La République en Vert

La phrase est de la bouche d’un Prix Nobel manqué, un philosophe du bonheur musical brièvement remercié par Stockholm en 1958. A cette époque, le violoncelliste Pablo Casals est autant connu pour sa résistance face à la vague dictatoriale que pour ses talents de musicien. Dès 1933, il refuse catégoriquement de jouer pour l’Allemagne. Quelques années plus tard, alors que l’Espagne s’enflamme, il soutient publiquement les républicains espagnols et s’engage contre le pouvoir de Franco. C’est en exil, au cœur de la guerre civile de son pays, que Pablo Casals s’exclame alors : « la situation est sans espoir, et maintenant on passe à l’étape suivante. »

Près d’un siècle plus tard, la France aussi décide de « passer à l’étape suivante. » Il est vrai que la configuration n’est pas la même. Entre la guerre civile et la guerre écologique, les enjeux ont cependant pour point commun leur taille démesurée et l’avenir de l’humanité. La situation sans espoir désignait davantage ce « monde inquiétant » décrit par Rachel Louise Carson, auteure grandiose et encore une fois trop peu lue, l’une des premières à tirer la sonnette d’alarme occidentale sur l’écologie en 1962 : « Dans cet univers, la forêt enchantée des contes de fées laisse place au bois sombre où il suffit de mâcher une feuille, de sucer une goutte de sève pour être foudroyé. C’est un monde où la puce meurt d’avoir mordu le chien, où l’insecte est asphyxié par l’arôme de la plante, où l’abeille rapporte à sa ruche un nectar empoisonné, et fabrique du miel vénéneux. » lit-on dans Silent Spring.

Prise de conscience soudaine ? Compréhension des alertes scientifiques ? Lucidité née d’une époque confinée ? Face à l’approche crescendo de ce « monde inquiétant », il semblerait que l’hexagone se décide peu à peu à sauter le pas. Attention à ne pas transformer une avancée en mirage.

Rachel Louise Carson © Archives DR

« Un jour historique pour l’écologie »

Bordeaux dite « la Conservatrice », Marseille, Lyon, Toulouse, Strasbourg, Poitiers, Annecy, Colombes… En France comme à l’international, la presse salue l’arrivé d’une marée verte dans les grandes villes métropolitaines. Qui aurait pu prévoir, il y a encore quelques mois, le sursaut écologique qui se prit hier à repeindre la carte du pays ? « Lyon avait rendez-vous avec l’Histoire » s’écrie Grégory Doucet, « nous avons réveillé Poitiers » lui répond Léonore Moncond’huy.

Comme il fallait s’y attendre, sur les plateaux de télévision, absolument tout le monde a gagné. Le Rassemblement National cache sa déception derrière son éclatante victoire à Perpignan, le parti présidentiel affirme nonchalamment que « tout va bien, le Président contrôle la situation » tandis que la droite desserre la cravate en martelant qu’elle « détient tout de même les clés de plus de la moitié des villes de France. » L’objectif est le même : nuancer le sourire de Yannick Jadot qui au fur et à mesure de la soirée électorale n’a de cesse de s’étendre. De l’autre côté de la scène, les contre-analyses tragiques décryptent d’ores et déjà « cette victoire à minimiser » en pointant du doigt la principale victime de ces élections, étoile montante de ces dernières années : l’abstention. Sur fond de coronavirus encore bien présent, le taux d’abstinence frôlant les 60% était plus prévisible que les scores d’EELV. L’analyse peut tout aussi bien être tirée dans l’autre sens : les électeurs et électrices se sont peu déplacés, mais leur déplacement s’est fait dans une ambition bien précise ; il s’agissait de tourner une page du paysage politique français. Car les perdants de ces municipales existent : la démocratie dans une certaine mesure, le parti présidentiel sans doute, et, parce qu’il faut bien l’évoquer, la distanciation sociale évincée par les bains de foule. Mais la prise de conscience environnementale n’est pas l’unique avancée politique teintée d’optimisme. De la Réunion à Paris en passant par Marseille, Nantes ou encore Strasbourg, elle a également laissé les portes de grandes villes aux femmes, une première dans l’histoire de la Ve République.

Vers la fin de la frilosité écologique ?

