Dans notre premier numéro consacré à la culture, Quentin Meyer s’interroge sur les conditions de sa démocratisation.
La culture, paraît-il, rassemble. Source intarissable de débats, de partages ou de confrontations, elle semble en réalité davantage nous concevoir. Chacun des intérêts culturels que nous portons sont autant d’agglos qui nous composent. D’où l’idée selon laquelle la culture peut être une solution aux problèmes sociaux. Celles et ceux qui sont déjà allés au théâtre de leur propre initiative le savent, il y a une bonne chance sur trois pour que la salle contienne un adolescent qui, venu avec sa classe de français, fait preuve d’un je-m’en-foutisme complet vis-à-vis de ce qui se joue sous ses yeux. Cet état d’esprit peut être personnel. Il s’agit ici du fameux voisin de séance de treize ans qui ronfle – au mieux sur son fauteuil, au pire sur votre bras qu’il enduit d’un généreux filet de bave – ou reste fixé sur son téléphone qu’il a malencontreusement « oublié » d’éteindre. Mais dans d’autres cas, et c’est ce qui nous intéresse ici, il peut s’agir d’un déni extraverti, voire revendiqué. Notre jeune adolescent s’arrange pour garder une mine naturelle tout en mangeant son sandwich volontairement bruyamment, se retourne pour faire des grimaces à son voisin de derrière ou hurle avec ses amis. En bref, le type qui apparaît comme un terrible gangster aux yeux de la grand-mère d’à côté et comme un débile à ceux de sa classe qui se contentent de l’observer de loin. Et enfin comme quelqu’un de finalement plutôt normal à ceux qui prennent le temps d’aller le connaître.
La culture, un élément essentiel à l’éducation ?
Difficile d’affirmer que la culture peut réellement sauver les enfants qui prétendent lui faire barrage. Mais le lien entre déni de la culture et rejet social est évident. Dans Un prêtre chez les loubards, Guy Gilbert avait retranscrit l’ébahissement des journalistes dont il a été témoin lorsqu’il avait, au cours d’une revue de presse, soutenu que les plus défavorisés parmi les « jeunes voyous » possédaient rarement un vocabulaire dépassant les deux cents mots. (Soit-dit en passant, quel merveilleux spectacle a dû être celui de journalistes écrivant dans leurs carnets avec la même mine que s’ils avaient été envoyés en reportage animalier.) En bref, un comportement marginal semblerait généralement partir d’un manque d’épanouissement personnel vis-à-vis de l’éducation, que celle-ci soit scolaire ou parentale. Il convient de préciser que ce manque quant à l’éducation parentale ne laisse pas forcément lieu à un sentiment de rejet de la part de ses parents – le sens familial est même parfois omniprésent dans cette entité marginalisée.

Or, la culture fait partie intégrante de l’éducation. Jusqu’à un certain âge, elle dépend principalement, sinon exclusivement, du modèle parental. En d’autres termes, un enfant âgé de moins de quinze ans a peu de chances de s’intéresser à la poésie si ses propres parents considèrent la lecture de cette dernière comme un loisir ennuyeux et réservé à d’autres couches sociales. Même un enfant sans lien fort avec ses parents calquera souvent sur eux (inconsciemment, certes) son désintérêt pour la culture sur ces derniers.
Ce fait n’est pas compliqué à élucider : quelle que soit l’affection que l’on porte à sa famille, on tend à s’imprégner (ce n’est pas une universalité) de la mentalité générale dégagée par cette dernière. Pour s’en libérer, une profonde réflexion qui vient en général assez tardivement est nécessaire ; réflexion à l’issue de laquelle on se rend compte que les idées de fatalité ou de destin sont absurdes, et que se dire « Je suis … de nature » relève d’un certain manque d’esprit. Mais tant que cet effort spirituel n’a pas été fait, celui qui n’a pas été éduqué dans l’amour de la culture tendra à rire volontairement de manière à se faire entendre dès qu’un enseignant lira un poème, justifiant sa propre hilarité par un esprit terre-à-terre de sa part. Et, malheureux retour des choses, son camarade dont les parents ont axé l’éducation sur la culture aura tendance à mépriser le premier, justifiant ce mépris par son autonomie supérieure. Aucun des deux ne daignera avouer, en général, que son propre comportement n’est pas tout à fait autodidacte.
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