Il y a bientôt un an, le 9 octobre 2019, une offensive turque avait lieu dans le nord de la Syrie, entraînant la fuite de 800 djihadistes ou familles de djihadistes. L’avocate pénaliste au barreau de Paris menait alors un réel combat pour le rapatriement des femmes et enfants de djihadistes français. Selon elle, leur dispersion dans une Syrie en proie aux offensives militaires d’Erdogan et de Bachar El Assad aboutira nécessairement à la reconstruction de l‘Etat Islamique.
C’est un camp fermé, entouré de clôtures en fil de fer barbelé, et largement surpeuplé. Dans le camp d’Al Hol, au nord-est de la Syrie,, plus de 65 000 personnes s’entassent, la plupart depuis les événements offensifs de 2019 entre Etats Islamique, Turquie et Forces démocratiques syriennes. Plus de 90% de ces habitants sont des femmes et des enfants, les deux tiers ont moins de 18 ans. Parmi eux, des ressortissants français que la France rechigne encore à rapatrier malgré les appels des instances internationales. Alors que la crise liée au coronavirus renforce les dangers sanitaires du camp, Marie Dosé fait partie de ceux qui se battent pour obtenir le retour des familles de djihadistes français dans l’hexagone.
« La France viole les conventions internationales. »
« Un combat juridique pour sauvegarder les valeurs républicaines de la France », voilà ce que mène Marie Dosé depuis plus d’un an. Emmanuel Macron déclarait que « la France est une Nation qui n’abandonne jamais ses enfants ». Or, Maître Dosé constate que cette assertion semble s’appliquer à certains enfants de la Nation, mais pas à d’autres, induisant par là une déchéance de nationalité de fait. Elle lutte ainsi contre une forme de discrimination, un fait du prince, qui fait que certains enfants pourraient être sauvés du pire quand d’autres périssent dans des camps parce que la France refuse de les rapatrier. En plus de cela, le droit international doit trouver à s’appliquer, et tout particulièrement les conventions internationales dont la France est signataire telles que la Convention internationale des droits de l’enfant ou la Convention contre la torture des Nations Unis : « La France viole toutes ces conventions et ces femmes sont en détention arbitraire, c’est-à-dire détenues sans droit de titre. Elles ne sont pas judiciarisées en Syrie ou au Kurdistan syrien mais en France et seulement en France : elles sont toutes sous le coup de mandats d’arrêt internationaux en France et nulle part ailleurs.» En octobre 2019, le droit international a bien du mal à être respecté et à s’imposer, notamment dans cette période d’offensive turque où l’impuissance des Etats et de l’Union Européenne à faire entendre raison à Erdogan semble à son comble. Les Kurdes, abandonnés par la coalition internationale et l’Union Européenne, ont été contraints de choisir « le pire allié » en la personne de Bachar Al Assad, « plutôt que le génocide. »
« Plutôt mourir que de retourner au sein de l’Etat Islamique. »
Mais que veulent ces femmes exactement et quel est leur état d’esprit ? Toujours selon Marie Dosé, la quarantaine de femmes qu’elle représente veulent rentrer en France. Certaines lui ont même assuré qu’elles préféraient mourir plutôt que de « retourner au sein l’Etat Islamique ». Elles craignent surtout de voir leurs enfants se radicaliser là-bas et être transformés en enfants soldats : « On est en train de refaire l’histoire qui nous a conduit là où nous sommes aujourd’hui. Sans intervention de la part de la France, ces enfants vont grandir dans un environnement qui risque de les encourager à la violence et il sera très rapidement trop tard. Les sauver de leurs terribles conditions de vie, de l’Etat Islamique qui leur tend les bras, des bombardements qui ont lieu en ce moment même à quelques mètres des tentes dans lesquelles ils sont terrés. Mais les sauver aussi, pour certaines de leurs mères les plus radicalisées et les placer dans des structures adaptées pour qu’ils puissent grandir dans des conditions décentes. Il s’agit d’une urgence humanitaire et sécuritaire. Ces enfants sont innocents et n’ont pas à payer le prix de la faute de leurs parents. Et ces femmes doivent être rapatriées en France pour que l’on puisse enfin les expertiser, les connaître, les comprendre, et maîtriser le risque que certaines d’entre elles représentent. » Au moment de l’offensive turque et dans les jours qui ont suivi, des femmes et enfants français ont été contraints de quitter le camp d’Aïn Issa suite aux bombardements et à une émeute à l’intérieur du camp. En moins de quarante-huit heures, certains étaient récupérés par l’Etat Islamique ou par des milices syriennes qui ont commencé à rançonner leurs familles en France. Comment ne pas songer à ce stade aux velléités du chef de l’Etat Islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, qui appelait ses partisans à « venir chercher les femmes et les enfants dans les camps kurdes pour les rapatrier dans l’Etat Islamique » ?
