
Chaque week end, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi en début de semaine. Cette fois-ci, vous avez sélectionné le sujet sur le massacre des Ouïghours en Chine.
Que ce soit via les réseaux sociaux, les nombreux articles, ou les rares documents que l’on parvient à intercepter, les nouvelles concernant l’oppression de milliers de Ouïghours en Chine depuis 2014 sont de plus en plus inquiétantes. La sonnette d’alarme commence à retentir chez les citoyens et l’ensemble de la communauté internationale. Si l’Europe a condamné la Chine pour cette répression, elle ne semble pas agir directement, et seul le Canada a reconnu qu’il s’agissait d’un « génocide ». Mais s’agit-il réellement d’un génocide ?
Selon l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations unies de 1948, un génocide, se définit par « l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il se reconnait sur cinq critères : le « meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»
Lutte contre le terrorisme ou destruction d’une ethnie ?
Pour ce qui est de l’intention de détruire un groupe ethnique et religieux, c’est « la question la plus délicate, celle de l’élément intellectuel du crime et du but visé par les autorités chinoises » selon le chercheur allemand Adrian Zens, premier à avoir révélé l’internement des Ouighours. Il s’agit d’une ethnie turcophone en majorité musulmane sunnite. Ils sont essentiellement présents dans la province chinoise du Xinjang. L’histoire de la région est mouvementée : elle a été proclamée deux fois indépendante au cours du 20ème siècle, avant d’être déclarée « région autonome » en 1955. Mais elle n’a d’autonome que le nom puisqu’elle est dirigée par les Hans, ethnie dominante en Chine et représentante du pouvoir de Pékin. Cette domination et perte d’indépendance a amené à une vague d’attentats qui a secoué la Chine dans les années 2010. Lorsque Xi Jinping arrive au pouvoir en 2014 il veut régler « le problème Ouighours ». Dès 2016 les premiers camps de « rééducation » sont construits pour « lutter contre le terrorisme. » Mais cette lutte contre le terrorisme, en plus d’être obsolète (il n’y a plus d’attentats commis dans cette région) cache une autre vérité : celle de la volonté de faire disparaitre une ethnie et une religion. Car dans ces camps il faut que les prisonniers louent le Parti communiste, étudient le chinois et dénigrent l’Islam qui par ailleurs est interdit. Au-delà donc d’une lutte contre le terrorisme, il s’agit, tout comme c’est le cas avec les Tibétains, d’effacer et de faire taire une ethnie qui fait de l’ombre aux Hans.

« il n’était pas mort et je lui ai quand même retiré son foie et son rein. »
« Meurtres et atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe. Ce sont les premiers critères permettant de définir un génocide. S’il n’a pas été pour l’instant prouvé qu’il y’avait une extermination massive des Ouïghours – comme cela a été le cas avec le génocide des Juifs et des Tziganes de 1939 à 1945 – il y a pourtant des preuves de meurtres et surtout d’atteintes physiques et mentales. Adrian Zens estime à 1,5 millions le nombre de Ouïghours enfermés dans ce qui s’apparente à des camps de concentration. Selon les recherches de Shawn Zang (chercheur à l’University of Britsh Colombia) il y aurait une trentaine de camps au Xinjang. Un drone a filmé le transport vers ces camps. On peut voir sur la vidéo des Ouïghours assis, les yeux bandés, avant d’être mis dans un train. Pour ce qui est des camps, on aperçoit sur des photos satellites des barbelés, miradors, murs d’enceinte, clôtures en fil de fer. Des documents publiés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) montrent que les prisonniers sont surveillés sans arrêt, même lorsqu’ils sont aux toilettes pour éviter « tout événement suspect », et enfermés à double tour. Les détenus sont aussi contraints à un lavage de cerveau idéologique : pour obtenir leurs « diplômes de déradicalisation » il doivent obtenir un certain nombre de points prouvant leur transformation idéologique.
Dans un reportage publié dans le Monde, un témoin raconte que ceux qui ne se montrent pas « obéissants » ou refusent de changer leurs idéologies se retrouvent dans une « chambre noire » c’est-à-dire une chambre de torture. Qelbinur Sidik Beg, une femme qui a réussi à s’enfuir de Chine et qui a accepté de témoigner dans Libération raconte avoir vu :
« dix cellules, chacune contenait dix personnes (…) Elles étaient plongées dans le noir, leurs fenêtres condamnées avec des plaques métalliques. Il n’y avait pas de lits, juste des couvertures particulières. »
Elle ajoute qu’une policière qu’elle connaît, lui a expliqué les « quatre sortes de torture à l’électricité : la chaise, le gant, le casque et le viol anal avec un bâton.» Certains sont morts après des séances de torture. En plus du travail forcé dans ces camps et pour certaines industries de Textile (Nike, Uniqlo, Zara etc.), des organes dits « halal » seraient prélevés de force sur les détenus selon une enquête de Vice.
En Chine il ne faut que douze jours pour obtenir une greffe d’organe (contre plus de trois ans aux Etats-Unis) ce qui signifie que les hôpitaux connaissent à l’avance la date de mort des donneurs d’organes. Enver Tohti, ancien médecin Ouïghour, explique à Vice qu’il a dû prélever des organes sur des condamnés à mort encore vivants : « il n’était pas mort et je lui ai quand même retiré son foie et son rein. Mon chef a récupéré les organes et m’a dit de tout oublier.» Sylvie Lassere a aussi recueilli le témoignage d’un Ouighours emmené de force dans un hôpital et qui s’est réveillé le lendemain avec une cicatrice au niveau du rein.

