Le 1er juillet 2020, la Russie adoptait la révision constitutionnelle voulue par Vladimir Poutine, lui permettant de s’offrir deux mandats supplémentaires à l’issue de celui (qui devait être son dernier) de 2024. Outre de nombreuses mesures très conservatrices, c’est surtout la possibilité pour l’actuel président russe de se maintenir au pouvoir jusqu’à ses 84 ans qui a suscité une réaction de la part des médias internationaux et de ses principaux opposants.
« Poutine, ce n’est pas un président, c’est devenu un mode de vie. » Fedya, le visage à moitié caché par la capuche de son sweat noir, qui l’enveloppe et dissimule sa silhouette, taille à coup de serpe un portrait acerbe de la société russe, où tout devient plus dur mais où « les Russes conservent leur bonne humeur. »
Fedyda. Crédits : Julien Daniel. Le Monde
Cette photo est celle de Julien Daniel qui interviewe dans un article du Monde plusieurs jeunes russes d’horizons politiques différents (et divergents) appartenant à ce que « l’on pourrait appeler « la génération Poutine » : des jeunes gens de 20 ans qui n’ont pas connu d’autre président. »
Deux mois plus tard, la Russie est ramenée au cœur des débats médiatiques internationaux. Plus question de référendum mais de manifestations sans précédent en Biélorussie, et d’un empoisonnement « Made in Kremlin » d’un des plus célèbres opposants de Poutine, Alexeï Navalny. Face à cette actualité brûlante qui sent bon le gaz lacrymogène et le thé parfumé, que pensent les jeunes russes ?
Poutine, un mode de vie ?
Pour répondre à cette question, deux voix, deux témoignages, qui résultent de deux vécus de la Russie, des vécus différents mais qui, souvent, se croisent et se rejoignent.
L’une est Française et fait ses études de relations internationales en Russie depuis plusieurs années. Elle nous donne son point de vue extérieur sur ce pays immense qu’elle sillonne régulièrement, ses cheveux blonds au vent et son appareil photo en bandoulière. Elle s’appelle Olga*.
L’autre est Russe, elle s’appelle Ekaterina. Avec ses cheveux auburn et ses yeux gris clair au regard décidé, elle m’aide à comprendre comment on fait, et surtout comment on vit, la politique en Russie. Elle fait partie de ce que Julien Daniel appelle la « génération Poutine. »
« Quand tu vis en Russie, où l’on est très fortement attaché à son pays, tu ne peux pas être non affilié à la politique. Beaucoup de personnes ont essayé mais en vain » déclare Ekaterina, qui parle sans hésitation et avec franchise. De cet engagement politique naît un clivage entre certain-es jeunes russes. Entre ceux qui soutiennent le groupe des Pussy Riot et ses membres, arborant fièrement les nouveaux tee-shirts portés par Nadejda Tolokonnikova sur sa page Instagram, et les membres de mouvements politiques comme Nachi (« Les nôtres » en russe), un mouvement qui rassemble des jeunes (démocrates et antifascistes) qui soutiennent le président Vladimir Poutine, c’est en effet le grand écart.
Nadya Tolokonnikova, membre des Pussy Riot, lors de son arrestation en mars 2012. Credits : Pinterest.
