Les peuples recouvrant le Grand Nord de notre globe, notamment le Groenland et l’Alaska, mais aussi certains endroits de la Sibérie orientale, sont séparés en plusieurs communautés dont les peuples Inuk et Yupik sont les principales. Aujourd’hui, c’est sur l’esprit particulièrement orienté vers l’environnement de ce coin de la Terre que Combat vous propose de jeter un coup d’œil.
Mythologie inuite : une leçon de vie plus qu’une œuvre théologique.
La mythologie des Inuits (Inuk au singulier) en particulier contient une dimension environnementale que l’on ne saurait renier. Contrairement à de nombreux mythes occidentaux, l’idée d’un néant précédant la création du monde est complètement inexistante dans leurs croyances : la mythologie inuk conçoit un monde initialement peuplé d’un homme et d’une femme. Celle-ci trouve en les propos du dieu du ciel Kaïla la solution pour peupler la Terre : pêcher sur la banquise. La femme suit ce conseil. Du trou dans la glace, ce ne sont pas des poissons qu’elle pêche mais des animaux destinés à vivre sur terre ferme. Le mythe propose alors une première règle sur l’harmonie avec la Nature : lorsque la femme pêche le caribou, celui-ci lui est présenté par le dieu du ciel comme un animal digne de respect, car il nourrira les descendants de l’homme et de la femme. Ce qui pourrait sembler différent des mythes de la même époque dans d’autres régions du monde – le rôle de premier plan de la femme, qui par la force qu’elle enjoint à son travail peuple sa terre – ne constitue pas qu’une facette du mythe, mais fait partie intégrante de certaines civilisations du Grand Nord. L’autre grande communauté de cette zone géographique, le peuple Yupik (Yupiit au pluriel), a en effet pour coutume d’enseigner indistinctement des sexes : les garçons apprenaient des femmes la couture et autres travaux manuels et les filles recevaient des hommes l’art de survivre dans la nature. Un peuple dont les composants recevraient donc non pas un enseignement en fonction de leur sexe, mais une instruction fondée sur le principe de l’égalité naturelle entre hommes et femmes.
Il existe une suite à ce mythe inuk. Une fois la Terre peuplée, le peuple inuk se nourrit presque exclusivement de caribous, Tuktu, en Inuktitut, ne choisissant que les plus gras, ne laissant derrière eux que les caribous malades ou affamés. La femme se tourne alors une nouvelle fois vers Kaïla, qui la renvoie pêcher. Du trou de la banquise, c’est cette fois le loup que la femme reçut. Le dieu loup Amarok lui explique que ce prédateur survivra en se nourrissant des caribous malades. Le mythe introduit ainsi le concept naturel de la chaîne alimentaire. Il prouve que chaque élément de l’écosystème a un rôle bénéfique pour le reste de l’environnement, mais aussi un inconvénient : pour les Inuits, le loup attaque les troupeaux, tout en les maintenant en bonne santé. En Europe, on chasse le renard que l’on considère comme nuisible à cause des maladies qu’il transmet, mais il se nourrit principalement de rongeurs qui détruisent les cultures et surtout transmettent la maladie de Lyme. De même, lesdits rongeurs, malgré ces défauts, réduisent les déchets humains.

Le traitement des maladies : comprendre le mal avant de l’éradiquer.
La seconde partie de ce conte évoque la maladie, très importante chez les Inuits qui la conçoivent comme un mal qui traverse le corps humain de part en part en suivant un chemin prédéfini. On distingue plusieurs maladies :
L’aanniaq regroupe les maladies visibles (rhumes, maux de gorge…) ; on sait en combien de temps les traiter.
La qanima dénomme des maladies intérieures (asthme, cancer, grippe… mais aussi dépression) dont on ne peut pas déterminer le temps de guérison. Difficiles à soigner, certaines de ces maladies sont considérées comme les plus meurtrières dans le Grand Nord.
L’aanniniq est un mal lié à un choc physique externe (brûlure, coupure, bosses, fractures…).
Enfin, tout handicap tel que la surdité, la cécité ou la malformation est appelé piuslinuriq.
Ces maladies sont en général traditionnellement traitées par le chaman, que l’on retrouve aussi dans le peuple Yupik. Chez ces derniers, le chaman est reconnaissable au masque à l’effigie d’un esprit, qu’il fait construire selon ses visions. On retrouve à nouveau les valeurs proches de la nature de ces peuplades du Nord : chez les Yupiit, un certain respect est accordé aux artisans qui font le plus preuve d’un certain travail. Le travail à la chaîne n’a aucun attrait dans cette civilisation où la finesse de construction de l’objet est bien plus importante que la rapidité de fabrication. Savoir construire un masque soi-même y est preuve de qualité, et les plus habiles artisans peuvent être choisis par le chaman pour la fabrication de ses propres masques. Le respect de l’environnement qui s’inscrit dans cette tradition n’a pas pris une ride : le masque est fait de matériaux rudimentaires et décoré par des pigments naturels.
Le chaman et les esprits : loin des curés sectaires et des dieux miséricordieux.
Le chaman, Angakuq en Inuktitut, a un rôle très important chez les Inuits et les Yupiit, ce qui n’en fait pas un prêtre ou un chef de communauté. Il se révèle dès l’enfance, lors d’une maladie initiatique caractérisée par un évanouissement. Durant sa maladie, l’esprit du futur chaman délaisserait son corps pour voyager à travers le monde et rencontrer d’autres esprits. Le don du chaman réside dans le fait qu’il peut communiquer avec les esprits lors de ses rêves ou de ses visions. Il les appelle à travers divers rituels pour l’aider à soigner un malade, à protéger des chasseurs et à d’autres besognes. Ces esprits sont appelés Anirniit (Anirniq au singulier), ce qui signifie « le souffle ». On retrouve les Anirniit dans de nombreux mythes Inuits. Certains sont très puissants, comme Amarok, l’Esprit loup, Tekkeitsertok, maître des caribous, ou Nanuq, l’Esprit des ours polaires. Ceux-ci demandent parfois l’aide d’un chaman qui devra voyager dans le ciel, Sila Inua, le monde des esprits pour rencontrer un puissant Anirniq. La déesse des mers Sedna, par exemple, fait appel à des chamans pour l’aider à démêler ses longs cheveux. La plupart des Anirniit sont rattachés à un corps humain ou animal jusqu’à la mort de ce dernier. Ils sont alors libres de voyager dans le monde et parfois, de se venger de ceux qui leur ont causé du tort. Ainsi, lorsqu’un chasseur Inuk tue un animal, un rituel de remerciement est effectué selon la tradition animiste pour se protéger des fureurs de son âme. Un dicton Inuk dit : « Le grand danger de notre existence vient du fait que notre régime alimentaire est principalement constitué d’âmes. » Un conte illustre très bien cette coutume : Deux chasseurs se promenaient sur la banquise et rencontrèrent un Wentshukumishiteu, une créature ressemblant à un phoque de couleur orangée avec de larges oreilles. L’un des deux hommes le tua et fut aussitôt englouti par la glace. La réincarnation est le principe de base des croyances animistes. Les âmes peuvent se réincarner en un nouveau-né humain ou animal, mais aussi en objet naturel comme un rocher ou un végétal. Durant la période entre la mort et la réincarnation, le dieu Pana, « couteau de neige », prend soin des âmes des défunts en les protégeant lors de leurs voyages.

