Il s’est fait connaître en créant un personnage minuscule à la renommée aujourd’hui mondiale, Timothée de Fombelle a sorti en 2017 son roman pour adultes, Neverland. Un roman « à la recherche de l’enfance« , où l’auteur, déroulant son histoire comme un poème, emporte ses « grands » lecteurs sur les ailes du rêve. Nous avons eu la chance de le rencontrer dans son atelier pour parler littérature, enfance et personnages miniatures !
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
J’ai commencé à écrire des pièces de théâtre pour ma famille à 10-12 ans et j’ai très vite compris que là où je pouvais apporter quelque chose, c’était l’écriture. A cette époque, on a monté une petite troupe de théâtre où je m’occupais du scénario car je trouvais qu’il y avait la part la plus excitante et la plus libre, parce qu’on travaillait une matière qui est faite d’encre, sans limite, où on raconte nos histoires. J’ai commencé à l’échelle de ma famille, à écrire pour les autres, puis je me suis amélioré en continuant. J’ai réalisé un spectacle en pleine campagne dans un village avec mes cousins, j’ai pris goût à cela. J’ai vraiment commencé par le théâtre, et le roman est venu beaucoup plus tard dans mon parcours. J’avais l’impression d’être un vieil auteur, d’être intimidé par les romans. J’ai compris que ce serait difficile de vivre du théâtre et je suis devenu enseignant de français au collège, mais très vite j’ai décidé de prendre tous les risques, de lâcher l’enseignement et de faire de l’écriture mon métier.
Pourquoi avez-vous essentiellement écrit des livres pour enfants ?
En quittant le théâtre, j’avais une histoire en tête que je ne pouvais pas raconter dans un théâtre, celle d’un petit personnage nommé Tobie Lolness. Je sentais qu’il fallait que je trouve une autre forme pour le raconter, et c’est celle du roman qui me semblait idéale. Le roman pour la jeunesse était le lieu dans lequel je sentais que je pouvais me lâcher, y aller franchement. J’aimais l’écriture car c’était une liberté de rêver et de construire des mondes, ensuite j’ai aimé la littérature jeunesse parce que par rapport à la littérature adulte il y avait encore plus de liberté, c’était la possibilité d’écrire en dehors des genres. Je voyage beaucoup à travers le monde car mes livres sont traduits en 30 langues dans plusieurs pays. Je cours après mes héros. Par exemple je pars bientôt en Italie, puis en Russie. J’essaye au maximum d’aller à la rencontre de mes lecteurs.
Aimez-vous voyager ?
Oui, mais je suis assez sédentaire et j’aime m’installer, vraiment. Mais j’adore voyager, et d’ailleurs mon roman Vango est beaucoup lié au voyage. Mais j’aime surtout les rencontres que je fais. J’ai écrit Vango avec tout ce qui m’avait manqué dans Tobie… Je cherchais cette possibilité de parler de plein de choses dont je n’avais pas pu parler dans Tobie, et j’ai pris mon temps car ce dernier avait eu un gros succès et je savais qu’on m’attendait au tournant. Je n’étais pas sûr de rencontrer le même succès donc j’ai mis quatre ans pour l’écrire .