Alors qu’à Moscou les jeunes de Nachi se réunissent afin de « travailler pour le bien du pays » au sein de locaux flambant neufs : « Des jeunes sont jetés en prison juste pour une vidéo YouTube ou un tweet mentionnant simplement les forces de l’ordre. On ne fait plus la distinction entre les personnes qui participent aux manifestations (non violentes à la base) et les personnes qui peuvent juste passer à côté après le travail. Tout le monde est jeté en prison sans savoir pourquoi. » me confesse Ekaterina avec un haussement d’épaule. La politique menée par Poutine, bien loin de lisser ce clivage entre partisans et opposants, l’accentue : « [Les gens] changent tous d’avis assez rapidement en voyant les violences et les injustices de la police envers les personnes qui essayent déjà de parler. […] Certes, il y a des partis opposants et le mouvement de l’opposition devient de plus en plus fort, mais le gouvernement de Poutine est encore plus fort et soutenu par toutes les personnes haut placées. »
Manifestations de jeunes du groupe pro-Poutine, « Nachi » Credit : AFP,
Cette censure qui ne dit pas son nom oblige bien souvent les jeunes à rester discrets quant à leurs opinions politiques lorsqu’ils ne soutiennent pas le pouvoir majoritaire : « Plusieurs de mes amis soutiennent ces mouvements [de l’opposition], mais pas forcément ouvertement. Il faut savoir être discret. Manifester ses opinions, mais pas trop. Souvent, cela reste dans le cercle familial ou alors amical. » m’explique Olga. D’une voix calme, elle me rapporte ses observations de la vie quotidienne des jeunes Russes, de ses ami-es, de ses connaissances. Elle décrit également la profonde lassitude de ces derniers face à ce référendum : « Les jeunes du pays sont quand même allés voter. Ils ont quand même essayé de raisonner leurs grands-parents qui restent fidèles à l’actuel président depuis ses débuts. Mais très vite, la désillusion est revenue, comme à chaque fois. Plusieurs jours après les résultats, des jeunes manifestent, mais sont très vite recalés par les policiers. »
Une lassitude face à l’immobilisme politique (qui se mue peu à peu en conservatisme assumé) mais aussi face aux choix budgétaires du Kremlin dont les conséquences se répercutent sur de nombreuses couches de la société russe comme le rapporte Ekaterina : « Ces cinq dernières années les choses ont changé radicalement, et cela commence à se dégrader de plus en plus. […] je ne me sens pas du tout représentée par la présidence, et je ne pense pas que quelqu’un de mon entourage se sente représenté non plus, quel qu’il soit (étudiant, ouvrier, professeur, entrepreneur, retraité). Car on nous a fait de belles promesses : on va augmenter les investissements dans le domaine de l’éducation, la santé, on va aider les entrepreneurs, mais en réalité, le gouvernement rétrécit encore plus le budget de ces domaines-là (éducation, santé, entreprenariat) en faveur de l’armement, du militaire et l’embellissement de la ville de Moscou. Tout le monde voit clairement où cela va mener. »
Une réduction progressive, longue, lente, mais inexorable, des libertés et des budgets qui semble conduire l’avenir du pays dans une impasse, poussant certain-es jeunes à s’interroger sur la pertinence de leur présence en Russie : « j’ai de plus en plus d’amis de Russie qui cherchent tous les moyens de partir/fuir le pays. Surtout après le referendum, tout le monde a compris que c’est le début de la fin et qu’à partir de ces changements de constitution, tout va basculer encore plus vite. Tous les jeunes couples, tous les étudiants veulent fuir la Russie car il n’y a pas d’avenir pour eux. » m’explique Ekaterina. Olga fait elle aussi le constat de ce déchirement presque douloureux chez de nombreux-ses jeunes : « Les jeunes n’en peuvent plus, ils veulent quitter le pays, la boule au ventre car ils l’aiment pourtant tellement. »
Dans le contexte politique actuel, les réseaux sociaux jouent donc un rôle extrêmement important. Ils sont à la fois un outil de communication, voire de propagande, très puissant pour le Kremlin (on repense à ce spot vidéo contre le mariage homosexuel) mais également un moyen pour les jeunes d’accéder à d’autres contenus d’informations que les journaux officiels. Surtout, ces derniers offrent une plus grande liberté d’expression selon Olga: « Les réseaux sociaux sont un moyen pour ces jeunes d’enfin exprimer leur mécontentement au monde entier, et de partager leur réalité. Ils aiment leurs traditions mais aimeraient se sentir plus libres de parler de sujets plus actuels. Comme je le disais, ils aiment leur pays, mais ils aimeraient le voir maintenant à leur image – pas celle d’il y a 20 ans. »
Un référendum constitutionnel comme symbole de « l’ère Poutine » ?