Chez les femmes, la contrainte à la stérilisation
C’est une des nouvelles révélations d’Adrian Zens datant de juin 2020. D’après des données chinoises, les femmes ouïghoures seraient contraintes à la stérilisation. Ainsi, en 2018, 80% des stérilets posés en Chine l’étaient dans la région de Xinjang. S’ajoute à cela le fait que quatre cantons aient forcé la population à faire des tests de grossesses tous les quinze jours et qu’un autre canton enferme en camps les femmes qui refuseraient d’interrompre une grossesse dite « illégale ». Certaines femmes expliquent avoir été contrainte à la stérilisation et à l’avortement sous peine d’être envoyées dans les camps. Qelbinur Sidik Beg raconte à Libération qu’elle a subi elle-même la pose forcée d’un stérilet. Elle raconte : « j’ai croisé une policière qui transportait le cadavre d’une étudiante. Elle m’a dit « on leur donne la pilule, il y’a même des contraceptifs à tous les repas. Mais cette étudiante continuait à avoir ses règles et elle est morte d’une hémorragie. N’en parle jamais.» Ces opérations de stérilisation ont pour but de réduire drastiquement le nombre de Ouïghours et de faire dominer l’ethnie Hans.
Le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe
C’est le dernier critère pour définir un génocide : la séparation des enfants avec leurs parents. Actuellement dans la région de Xinjang, de nombreux enfants (9 500 en 2018 selon Adrian Zens) sont placés dans des pensionnats sous tutelle de l’Etat et dans des institutions chargés de la protection de l’enfance. Ils sont un millier à être séparés de leurs deux parents pour recevoir, loin d’eux, une éducation favorable au régime communiste. Il s’agit d’« une bataille pour les cœurs et les pensées de la prochaine génération », explique Adrian Zens. Selon le gouvernement, ces enfants seraient préservés de la « pensée extrémiste », cependant des journalistes ont essayé de se rendre sur les lieux et ont été dans l’impossibilité d’accéder aux cours. En revanche, les barbelés, caméras de surveillances, et clôtures qui entouraient ces « pensionnats » étaient bien présents. Adrans Zens s’inquiète « si l’État considère que la séparation des enfants de leurs parents est efficace pour supprimer la transmission de l’identité culturelle et religieuse, il pourrait l’étendre à d’autres régions chinoises. »
Le silence de la Communauté Internationale
Parfois qualifié de génocide culturel (destruction de l’identité culturelle d’un groupe sans forcément passer par la violence physique), souvent comme une simple oppression, on constate pourtant que ce que subissent les Ouighours s’apparente en tout point aux critères définissant un génocide. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une extermination de masse, la destruction culturelle passe par la violence mentale et physique, et même sur le contrôle des naissances et de la jeunesse. Si les autres pays refusent de la qualifier ainsi, c’est peut-être car cela les pousserait à agir en conséquence et compromettrait leurs relations, notamment économiques, avec la Chine. Les Etats Unis, de nombreuses ONG (Amnesty International, la Fédération Internationale pour les droits humains), des pays d’Europe condamnent publiquement la détention et la persécution des Ouighours et demandent la présence d’observateurs indépendants sur place, ce que la Chine a refusé. Paradoxalement Amnesty International a révélé que des entreprises de l’UE (dont la France et la Suède) vendraient des outils de surveillance numériques de masse à la Chine qui s’en sert probablement pour les Ouighours. Les pays musulmans refusent également de s’exprimer sur la question et ont fait une déclaration conjointe dans laquelle ils font l’éloge de la politique de la Chine et dénoncent la politisation des Ouïghours par les Nations Unies. La raison est, comme pour les pays d’Occident, essentiellement économique : sur ces cinq dernières années la Chine a investi plus de 40 milliards d’euros dans les pays du Golfe, aide que ces pays instables économiquement ne peuvent se permettre de perdre. Raphaël Glucksman, mobilisé depuis longtemps pour la cause des Ouighours, a déploré ce silence « Des héros prennent des risques insensés pour sortir ces images terribles de Chine pour alerter le monde. Mais les leaders européens n’ont pas un mot. Et les dirigeants des pays musulmans pas plus. Leur silence tue. Et nous couvre tous de honte »
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter les liens incorporés dans cet article mais également :
• Cette émission de France inter
• L’enquête d’Amnesty International

Je me suis permis de rebloguer votre article, quelle horreur. N’oublions pas les camps Nord Coréens ! Merci pour cette article.
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