« Le harcèlement scolaire est une réalité. »

A l’occasion de la Journée contre le harcèlement scolaire, Combat vous propose de redécouvrir la lettre ouverte à M.Blanquer, ministre de l’Education nationale publiée par Combat-Jeune (version jeune de Combat) en 2017 ainsi que les témoignages recueillis suite à celle-ci.

« Monsieur le Ministre,

Antoine de Saint-Exupéry murmura un jour, à travers les lèvres de son Petit Prince, que « les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et[qu’il]est fatiguant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. » S’il n’y aura qu’une signature au-bas de cette page n’oubliez pas qu’elle représentera 45 jeunes, entre 11 et 26 ans. A 26 ans, est-on véritablement un adulte ? Reste-t-il quelques vestiges de notre enfance qui s’en va ? Au fond, ces 45 jeunes représentent peut-être ceux qui, avant de passer dans ce monde si effrayant, et pourtant si excitant, des adultes, voulaient laisser échapper tout ce que les enfants qu’ils avaient été n’avaient jamais osé dire.

En ce 9 Novembre, date choisie par votre prédécesseure, Madame Najat Vallaud-Belkacem, pour lutter contre le harcèlement scolaire, nous nous permettons, nous, journalistes jeunes de Combat, de vous faire parvenir ces quelques mots. A notre échelle, nous avons en effet décidé ce jour-là de nous mobiliser afin d’apporter nous aussi notre pierre à l’édifice. Comme tous les ans, France 2 diffusera un spot de prévention et redonnera le numéro que vous avez mis en place. Nous avons choisi, de notre côté, de laisser la parole aux jeunes. « Regardez, chantait Victor Hugo, les enfants se sont assis en rond. » Oui, mais les enfants n’écoutent plus. Ils se sont assis pour mieux vous raconter.

Cher Monsieur le ministre, malheureusement, nous ne croyons pas que toute cette effervescence publicitaire, ces concours frivoles de la plus belles affiche, du plus beau court-métrage, feront avancer les choses. Alors que des enfants souffrent le martyr chaque jour, que certaines de leurs histoires se terminent trop tôt, que nous les retrouvons parfois détruits, d’autres fois pendus, est-ce vraiment en demandant à d’autres de « jouer au harcelé » devant une caméra que les premiers se relèveront ? Lorsque l’innocence est à l’agonie, faut-il amplifier l’ignorance ? Monsieur le ministre, le harcèlement n’est pas une forme d’art quel qu’il soit ; et il n’est certainement pas du cinéma. Le harcèlement scolaire est avant tout une réalité. A force de s’enticher de la caméra, nos jeunes oublient que la réalité se passe de l’autre côté, et non pas à travers cette minuscule ouverture où le monde est seulement joué. Et comme il est rassurant que le monde soit un jeu de rôle.

Parce que nous redoutons que cela participe à croire que tout cela s’apparente à des histoires, sortes de contes pour enfants dont l’objectif est juste la morale, que nous avons décidé, de notre côté, de donner la possibilité à ceux qui ont vécu le harcèlement de s’exprimer à travers nos lignes. A travers ces publications, notre but est de montrer que les 442 accidents graves par jour d’école ne sont pas juste un chiffre. Derrière ce vague nombre de 3 chiffres qui flottera aujourd’hui sur les écrans de tous les foyers, il existe des personnes, réelles, en chair et en os, qui subissent ce que vous appelez  des« accident graves ».

Comme vous le dites vous-même, il n’y a pas moyen de savoir précisément combien sont les personnes harcelées. D’abord, car une partie des établissements ne signale pas tous les incidents : cela pourrait leur donner mauvaise presse, et il n’y a qu’à lire tous les témoignages de parents effondrés pour le savoir. Dans ces établissements, il y a aussi ceux dont les personnels ne sont pas formés à réagir contre le harcèlement. Où l’on va préférer remettre la faute sur le harcelé, qui ne ferait pas d’effort pour s’adapter. Mais aussi ceux où l’on va préférer croire le harceleur, en invoquant le fait que la victime veut se rendre intéressante. Comment peut-on qualifier une situation où, à 10 ans, un enfant malheureux est désigné soit comme (ir)responsable, soit comme introverti ?

Ensuite, il y a les élèves qui ne parlent pas, qui préfèrent se taire de peur que cela empire leur situation. Et c’est pour ces élèves que nous avons décidé de crier haut et fort que non, une « blague » n’est pas anodine si elle blesse quelqu’un.

Nous voulions aussi montrer que le harcèlement ne se limite pas seulement à la période durant laquelle se produisent ces moqueries. Au contraire, nos témoignages prouvent qu’à notre plus grand regret, peu importe la durée de celui-ci, il laisse toujours des traces sur la personne. Traces que vous ne prenez pas en compte aujourd’hui, ni dans votre campagne, ni dans votre prise en charge. Pourtant, elles sont bien là, telles des bombes à retardement, risquant d’exploser à tout instant. Et elles méritent d’être abordées, pour que les gens se rendent enfin compte que non, tout ne s’arrête pas miraculeusement lorsque le harcèlement cesse. Albert Camus, figure clé de notre journal, l’écrivait lui-même :

« ce n’est pas la souffrance de l’enfant qui est révoltante en elle-même, mais le fait que cette souffrance ne soit pas justifiée. »

Et si nous voulons des adultes accomplis, si nous voulons des adultes capables de tenir le monde, peut-être devrions-nous commencer par vouloir des enfants heureux.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos salutations distinguées,

Charlotte MEYER

Présidente et Rédactrice en chef du média Combat-Jeune

Au nom de toute la rédaction »

Ci-dessous, les témoignages recueillis à l’époque par Combat-Jeune. Vous souhaitez témoigner ? Ecrivez-nous à combatlemedia@gmail.com

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