Vladimir Poutine dans un bureau de vote le mercredi 1er juillet 2020. Credit : Alexei Druzhinin. Libération
Cette expression, qui peut faire de prime abord sourire, prend, avec ce référendum de juin, une toute autre profondeur. Une ère est en effet définie comme une « Période plus ou moins longue marquée par certains faits de civilisation importants et caractéristiques en raison de leur nouveauté. » (CNRTL). Officiellement élu président en mai 2000, Vladimir Poutine a depuis dix ans conservé une mainmise sur la présidence russe. « Poutine au début de son premier mandat a dit à la presse qu’il ne changerait jamais la constitution au profit de ses intérêts. Mais les présidents sont comme cela, ils changent d’avis. » déclare Ekaterina, : « Ce sont aussi des humains et quand ils restent longtemps, ils profitent de toute cette autorité et attention portées sur eux. Ils ne veulent pas partir et veulent finir le travail qu’ils ont commencé. »
En effet, lorsque Poutine arrive à la tête de la Russie, le pays « est en ruines : l’économie est effondrée, [il y a un] très grand taux de famine, d’alcoolisme et de chômage dans le pays, tout est corrompu, il faut construire le pays de nouveau. » C’est donc une tâche titanesque à laquelle s’attelle le jeune Poutine (ex-agent des services secrets du KGB) lorsqu’il devient président car comme l’explique Ekaterina à grands renfort de gestes : « la Russie est le plus grand pays du monde, il y a 12 fuseaux d’horaire, c’est un pays multiethnique, composé de plein de peuples différents, avec des mentalités très différentes. Il est presque impossible de le gouverner seul, surtout dans de telles circonstances. Il faut beaucoup de courage pour entreprendre cela. » Un défi que Poutine a su relever avec brio aux yeux d’une partie de son électorat grâce à sa grande mobilité : « Dès qu’il y avait un accident dans une des zones du pays, il se déplaçait tout de suite. C’était le premier président qui préparait ses discours. Bien sûr qu’on préparait ses textes de discours pour lui, mais il connaissait par cœur toutes les infos, tous les chiffres. Il était tout le temps à l’écoute des personnes, dès qu’il était en déplacement, il prenait le temps de discuter non seulement avec les gouverneurs des provinces mais surtout avec les gens normaux qui y vivent, pour avoir une opinion authentique. » En effet la puissance militaire, industrielle et diplomatique que possède la Russie aujourd’hui vient en grande partie des politiques de développement intensif et des grandes campagnes de communication mises en place par Poutine pendant sa (longue) présidence. Loin de s’arrêter en si bon chemin, avec cette réforme constitutionnelle Poutine s’assure d’achever sa « mission », celle de redonner force et grandeur à la Russie.
Le référendum qui a eu lieu en juin faisait donc davantage office de façade (comme un pied de nez à la communauté internationale reprochant à Poutine des « méthodes autoritaires » et « anti-démocratiques », ce référendum semblait dire : « Voyez cette réforme, ce n’est pas moi qui la porte, c’est le peuple russe lui-même qui la réclame. ») puisque la réforme avait été approuvée par le législateur en début d’année et le nouveau texte de la Constitution était déjà en vente dans les librairies, Ekaterina parle d’une imitation du processus démocratique alors même que « les taux sont déjà préécrits ».
Note préalable : vous pouvez consulter en ligne ici notre présentation commentée du contenu de la réforme constitutionnelle russe adoptée officiellement le 1er juillet 2020, ou la télécharger ici : Combat-Que retenir du référendum russe.
L’ensemble des modifications proposées par Poutine marque donc un virage très conservateur de la part du pouvoir politique actuel. Celui-ci est d’autant plus accentué que ces modifications portent directement sur la constitution russe, donnant à ces mesures une légitimité encore plus forte. Une légitimité qui repose aussi sur le taux extrêmement élevé de réponses positives à ce référendum…
77,52% de « oui » : Triomphe ou Mensonge ?