Dans son Requiem pour l’espèce humaine, le philosophe australien Clive Hamilton se penche sur les raisons du climatosceptisme. En comparant la situation environnementale à la conception de notre propre mort, il explique comment une « vérité dérangeante » est ignorée par la population car trop difficile à accepter. Mais dans le cas de l’écologie, la politique menée par les gouvernants, les industriels, voire les journalistes, nous conserve dans cette frilosité écologique en nous maintenant dans un système basé avant tout sur une croissance « nécessaire. »

Alors que penser de ce soudain revirement de l’opinion publique ? Après plusieurs semaines de confinement, la population a assisté à la désacralisation de la croissance. Si les pouvoirs publics nous ont assuré pendant des années que non, « la croissance ne peut pas s’arrêter », l’arrivé du coronavirus a bien prouvé le contraire. Non seulement une grande partie du pays s’est mise sur stop, mais nous avons assisté à une chute impressionnante du pic de pollution ainsi qu’à un regain d’intérêt pour les activités alternatives plus proches de la consommation locale et de l’environnement. A l’heure du déconfinement et de la reprise programmée de la canicule, alors que les débats sur la 5G s’accumulent et que la centrale de Fessenheim vit ses dernières heures, de nombreux citadins ont même fait le choix de ne pas retourner dans leur ville encombrée. Fallait-il un virus, microscopique mais destructeur, pour franchir le pas ? Allons-nous enfin remettre en question notre vision de la civilisation et du bonheur fondée sur le confort et la consommation, rejeter cette idée fausse que « l’écologie est un truc de riches » alors qu’une vraie politique écologique réduirait justement les écarts économiques et sociaux?

Une chose est sûre : après leur essai européen, les Verts s’inscrivent dans l’Histoire. En les portant à la tête de nouveaux exécutifs, la population française a su montrer que l’écologie a également sa chance en passant par la case démocratique.

L'écologiste Grégory Doucet remporte la mairie de Lyon au deuxième tour des municipales, le 28 juin 2020
Grégory Doucet, nouveau maire EELV de la ville de Lyon © JEFF PACHOUD / AFP

 

Des défis sur un court terme

A deux ans des prochaines élections présidentielles déjà regorgeantes d’enjeux, l’agenda des maires fraichement élus est bien chargé. Comme l’écrivait encore Rachel Carson, « le temps est l’ingrédient essentiel ; mais, dans le monde moderne, il n’y a pas de temps. » C’est bien dommage, serions-nous tentés de lui répondre. Maintenant que les centres urbains peuvent être tenus par une force verte, les défis en vue de 2022 sont nombreux. Il s’agit d’abord de réunir, non seulement la population mais également les forces politiques alliées afin de repositionner une majorité autour de la question environnementale. Gare cependant aux alliances «de mode » : lorsque les chefs de partis affirment vouloir « se réapproprier » les discours écologistes pour « rester groupés », le choix des termes n’a déjà plus l’odeur de l’intégrité politique. Ensuite évidemment, lancer une politique urbaine inédite et durable, la plus fidèle possible aux programmes qui ont su convaincre les Français, afin d’entrer réellement dans une phase écologique qui ne peut plus attendre. Enfin, il faudra convaincre la partie encore dubitative de la population en assumant les compétences d’EELV non seulement sur sa politique économique mais aussi, puisqu’elles existent, d’un point de vue social, solidaire et paritaire. Les réflexions menées par le parti sur la réduction des inégalités scolaires et le décloisonnement des quartiers populaires sont déjà des initiatives à prendre en considération.

Deux ans pour écrire la suite de l’Histoire à l’encre verte, avant les prochaines décisions citoyennes. Alors qu’Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui les 150 membres de la convention citoyenne pour le climat et promet un discours offensif sur l’écologie, la France, elle, prend déjà la main verte. Mais si la balle est désormais dans le camp du pouvoir, ne perdons tout de même pas de vue l’importance de nos gestes individuels.

La phrase est de la bouche d’un Prix Nobel manqué, un violoncelliste ouvert sur l’avenir et prêt à voir les merveilles du monde jusque dans les situations les plus instables. Entre deux notes, Pablo Casals murmurait parfois « tu dois œuvrer – nous devons tous œuvrer – pour ce que monde soit digne de ses enfants. »

 

A la Une © Combat et © JEFF PACHOUD / AFP

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