Il va être de plus en plus compliqué d’expliquer à ces femmes qu’elles ont eu raison de choisir les valeurs républicaines et de tourner le dos à l’Etat Islamique en se rendant aux Kurdes et en demandant leur rapatriement en France alors que leur pays « laisse mourir ces enfants depuis deux ans. On est en train de renforcer un processus de radicalisation et de fabriquer les attentats de demain en agissant comme Daesh l’escomptait, et donc en transformant ces femmes et ces enfants en martyrs pour mieux nourrir le discours salafiste et djihadiste là-bas comme ici. » Face à cette inaction de l’Etat français, Marie Dosé a porté plainte contre Jean-Yves Le Drian pour omission de porter secours devant la Cour de Justice de la République. Mais le ministre reste intransigeant sur la question du rapatriement des familles syriennes, et persiste à poursuivre son entreprise de sous-traitance judiciaire en se rendant une nouvelle fois en Irak dans le dessein de livrer nos ressortissants majeurs et mineurs à cette justice irakienne qui condamne à mort chaque accusé qui lui est livré en quelques minutes d’un simulacre de procès. Pourtant, comme Marie Dosé le souligne : « le Droit est avec nous. » En effet, la Commission internationale des droits de l’Homme, le Défenseur des droits, le Haut-commissariat des droits de l’homme des nations unies, et le Haut-commissariat des droits de l’homme du conseil de l’Europe ont tous exhorté la France à rapatrier ces femmes et ces enfants. Déjà en mai 2019, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) accusait le gouvernement français de négliger les intérêts des enfants détenus dans des camps. La Commision invoquait alors « leur droit à la vie, à la santé et celui de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants. » Marie Dosé a également saisi la Cour de justice de la République, a porté plainte auprès du Comité international des droits de l’enfant, du Comité contre la torture des nations unies, et de la Cour européenne des droits de l’Homme. Des magistrats instructeurs sont par ailleurs saisis de plaintes avec constitution de parties civiles des chefs de détention arbitraires et de séquestrations.
Une politique du cas par cas
Mais l’urgence de la situation se heurte à la lenteur de la justice nationale et internationale, et lorsque toutes ces procédures auront enfin été examinées, le pire sera probablement arrivé.
Le nœud du problème reste surtout l’opinion publique qui, par crainte de nouveaux attentats, refuse d’envisager le retour de ces femmes en France. C’est pourtant leur non-rapatriement qui est un risque pour la France. Les attentats de 2015 ont été fomentés là-bas, et pas en France. L’Etat Islamique est né là-bas, et pas en France. Et ces femmes ne sont judiciarisées nulle part sauf en France. Elles peuvent rejoindre dans quelques jours l’Etat Islamique ou d’autres groupuscules terroristes, contraintes et forcées. « Mieux vaut les juger et les condamner en France plutôt que de les voir se disperser » assurait Edouard Philippe le 30 janvier 2019, avant la publication d’un sondage révélant que les Français ne voulaient pas de ces retours. Et puis, au-delà du registre sécuritaire, l’impératif humanitaire s’impose : « Plus le temps passe, plus ces enfants souffrent. Un enfant de douze ans est mort il y a quinze jours.Ils sont tous extrêmement carencés, ont vécu la guerre et la famine à Baghouz avant de se retrouver dans ces camps. Certains sont arrivés blessés et ne sont pas soignés, tous souffrent de dysenterie. Je les vois grandir et je garde l’image de cette petite fille qui, à un an, pèse à peine 4 kg et que la France refuse de rapatrier. »
Les Etats Unis, la Russie, la Tchétchénie, le Kurdistan, et le Kosovo ont rapatrié tous leurs ressortissants. Avant l’attaque d’Erdogan, la Suisse et l’Australie s’apprêtaient également à mettre en place des opérations de rapatriements. Alors qu’attendons-nous pour rapatrier nous aussi ces enfants ? Il y a certes eu quelques rapatriements en début d’année 2019 qui n’a concerné que dix-sept enfants sur plus de deux-cent cinquante. C’est la politique du cas par cas assumée par le gouvernement que Marie Dosé préfère appeler « la politique du fait du prince ». Les critères de choix restent en effet complètement inconnus. « Il ne faut pas oublier que l’enfant est avant tout une victime de guerre. Ils sont traumatisés par les avions et les bombardements, sont malnutris et déshydratés, et sont tous profondément carencés… Mais ils ont aussi une capacité de reconstruction extraordinaire. » Il n’est donc pas trop tard pour eux, mais « plus le temps passe, plus cela va être compliqué », s’inquiète l’avocate.
Un an après l’offensive turque, des associations et grands-parents d’enfants de djihadistes luttent toujours pour aboutir à un rapatriement. A l’heure actuelle, selon l’UNICEF, environ 200 enfants français sur 50 000 sont toujours détenus dans le camp d’Al-Hol, dans des conditions humanitaires et sanitaires dramatiques. Éloignés de toute protection, les enfants manquent d’eau et de nourriture , sont déscolarisés et doivent bien souvent faire face à des actes de grande violence. Depuis le début du mois d’août, l’épidémie de COVID-19 a commencé à faire des ravages dans le camp. La plupart des enfants détenus n’auraient pas plus de douze ans selon les chiffres de l’OMS.
A lire : La vie au camp d’Al Hol, un reportage de National Geographic
Image à la Une : L’avocate Marie Dosé, à la Cour d’Assises de Créteil, le 26 juin 2018. © AFP/Eric FEFERBERG