Credit : http://dcvonline.net
« Il s’est produit un référendum triomphal de confiance envers le président Poutine » qui promet « un avenir meilleur » à la Russie selon le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov. Face à ce futur radieux et cette admiration béate, la plupart des articles concernant les résultats du référendum opposent le commentaire d’Alexeï Navalny, principal opposant de Vladimir Poutine, qui décrit ce référendum comme un « énorme mensonge ». Pour sortir de la dichotomie, revenons plutôt au déroulement du vote et à la manière dont ce référendum est perçu par certain-es russes.
« Approuvée par 77, 52 %, oui ce sont les chiffres officiels que donne le gouvernement. Mais si on fait la statistique au sein des réseaux sociaux ou tout simplement dans les rues, la réponse sera complètement différente. » déclare Ekaterina. En effet, quoiqu’en dise le porte-parole du Kremlin et son optimisme à toute épreuve, quelques provinces affichent des résultats si enthousiastes qu’ils en sont presque douteux. En Tchétchénie, on retrouve 97,92% de « oui », en Mordovie, ce sont 85,60% de réponses positives aux modifications de la Constitution. Toutefois, dans la plupart des villes, les résultats sont plutôt mitigés (même s’ils sont indéniablement en faveur du Kremlin) : à Moscou, on retrouve 65,29% de « oui » contre 33,98% de « non », au Kamtchatka, ce sont même 37,19% de voix contre la réforme constitutionnelle et 61,76% de voix en faveur de celle-ci. Des résultats qui ont de quoi nuancer le « triomphe » vanté par Dmitri Peskov.
La remarque d’Ekaterina souligne également l’importance des réseaux sociaux dans la diffusion des idées de l’opposition russe et le rôle de ces réseaux dans l’expression politique des jeunes : « Les réseaux sociaux sont un moyen pour ces jeunes d’enfin exprimer leur mécontentement au monde entier, et de partager leur réalité. » confirme Olga, dont le regard bleu profond observe et analyse ce vaste pays aux multiples facettes. Une nouvelle dimension du politique que Vladimir Poutine a également su mettre à profit à travers une habile politique de communication comme nous le confesse Ekaterina, aux premières loges de cette opération de séduction du Kremlin : « Le gouvernement voulait attirer une très petite partie des Russes qui ne veulent pas entrer dans les détails et qui votent aveuglement Poutine […] On a attiré ce petit taux en cachant les principaux changements parmi les petits changements qui passeront dans tous les cas – mariage seulement entre femme et homme ou que l’Église fasse partie de notre Etat ou les changements pour la protection de la nature. On a fait peur aussi en publiant les vidéos de publicité atroces qui caricaturent un couple gay qui adopte un enfant. Ou des vidéos de bloggeurs payés par l’État pour pousser les gens à venir voter ». Ces stratégies que l’on pourrait presque qualifier de « marketing » expliquent en partie les déplacements massifs aux urnes des citoyen-nes russes.
Comme le souligne Ekaterina, le pouvoir politique ciblait donc une certaine partie de l’électorat déjà conquis par la réforme. Des « astuces » ont été également mises en place pour persuader les plus sceptiques : loterie, absence concrète de campagne qui a empêché les partisans du « non » de pouvoir mobiliser massivement les outils de communication utilisés par le Kremlin…
Le vote a par ailleurs eu lieu une semaine seulement après le déconfinement en Russie. Bien que le vote ait été échelonné sur plusieurs jours, de nombreux médecins russes ont appelé les populations à ne pas aller voter pour des raisons élémentaires de sécurité sanitaire, comme le souligne Ekaterina : « Dans un bureau de vote, il est quasiment impossible de respecter toutes les mesures barrières. » Face aux indications des médecins, le gouvernement a alors décidé de mettre en place une plateforme virtuelle qui devait permettre à la population de certaines villes (comme Moscou ou Saint-Pétersbourg) de pouvoir voter en ligne.
