Ce 6 août 2020 a eu lieu l’enterrement de l’ex-députée et avocate Gisèle Halimi. Figure incontournable du féminisme du XXème siècle, combattante contre les injustices depuis son enfance sur le sol tunisien jusqu’à ce 28 juillet 2020, le lendemain de ses 93 ans, Gisèle Halimi a désormais rejoint bien des membres des 343 signataires de 1971. Combat propose un retour sur cette pionnière de l’adaptation de l’Interruption Volontaire de la Grossesse.
La première idée qui m’a traversé ce 28 juillet 2020, en apprenant la mort de Gisèle Halimi, est que je n’ai incontestablement jamais été autant « convaincu » par le féminisme par quiconque autre que cette si grande femme désormais disparue. Non pas que le combat en faveur de l’égalité hommes-femmes ne m’aurait jamais intéressé sans son existence, mais plutôt que jamais je n’ai autant ressenti la nécessité de m’intéresser à cette lutte qu’en suivant son histoire, qu’en lisant son œuvre. Mais surtout, rares sont les personnalités féministes célèbres qui m’ont semblé autant ancrées qu’elle dans un mode de vie qui implique directement le féminisme. Puisqu’en effet, c’est dans sa vie personnelle que les engagements de Gisèle Halimi puisent avant tout leurs racines.
Naissance d’une féministe
Nous sommes alors dans les années 1940, en Tunisie, en pleine adolescence de la jeune Zeiza Taïeb. Comme elle le retracera elle-même plus tard dans Le Lait de l’Oranger, son combat s’illustra pour la première fois lors son refus, à treize ans, de continuer avec sa mère à entretenir continuellement la maison, chambre des hommes de la famille comprise, sous prétexte de sa féminité ; s’ensuivra une grève de la faim dont elle ressortira triomphante. Premiers coups de crayons de couleur sur la page de sa vie de fille dénigrée par sa société. Mais son œuvre sociologique révèle d’un combat perpétuel à l’encontre des injustices qu’elle perçoit à son égard de la part de sa famille. Ainsi Le Lait de l’Oranger évoque-t-il sa lutte, à la même période, pour obtenir le droit d’étudier – ce qu’elle fera admirablement par la suite –, tandis que dans La Cause des Femmes (traité plus sociologique que biographique par rapport à l’ouvrage susnommé), son désir d’indépendance économique est davantage mis en avant. Mais son acte de révolte le plus intéressant est survenu bien avant sa majorité, lorsque ses parents décidèrent de la marier à un quadragénaire hautement placé dans l’industrie de l’huile. Le combat fut d’autant plus compliqué qu’elle ne put compter sur le soutien de sa mère – cette dernière, qui avait également été mariée de force, adolescente, au père de Gisèle, estimait alors qu’il n’y avait pas lieu d’aider sa fille là où elle-même n’a connu que la contrainte. Zeiza Gisèle Taïeb, qui à son tour n’a pu compter que sur elle-même dans l’entreprise de s’arracher à ce mariage indésiré, a toutefois décidé de consacrer sa force de lutte à ses consœurs ; peut-on donc imaginer meilleure meuble que son visage sur le blason du féminisme actuel ?
Il y avait bien une culpabilité, puisqu’il y avait un délit, mais il semble que les juges, en indiquant que Marie-Claire n’avait pas délibérément et librement choisi cela, aient attribué la culpabilité ailleurs, et par conséquent à la société, à la loi.
Le choix libre d’une maternité heureuse
« Le choix libre d’une maternité heureuse« , c’est en visant cet objectif précis que Gisèle Halimi entend vouloir voir l’IVG se légaliser. Comme elle l’explique de ses propres paroles, l’avortement ne doit pas être utilisé comme simple moyen de contraception, mais bien comme une solution de dernier secours pour les mères involontaires, à une époque où le viol n’est pas reconnu comme crime mais est répertorié comme simple délit et où toutes les femmes n’ont pas reçu une éducation sexuelle suffisante.
Femme de tous les combats, combattante sur tous les ponts, c’est ainsi que vécut Gisèle Halimi ; car si on la connaît principalement pour ses actions lors du Procès de Bobigny, il convient de se rappeler d’elle comme d’une personne dont les combats ne se sont pas arrêtés à la frontière du féminisme.
Mais c’est bien en 1972 que Gisèle Halimi se fait réellement connaître, mettant à contribution son métier d’avocate et son opinion sur la répression du droit à l’avortement. Lors du Procès de Bobigny, elle se charge de la défense de Marie-Claire Chevalier, jugée pour avortement suite à un viol subi à ses seize ans. Il n’y a là aucun hasard, puisque Gisèle Halimi avait été contactée par la mère de la « coupable », qui l’avait découverte grâce à ses premiers écrits. C’est alors un combat de grande envergure pour la future députée, indignée par les conditions de l’avortement pratiqué clandestinement pour les femmes qui qui ne peuvent se payer une opération en Suisse ou en Angleterre.

Une femme de tous les combats
Mais les engagements de Gisèle Halimi s’étendirent de manière à recouvrir toutes les inégalités de son époque du voile de justice que ses doigts d’enfants tissaient déjà. La lutte féministe n’était qu’un échantillon des combats qu’elle mena durant sa vie. Membre du Parti Socialiste et proche de François Mitterrand, ses engagements anticoloniaux ont éclos avec force au début des années 1960. Partisane de la décolonisation de l’Algérie et de la Tunisie, elle défend par ailleurs les anciens membres du FLN persécutés par la France. C’est aussi à cette période que son premier ouvrage, Djamila Boupacha, naît de son sentiment d’injustice face aux exactions de l’armée française sur ses colonies, en particulier le viol subi par l’Algérienne qui donna son nom au livre.
« Je me demande si, finalement, je ne suis pas plus Algérienne que Tunisienne, compte tenu que j’ai donné presque huit ans de ma vie à la cause de l’indépendance algérienne ». Si le féminisme était son terrain de bataille de « prédilection », la vie menée par la jeune Gisèle Halimi justifia bien des prises de position. Dans une interview dans laquelle elle semble devoir justifier ses origines et son dégoût vis-à-vis de la torture, la jeune avocate relate le racisme de la part de la France métropolitaine envers ses colonies depuis son point de vue de femme d’origine tunisienne naturalisée française.
De même qu’Olympe de Gouges, Gisèle Halimi a été de tous les combats sociaux, bien que la lutte féministe reste souvent le seul que l’on lui attribue. Toute sa vie, du début à la fin, semble pouvoir être résumée comme la construction d’une muraille dont chaque agglo représente un affront puissant face à la misère et aux inégalités. Mais cet édifice semble à présent terminé et ne peut donc plus qu’être soigneusement entretenu.
Ce mois-ci nous a quitté une femme animée de son vivant par sa volonté de justice dans le monde. Si à présent elle n’est plus parmi nous pour défendre les vivants, l’air empli de désir de liberté qu’elle a expiré au cours de sa vie a néanmoins laissé bien des traces sur le visage de notre monde. Nous reste donc à nous souvenir de cette proche de Guy Bedos, Pablo Picasso et François Mitterrand, symbole du combat pour la légalisation de l’IVG et fidèle alliée de Simone de Beauvoir et Simone Veil.
Image à la Une, Crédits : INA