Lettre à Pablo Barrile

Pablo,

Alors que je t’écris ces premiers mots, je m’interroge : as-tu déjà essayé de composer une mosaïque ? Que celle-ci soit faite de céramique, de pierres ou de verre, son processus reste toujours à peu près le même. Il est long et fastidieux. Cela pourra paraître un peu étrange, mais il me semble qu’au fond, sans le savoir, nous nous sommes tous·tes déjà attelé·e·s à cette tâche. Oui, je crois que chacun·e d’entre nous sommes les artisan·e·s de notre propre mosaïque. Des mosaïques de souvenirs et d’expériences. Des tesselles de parfums, de goûts et de lieux. Aussi, je ne te connais pas encore très bien, Pablo, mais si je devais décrire une partie de ta propre composition, de ta propre mosaïque, je crois qu’on y retrouverait, pêle-mêle, les fragments de longues soirées d’été, les reflets du soleil de Calabre, où tu es né, de la fureur de l’Etna, près duquel tu as grandi, de l’air des montagnes, qui t’ont entouré toute ta vie. On y retrouverait aussi tes vieux carnets griffonnés, tes bijoux glanés, peut-être même des arancinis, et, certainement, quelques-uns de tes articles sur l’écologie. Les mots, que tu alignes au travers de tes poèmes et de tes textes pour Combat, seraient, eux, comme l’enduit de tout ça.

Lorsqu’on s’est appelés l’autre soir, tu m’as confié qu’entre ton père agronome-apiculteur-chanteur et ta mère journaliste-entrepreneure bio, au croisement de son roman et de l’amour de ta grand-mère pour les livres, tu avais toujours baigné dans l’art. Ta soif de trouver les bons mots, ton besoin d’explorer les non-dits ; tout cela paraissant limpide, désormais. Mais, pour être honnête, je ne savais toujours pas bien par où commencer. Alors, à défaut de trouver comment t’écrire, j’ai décidé d’écouter. J’ai cherché le nom du groupe que ton père avait formé dans les années 80, et j’ai cliqué sur la première chanson qui m’a été proposée. Elle s’appelait « Mokarta ». Et tu veux que je te dise, Pablo ? Elle était exactement comme je l’avais imaginée : éclatante de soleil et de mélancolie tout à la fois. Débordante de ton Italie natale. Je ne parle pas un traitre mot de sicilien, mais sur ces quelques notes, j’ai compris ce que tu avais essayé de me dire, cette fois-là. J’ai imaginé les soirées passées à écouter les chansons de ton père, le temps écoulé dans leur exploitation agricole, à lui et à ta mère, le bout de ta Sicile que tu as quitté pour la France, seul, à tes quatorze ans. Et j’ai pensé que, quelqu’un qui avait eu le courage de changer de vie aussi jeune, quelqu’un qui, aujourd’hui, rêvait de quitter Bordeaux pour retrouver les ciels étoilés et danser jusqu’au bout des montagnes, devait forcément aimer les lettres. Je me suis dit que toi, qui m’avais laissé entrevoir quelques reflets de ton intimité, il fallait absolument que je t’écrive dans une lettre.

Quand je t’ai demandé ce pourquoi tu voulais qu’on se souvienne de toi plus tard, tu m’as répondu que tu rêvais d’écrire un livre. Un livre qui laisserait le souffle court. Je t’ai demandé si tu savais ce que tu voulais y raconter, et tu m’as dit que non, que cela viendrait avec le temps. Quand tu aurais appris « plus de choses », que tu aurais eu « plus de retour » sur toi-même. Alors là, ton bouquin serait bouleversant. Et moi, j’ai souri. En une phrase, tu venais de résumer le cheminement de tes choix : ta décision de quitter l’Italie, celle d’étudier les sciences politiques, puis de t’embarquer dans des études de genre. C’était comme si tu avais consciencieusement essayé de comprendre des systèmes, avant d’y chercher ta propre place. Comme si, depuis toutes ces années, tu te préparais à l’écrire, ce livre.

Aussi, Pablo, j’ai une faveur à te demander. Peu importe le nombre de personnes qui t’ennuieront, te questionneront, ne comprendront pas, s’il te plaît, continue. Continue à danser comme un fou pour te sentir vivant, à te retrouver dans l’immensité des massifs, à essayer de te connecter au reste du monde par tes mots et tes lignes. Car, si je n’en sais pas encore long sur la vie, Pablo, je suis néanmoins  convaincue que chaque esprit qui essaye de déchiffrer le monde, le plus sincèrement et le plus passionnément possible, est un esprit précieux. Un esprit qui, un jour, sera à même d’écrire un livre. À couper le souffle.

À toi, et à tous·tes les Combattant·e·s qui, à leur manière, essayent d’en faire autant.

Clara

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