Dès lors, m’explique Ekaterina : « Il est beaucoup plus facile pour le gouvernement de modifier les taux. Et puis cette plateforme était très étrange : j’ai essayé, avec plusieurs autres amis, de voter en ligne mais le site refusait tout simplement de fonctionner. Nous ne savons donc pas si cette plateforme de vote en ligne fonctionnait vraiment ou non. » Ces méthodes et l’orientation politique de plus en plus traditionnaliste du pouvoir politique russe assurent à Poutine un soutien des élites conservatrices, mais aussi des militaires et de l’ancienne génération, admirative de cet homme à la poigne de fer qui a su rendre sa fierté à la Russie.
Outre cette partie de la population franchement favorable à la présidence de Poutine, de nombreux-ses citoyen-nes russes se sont résigné.e.s : quoi qu’il arrive les taux seront les mêmes (ceux-ci tournent toujours autour des 70%). Alors autant voter et ne pas faire de vagues. A quoi bon lutter face à un pouvoir surpuissant qui écrase la moindre tentative de soulèvement (pour ne pas dire d’exercice démocratique) ? A quoi bon lutter quand, depuis dix ans, les plus actifs des opposant-es au pouvoir n’ont rien récolté de plus que quelques années de prison, des thés aux saveurs suspectes (dont Alexeï Navalny a récemment fait les frais) et un peu de plomb dans l’aile (au sens propre comme au sens figuré) ? Cette résignation d’une partie de la population russe, Ekaterina l’explique ainsi : « Les Russes, nous avons une mentalité particulière. En France, quand vous n’êtes pas d’accord, vous sortez dans la rue, vous manifestez. En Russie, nous sommes ce qu’on pourrait appeler un « peuple martyre », on pourrait presque dire qu’on aime souffrir quand on regarde l’histoire du pays. Cette aptitude des Russes à endurer la souffrance sans protester, c’est un trait de caractère qu’on retrouve beaucoup dans le cinéma russe. Les gens subissent, et ils se disent : « Cela passera, au moins nous sommes en vie, nous respirons, nous avons le ciel au-dessus de nous … »
Alexeï Navalny, le nouvel espoir de la jeunesse Russie ?
Alexeï Navalny, principal opposant de Vladimir Poutine. Credits: Pavel Golovkin, Libération
Le jeudi 20 août, le plus sérieux opposant politique de Poutine, Alexeï Navalny, a été hospitalisé à l’hôpital d’Omsk en Sibérie. Alors que de nombreux médias rapportent pudiquement une « perte de connaissance », l’équipe de tournage de Navalny, avec lui dans l’avion au moment de son malaise, nous donne une version qui laisse moins de place au doute. Avant de perdre connaissance, l’opposant de Poutine se serait plaint de douleurs abdominales aiguës, puis aurait hurlé de douleur. Des vidéos prises par des passagers du vol où il se trouvait, le montre en proie à d’atroces souffrances. Les proches de celui-ci dénoncent un empoisonnement du thé d’Alexeï Navalny orchestré par le Kremlin (cette technique étant un outil récurrent des jeux politiques russes). En effet, le vol dans lequel se trouvaient Navalny et son équipe de tournage (alors en investigation), était l’un des premiers à décoller, A. Navalny n’avait rien ingéré d’autre que la tasse de thé qu’il avait bu avant de prendre l’avion. « Si l’on fait preuve d’un minimum de bon sens, ce n’est pas très compliqué de comprendre » me glisse Ekaterina avec un ton amusé, un sourire en coin.
