’un qui accepte d’écouter pour comprendre, et si l’on dit que la non-mixité est un outil dont on a besoin … eh bien, pourquoi serait-ce faux ? Au lieu de clamer à grands cris que c’est du sexisme inversé ou que l’on ne fait que “reproduire les injustices dans l’autre sens” (ce qui est absurde) … acceptez de faire un pas de côté et de laisser parler les personnes qui n’ont pas l’occasion de le faire. Lisez, relayez, soutenez, mais par pitié, ne mettez pas votre propre ego sur le devant de la scène ; ce n’est pas le propos. L’objectif des personnes en faveur de la non-mixité n’est pas de vous nuire à vous, personnellement. Bien plus que cela, l’objectif est de réduire les oppressions systémiques et de faire avancer la lutte.

Image à la Une © Nina Pelé pour Combat et Combat-Jeune
