Toujours plus connectés, toujours plus réactifs. A l’ère de la 5G, les réseaux sociaux font partie intégrante de nos vies. Sphère privée du web, ils tissent entre nous des liens que l’on peut qualifier d’amitié, peut-être. On se regarde, on se mire, on se juge. Soit. Mais, à la rigueur, il ne fait là que s’inspirer de nos comportements. Et si, par malheur, le réseau social parvenait à influencer nos comportements et modifier nos interactions ? Et si le réseau social devenait réalité ?
Réseau. Social. Quel beau programme.
Le réseau social est une « communauté d’internautes reliés en eux par des liens, amicaux ou professionnels, regroupés ou non par secteurs d’activité, qui favorise l’interaction sociale, la création et le partage d’informations (GDT). ». Le réseau social, donc, ferait partie du domaine du privé, du loisir, de la promotion artistique. Une vie que l’on peut mener, finalement, dans notre quotidien, mais que l’on préfère accomplir derrière un écran. Certains l’apprécient, d’autres moins. Tout un chacun choisit finalement la dose virtuelle qu’il décide d’insérer au creux de ses relations. Question de proximité, question de temps, question de gout.
Parfois, j’y vais. De temps en temps. Au moins une fois par jour, au matin souvent.
Mais arrive dans nos vies de plus en plus virtualisées le confinement. Basculement total donc. L’absence de cette vie sociale nous propulse dans les pixels. Le manque nous projette vers nos écrans. On communique, et c’est là bien normal, via internet. L’accélération est fondamentale. On y passe plus de temps, on lui accorde plus d’importance.
Je tique, je n’arrive pas à résister. Mon doigt déroule le fil d’actualité sans que je maîtrise quoique ce soit. Mon cerveau crie, mon pouce, autonome, en raffole. Je m’abrutis. Pire : je me vois m’abrutir.
Sur ces réseaux, sur lesquels tout le monde se rend, les débats s’accélèrent, s’intensifient. Tout, tout le monde, sans cesse, parle, s’exprime, partage, clique, clique, aime, angry face, sad face, love, amazing : les couleurs et les sons se répondent.
Je ne sais plus où donner de la tête, qui croire.
Les vidéos d’experts, de médecins. Il y a là-dedans des revendications, mais aussi des affirmations, voire même, parfois, des informations. Il y a des avis, des explications, des dévoilements.
Je suspends mon pouce, juste un instant : plus de loisir. Le réseau social se transforme. Il y a quelque chose d’inhabituel. Quelque chose qui était là avant, avant tout ça, avant cette crise, mais qui se développe, s’intensifie, explose. Le réseau social, doucement, sort de la vie privée, devient politique. S’affrontent alors devant mes yeux ébahis les appels à la révolte partagés, partagés encore, et les promotions gouvernementales, promus par les réseaux eux-mêmes. Le réseau social devient politique. Explosion de sphères, permutations évidentes de bulles.
Je regarde les hommages à Samuel Paty. Mon pouce se suspend, encore. Il réfléchit, mon pouce, pour une fois. Doué d’une semi-conscience, il se tourne vers moi et, grotesque, me questionne.
Car, ce jour du 16 octobre 2020 marque à mes yeux un évènement majeur, étrangement secondaire par rapport à la terrible nouvelle de l’assassinat mais difficilement supportable : le réseau social est devenu réalité. Echange de sphères : irruption de la violence virtuelle dans nos quotidiens. Le réseau social devient alors non seulement politique, mais, surtout, il devient acte. Un acte terrible.
Je clique sur les commentaires. Je ne sais plus le sujet. De toute façon, c’est à peu près pareil, que cela traite de l’élection américaine ou d’un homme qui clame son amour pour les arbres. Oui, toujours, toujours pareil : ceux qui trouvent ça génial et ceux qui invectivent. Et entre ces deux catégories, toujours, toujours pareil : insultes.
Comment ne pas constater l’évidence ? Le réseau social est le lieu même de l’extrémisme. Je dirai même plus, il le fermente, l’encourage. Et je ne parle pas ici du sens restreint que l’on peut assimiler à ce mot. J’entends, au sens large, l’extrémisme qui rythme le monde d’aujourd’hui et qui dessine tristement nos futurs. Je m’avance un peu trop, on ne peut pas tirer une telle conclusion à partir de commentaires virtuels. Vous avez bien raison. Mais que dire des systèmes d’analyse de nos informations qui, clic par clic, nous présentent uniquement les contenus qui nous plaisent, et seulement les informations avec lesquelles nous adhérons ? Que dire de ces bulles qui se forment autour de nous, qui nous enferment et nous empêchent de nous confronter aux opinions opposées ? Que dire de ces bulles qui, finalement, il faut bien le constater, nous connaissent, presque mieux que personne, et flattent nos passions, nos peurs, nos désirs ? Toujours, toujours dans notre vision des choses, toujours, et encore. Ces bulles nous figent, nous, nos avis, nos esprits. Ces bulles nous propulsent vers le point le plus avancé – pour ne pas dire extrême – de nos opinions. Et si, à ce point précis de notre formatage surgit un article avec lequel on diffère ? On l’incendie. Il n’y a pas d’autre réaction à attendre.
Je décolle mes yeux de l’écran et j’active mon imagination, un peu rouillée.
Et si … Et si l’attentat de Samuel Paty n’était qu’un début ? Qu’un commencement à la concrétisation de nos comportements déréalisés ? Et si notre exutoire de violence sortait de sa sphère bien délimitée du virtuel pour entrer dans nos quotidiens ?
J’imagine.
Nos interactions.
Nos jugements.
Nos extrêmes.
Nos violences.
J’imagine.
Et j’ai terriblement peur. Peur de ce réseau devenu politique, puis devenu acte ; peur qu’il devienne quotidien. Peur, aussi, de ce que nous avons fait, de ce mode de violence que nous acceptons tous les jours de côtoyer. Peur de sa banalisation, peur qu’il devienne, finalement, la norme de nos échanges.
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