Le médecin en chef de l’hôpital d’Omsk, où a été hospitalisé A. Navalny, conclue quant à lui à un « problème métabolique résultant d’une faible glycémie. » selon Le Monde. Amusant quand on sait que le directeur de cet hôpital fait partie du parti de la Russie Unie (parti de Poutine) …
Comme le souligne Ekaterina « L’opposition au parti « la Russie Unie » (parti de Poutine) a été presque toujours existante mais elle a commencé à prendre l’ampleur à partir des années 2010, et ces 5 dernières années ont été les plus intenses. Tout s’est déclenché après l’assassinat du plus grand et plus intelligent opposant de Poutine, Boris Nemtsov. » Les coups d’éclats d’Alexeï Navalny ne sont donc pas une nouveauté dans l’Histoire politique du pays. D’autres mouvements d’oppositions sont, et restent, très actifs malgré une répression extrêmement sévère (emprisonnement, pressions, empoisonnement…). Ekaterina nous présente Alexeï Navalny en quelques mots : « [Il a] suivi un cursus de droit dans une des grandes universités de Russie et complété son cursus d’études à Yale, Navalny réussit à trouver beaucoup des documents secrets qui protègent les députés corrompus. Il a créé le FBK (Фонд Борьбы с коррупцией) « Fond de combat contre la corruption » et publie sur sa chaine YouTube des investigations qui sont souvent plus intéressantes que celles de certains policiers hollywoodiens. Ses vidéos sont présentées avec des memes, et une touche humoristique pour attirer les spectateurs. » Selon elle, Alexeï Navalny est aujourd’hui l’un des plus importants opposants de Poutine. Son état de santé actuel et sa quasi-rétention dans l’hôpital d’Omsk jusqu’au 22 août confirment le caractère dérangeant de son activité journalistique et politique pour le pouvoir en place. S’il s’est bien gardé d’appeler à toute manifestation, il déclare que « rien ne sera réglé sans sortir dans la rue ».
Son travail d’investigation anti-corruption fait d’Alexeï Navalny un caillou bien inconfortable dans la chaussure de cuir de Vladimir Poutine. En témoigne la stratégie médiatique de décrédibilisation qui a suivi l’hospitalisation de l’opposant : les médias patriotiques ont fait circuler l’information que celui-ci aurait consommé de l’alcool et des médicaments avant son vol, ce qui expliquerait son état. Les conclusions des médecins de l’hôpital de la Charité à Berlin sont pourtant sans appel le 24 août : Alexeï Navalny a bel et bien été empoisonné, à l’aide de médicaments influençant directement les liaisons inter-neuronales (généralement utilisés pour traiter les maladies dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson). Ekaterina nous rappelle également qu’Alexeï Navalny n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à s’opposer frontalement à Poutine. De même qu’il n’a pas été le premier (ni ne sera le dernier) à se faire empoisonner par le Kremlin.
Alors que d’autres hommes politiques vocifèrent avec force tweets, l’actuel président russe choisit quant à lui de verrouiller, avec confiance et application, les clés du pouvoir. Tandis que le référendum, ainsi que l’état de santé de son rival de l’opposition auront fait couler beaucoup d’encre. C’est un silence de plus en plus pesant que Vladimir Poutine tente d’imposer à ses détracteurs. Le double discours concernant l’état de santé d’Alexeï Navalny (« prise de médicaments » pour les médecins russes, « empoisonnement » pour les médecins allemands) témoigne du climat lourd de menace sourde qui règne au Kremlin.
Quel futur cette ambiance laisse-t-elle présager pour la Russie actuelle ? C’est peu ou prou la question que j’ai posé à Olga, et voici sa réponse : « Je pense à une révolution dans quelques années. Beaucoup de monde en parle ici. Les gens sont fatigués et veulent du changement. Quelque chose de nouveau pour ne plus vivre dans les traces du passé. » Utopie d’idéalistes ou optimisme naïf ? Quoiqu’il en soit, cette citation illustre l’existence d’une voix, ou plutôt de multiples murmures, ceux de citoyen-nes russes, qui continuent activement de résister à la vaste entreprise d’uniformisation politique entreprise par Vladimir Poutine.
*Le prénom a été modifié.
Image à la Une : Vladimir Poutine. Crédits AAP