Est-ce qu’il vous arrive de ressentir une certaine pression par rapport au succès de vos précédents livres ? Avez-vous peur ne pas réussir à satisfaire vos lecteurs ?
Oui c’est sûr, mais il se trouve que ça correspond à mon état d’esprit qui est d’essayer d’emmener mes lecteurs avec moi. Pas simplement parce que j’ai d’autres choses qui l’ont emporté, qui l’ont réjouit avant et que là, je veux faire aussi bien. Mais aussi simplement parce que dès mes premiers livre j’avais déjà cette idée de les emporter avec moi. C’est vrai qu’il y’a une pression que j’essaie de faire retomber artificiellement en me disant que de toute façon si ça ne marche pas c’est déjà bien. Il y a une économie du livre, pour l’instant l’éditeur me chouchoute parce que je vends beaucoup. Mais je ne suis pas sûr que cet amour soit complètement désintéressé et que le jour où je ne vendrai plus aucun livre mon éditeur m’aimera toujours autant. Donc il y a cette fragilité là, mais moi elle me motive.
Avez-vous eu des mauvaises expériences avec les maisons d’édition ?
J’ai plutôt vraiment été très gâté, je n’ai pas eu un livre qui s’est planté. Pour mon premier roman ça c’est passé assez miraculeusement : je ne l’ai pas envoyé à toutes les maisons d’éditions, seulement à Gallimard Jeunesse. J’ai reçu un coup de téléphone me disant qu’ils souhaitaient vraiment me publier. Il y a eu un grand coup de coeur et une vrai complicité avec l’équipe de Gallimard. J’ai de très bonnes relations avec ma maison d’édition, et c’est très important car je n’ai pas de patron, je n’ai pas de collègues et ça me permet aussi de rythmer ma routine. Le plus fou c’est que j’ai écrit Tobie Lolness sans penser qu’un jour je serai à Hongkong ou à Rio pour parler de ce livre. Je l’ai écrit au plus près de moi, autour de ma vie, de ce qui me passionne… donc ce n’est pas loin d’un conte de fée cette histoire.

Est-ce que vos romans parlent aussi de vous ?
C’est drôle parce que je partais dans l’imaginaire pour justement éviter de faire ça . Je me disais qu’en parlant d’un peuple d’un millimètre et demi qui vit dans un arbre au moins je ne risquai pas de parler de moi. Mais en fait on ne peut pas éviter de parler de soi. On ne le fait pas directement, mais on parle de son histoire, on se cache un peu dans tous les personnages et on recycle toute sa vie. C’est-à-dire que la matière première de l’écrivain c’est sa vie, le livre qu’il a lu il y a trois jours, les rencontres qu’il a faites, l’état d’esprit dans lequel il est… Tout ça influence l’écriture car notre écriture est faite de nous.
Quand vous dites dans Neverland que vous cherchez l’enfance, l’avez-vous réellement « cherchée » ?
Oui je l’ai vraiment cherchée , je ne savais pas où j’allais, contrairement à mes autres romans où j’avais tout planifié. Pour Neverland, je n’avais pas de GPS, je recherchais mon enfance, j’essayais d’aller au plus près de celle-ci sans savoir ce que j’allais y trouver et c’était nouveau dans ma manière d’écrire. J’ai même trouvé que c’était aussi assez vertigineux et éprouvant pour moi. J’ai essayé de remonter les traces de mon enfance pour aller au plus près du réel. Quand j’ai fait lire le livre à ma mère elle a d’ailleurs dit “ Tu as gardé les clés de là-bas, de ton enfance …”
Avez-vous trouvé cela plus dur d’écrire un roman pour adulte que pour enfant ?
Oui, j’ai trouvé que c’était un réel défi. On voit en ce moment des images des grandes tempêtes qui passent dans les caraïbes, et bien moi j’étais, en quelque sorte, là dedans. J’étais secoué, pas déraciné parce qu’au contraire je cherchais mes racines, mais secoué de tous côtés. Je m’étais dit que je ferais ça rapidement, en 3-4 mois et qu’ensuite je passerais à autre chose. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça, pendant 2 ans j’y ai travaillé, malgré que ce soit un tout petit livre. Mais j’ai trouvé ça peut être plus difficile que d’habitude, oui.

