La violoniste de renommée internationale succède à Frédéric Lodéon et son célèbre Carrefour de Lodéon sur France musique le dimanche après-midi avec « Vous avez dit classique ? Chiche! »
« C’est une baguette magique ! » s’exclamait l’Abbé Sibire ; « c’est un sceptre ! » lui répondait Liszt. Depuis la nuit de sa création, l’archet a suscité toutes les convoitises. Il est vrai que lorsque Marina Chiche fait frémir le sien le long de son violon, quelque chose de féérique semble émaner d’elle. Elle arrête ce monde en pleine course pour permettre une envolée hors du temps. Les premières notes du Concerto de Mendelssohn sont une incantation contre le rouage véloce de notre siècle. Auprès de son violon, Marina Chiche vit, existe, palpite. Elle-même semble quitter terre « sur les ailes du rêve » murmure le compositeur. Sur scène, la jeune femme est plus qu’une musicienne : en nous autorisant à flâner dans une époque où tout est éphémère, elle nous offre la contemplation. Soit la capacité de discerner la beauté du monde.
Violoniste à trois ans
Celle qui connaît aujourd’hui une carrière internationale a connu son premier violon à l’aube de ses trois ans. C’est à l’école Suzuki, fondée sur l’enseignement collectif, qu’elle fait ses premiers pas de musicienne : « ce sont des cours qui fonctionnent beaucoup sur l’oral et le mimétisme. On commence avec un violon en carton ! » se souvient la jeune femme en riant. Cette passion précoce, Marina Chiche l’explique par une affinité immédiate avec l’instrument. « Beaucoup de violonistes ont commencé très tôt, dit-elle. A trois ans, c’est surtout un éveil à la musique. J’ai le souvenir de quelque chose d’exigeant, mais aussi d’un mode d’expression par lequel je me libérais. Ça se révélait en moi. Le violon est même devenu plus qu’un instrument, comme une partie de moi-même. » Après un passage par le conservatoire de Marseille, tout s’enchaîne très vite. Pour autant, Marina poursuit des études en parallèle : après l’obtention de son bac scientifique à seize ans et demi, elle enchaîne sur des études de littérature germanique. « J’ai toujours eu une grande curiosité, se souvient-elle. Si je n’avais pas décidé de me consacrer au violon, j’aurais sans doute fait une école comme Sciences Po ! » Mais c’est vers le Conservatoire supérieure qu’elle se tournera. Depuis, elle a fréquenté les plus grandes scènes, en Europe et au-delà, n’hésitant jamais à fouiller entre les époques. « J’aime dire que je ne suis pas spécialisée sur un répertoire, raconte-t-elle. Le romantisme, le classicisme, la musique baroque, la musique contemporaine… Je ne m’interdis pas de voyager entre les époques. »
Le défi du siècle : démocratiser la musique « classique »
Au XXIème siècle, la société française semble accorder peu d’intérêt à la musique dite « classique ». Pourtant, Marina Chiche reste confiante sur ce que celle-ci peut nous apporter : « Je pense que tout le monde peut aimer ou être intéressé par ce type de musique. Mais les gens ne le savent pas encore. C’est surtout frappant au cinéma : la plupart du temps, les spectateurs sont très touchés par les morceaux qu’ils découvrent à travers les films. » Pour elle, il y a avant tout un problème de médiation et de contextualisation, à commencer par notre héritage sociologique : « Dans les années 1970-1980, des sociologues comme Bourdieu ont parlé de la musique « classique » comme d’une musique de classe, liée à un habitus bourgeois avec des barrières symboliques. Or, même si la place de la musique classique a évolué, on continue de la percevoir comme du domaine des élites. Si ces analyses étaient pertinentes en leur temps, il est important de les actualiser. Il y aussi une incompréhension autour de la musique contemporaine. Par exemple, on oublie souvent que les compositeurs existent et créent toujours aujourd’hui ! » Pour la violoniste, cette réalité est symptomatique de la question de la place de la musique dans l’espace culturel français.
Rendre accessible la musique « classique » est un véritable défi pour Marina Chiche. « Parfois j’ai une tristesse de ce jugement pessimiste, du fait qu’il existe toujours des codes à casser » avoue-t-elle. Le changement, elle le voit avant tout dans l’éducation collective. « S’il n’y a pas d’initiation à la musique, on a une double peine. C’est par l’éducation que se développe le lien avec elle, une forme de familiarité. Je parle de l’apprentissage du goût à la musique, de l’accès à l’essence du plaisir qu’elle peut apporter. Car ça, c’est une jouissance. » Pendant le confinement, Marina Chiche a donné des ateliers en live sur les réseaux sociaux: « il y a une forte potentialité de démocratisation avec internet. C’est incroyable tout ce qu’on peut trouver en ligne ! » Elle pointe cependant du doigt le rôle des algorithmes qui transforment cette expérience en « fausse démocratisation » : « le référencement de la musique classique est très complexe. Si vous n’en n’écoutez pas du tout, les algorithmes ne vous en proposeront peut-être jamais. C’est le danger de cette hiérarchisation. Internet a certes un côté magique, mais avec des zones d’ombre. »
« elle a un impact sur notre réception du monde, sur notre sensibilité, notre sensorialité. La connaissance des arts est précieuse. Je crois qu’il faut rendre les gens riches de de ce patrimoine commun. A l’heure où tout est matériel, la musique comme la littérature par exemple, est une richesse immatérielle irremplaçable. »
Cet enjeu cognitif de la réception des arts et de la connaissance relève même du politique : « cela a des conséquences sur le type de citoyen que l’on forme » explique Marina Chiche.

Photo : Wimedia commons
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