Une autre catégorie d’Anirniit, les Turnagait (Turnagaiq au singulier) représente les mauvais esprits, qui peuvent jouer des tours aux humains, ou prendre possession d’un corps. Les Inuits et les Yupiks associent les nombreux phénomènes d’ours étrangement dangereux et violents à la légende des Turnagait. Un des principaux rôles du chaman est de combattre et d’exorciser les Turnagait, parfois avec l’aide des Anirniit. Mais il a aussi le pouvoir de capturer un Turnagaiq pour en faire un esclave. Certaines légendes mettent en scène des esprits maléfiques créés par un idisitsek, un méchant chaman. Ces esprits, les Tupilet (Tupilaq au singulier) sont conçus à partir de restes d’animaux morts ensorcelés. Ainsi, ils sont souvent représentés avec une tête de phoque (natseq) ou de morse (aaffaffak), un corps d’ours (nanuq), des palmes de canard (queerlutooq) et des pattes arrières de renard (Teriamiaq, en Inuktitut).
Aujourd’hui, les croyances des peuples animistes ont presque totalement disparu avec la christianisation des « Eskimos » au XIXème siècle. A travers le mensonge d’une éducation convenable et religieuse donnée aux enfants Inuits, les occidentaux ont massacré des populations et détruit leur culture au nom de la religion catholique. Pourtant, à une époque où on prend enfin conscience de l’impact humain sur l’environnement, se pencher sur les mythes Inuits, comme celui de la naissance du loup et du caribou, peut être une manière poétique de comprendre le respect que l’Humanité doit à la nature.

Combat vous propose à présent de lire l’histoire réelle de l’Inuk Ulrikab.
Le 26 août 1880, Abraham Ulrikab, Inuk chrétien, sa femme Ulrike et leurs enfants Sara (trois ans) et Maria (dix ans) et le jeune Tobias, ainsi que l’Inuk non-chrétien Tiaganniak, sa femme Paingu et leur fille de quinze ans Nuggasak, acceptent de partir pour l’Europe avec le norvégien Joan Adrian Jacobsen sur sa goéelette, l’Eisbär (« ours polaire »), pour participer à une exhibition dans un spectacle ethnologique en Allemagne. En septembre, ils arrivent à Hambourg.
Leur exhibition commence en octobre au zoo Tierpark Hagenbeck et est organisée par le directeur, Carl Hagenbeck, également marchand d’animaux sauvages. Abraham est un homme très cultivé. Il joue du violon, parle allemand, anglais (bien qu’il rédige ses mémoires en inuktitut, sa langue maternelle) et est protestant. On sait qu’il n’a accepté de participer à cette exhibition que pour régler ses dettes et celles de son père.
Les huit Inuits partent ensuite en train jusqu’à Berlin où ils sont exhibés dans un zoo jusqu’en novembre, puis à Prague, Francfort, et Darmstadt, où meurt Nuggasak, le 14 décembre. Ils continuent à Krefeld, où meurt Paingu le 27 décembre. Son crâne est conservé par des scientifiques. On découvre, lorsque Sara tombe malade, que le groupe est atteint de la variole. Sara va à l’hôpital de Krefeld, alors que le reste du groupe part pour Paris, où ils sont exposés au Jardin d’Acclimatation dans le Bois de Boulogne. À la fin du voyage, ils mourront tous à l’hôpital Saint-Louis. Jacobsen avait oublié de les vacciner.
Aujourd’hui, les mémoires d’Abraham Ulrikab, traduites de l’Inuktitut, sont la seule source littéraire de ces exhibitions, où des Inuits, des Amérindiens ou encore des Africains furent exposés dans des enclos comme des animaux sauvages.

Dans le treizième album de la Bande dessinée Corto Maltese, reprise pour la première fois par Juan Diaz Canales et Rùben Pellejero, « Sous le Soleil de Minuit », le jeune Tobias (Ulkurib) est présenté adulte sous les traits d’un Inuk à la tête d’une sanglante révolution appliquant les méthodes de la Terreur de Robespierre. Crédits : Casterman, 2015.
Par Quentin Meyer et Léopold Meyer.
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