Pourquoi avez-vous choisi de traiter ce sujet ?
Je crois que j’avais besoin de refermer quelque chose, j’avais une sorte de fuite permanente avec les personnages de mes romans et je me disais “mais vers quoi courent mes personnages ?”, parce qu’ils n’arrêtent pas de courir, même sur les couvertures ! Et donc j’avais besoin d’expliquer la source de tout ça, et la source c’est l’enfance, et c’est ça d’ailleurs qui a nourri tous mes précédents romans. Je pense que c’est de là que m’est venue l’envie d’écrire ce livre-là, l’idée de refermer un cycle.
Etes-vous en train d’écrire un autre livre en ce moment ?
Oui, je me ballade beaucoup avec Neverland en ce moment car c’est la rentrée littéraire, mais j’ai une histoire qui est en moi, qui déborde complètement et qu’il faut que j’écrive, je ne peux pas faire autrement ! C’est une grande aventure à travers l’Atlantique, l’histoire d’une petite Africaine qui va traverser la piraterie, l’esclavage et bien d’autres péripéties. À nouveau je repars dans de grandes sagas, assez loin de moi là aussi…
Comment écrivez-vous et qu’est-ce qui vous aide à écrire ?
Tout d’abord un lieu, avoir un lieu pour écrire ça m’aide beaucoup. Pouvoir arriver ici et faire comme si c’était un atelier où je faisais du travail manuel. Mon instrument de travail principal c’est le temps, et c’est ce qui est très difficile à avoir car le rythme ne s’arrête jamais : on est très sollicités en tant qu’ auteurs. Il y a des moments où je me fais une grande croix dans mon agenda sur une journée pendant laquelle je n’accepte rien et où je me réserve pour écrire. Mais le plus important reste l’étincelle, l’envie de raconter l’histoire, j’ai besoin qu’il y ai une urgence à la raconter.

Qu’est ce que vous aimez dans l’écriture ?
Je crois que ce que j’aime dans l’écriture c’est que ça permet de rendre la vie plus intense, plus belle… et tout ça avec presque rien. J’adore la pauvreté des moyens nécessaires pour écrire, et malgré tout on va pouvoir faire pleurer, rigoler, accrocher les lecteurs et provoquer des émotions.
En tant qu’écrivain, qu’est ce que ça vous fait le fait que les livres papiers disparaissent ?
Je trouve qu’il y’a quand même une fidélité de la part des lecteurs qui sont généralement contents de les avoir en vrai. Je suis assez optimiste sur le livre parce que je crois qu’il ne se démodera pas. Il y a quand même des moments où le livre est au milieu de la vie des gens. Je sais que les jeunes lecteurs ont avec les portables etc, tellement de choses qui peuvent les sortir de la lecture qu’il faut que je les accroche et les attrape, que je les garde avec moi. Cela me pousse à être diabolique dans ma manière de raconter les histoires, et ça c’est stimulant
Si vous aviez des conseils pour les jeunes auteurs, qu’est-ce que ce serait ?
Pas évident de trouver des conseils réellement utiles ! Je leur dirais de se faire confiance, avoir confiance en son propre univers et aux autres. Il faut oser faire lire aux autres et écouter leurs conseils.
Est ce qu’il y’a des moments où vous vivez l’écriture comme une contrainte ?
Il y a des courts moments où je me dis “ mais qu’est ce que fais là ?”. C’est un peu comme mes personnages c’est à dire que je suis avec Tobby, avec Vango et je suis dans une impasse créative, je me dis que mon personnage doit aussi se demander où il est. L’écriture c’est bâtir sur du vide donc parfois on ne sait plus par où commencer. Mais j’écris toujours dans une énergie, d’enthousiasme et de plaisir. Pour moi s’il y a du plaisir à écrire il y aura forcément du plaisir à lire.
Est ce que à travers vos livres, même ceux pour enfants, vous essayez de faire passer un message ?
Oui, il y a des messages mais je ne les écris jamais pour cela. Comme ces livres me ressemblent, ils ont les mêmes combats que les miens, donc forcément il y a des messages qui passent. Mais ils passent dans le courant de l’aventure, dans le courant de l’histoire…
Pour finir, est ce que vous pourriez juste nous parler un peu de vous, de ce que vous aimez ?
Ce que j’aime énormément, et c’est ce qui me repose de l’écriture, c’est le travail manuel, peut être parce que l’écriture est quelque chose d’assez abstrait et ça me fait du bien. Cet atelier par exemple je l’ai vraiment fabriqué de mes mains. J’aime aussi beaucoup cuisiner, c’est avant tout une passion. Je suis architecte, on le sent un peu dans mes livres car je décris beaucoup de bâtiments et lieux. Dans mon caractère j’ai un côté très passionné, j’essaye de tout faire à fond et de faire les choses biens. Je suis donc très perfectionniste dans le genre. J’ai un goût pour m’enraciner dans les endroits et à m’y attacher.

Interview réalisée par Fanny Lardillier et Lucie Pelé
Image de couverture : lalibre.be