« Papa prend son café… »

Pour notre premier concours, nous vous avons demandé d’imaginer « un monde sans culture. » Le premier prix a été attribué à Rémi Enfon pour « Papa prend son café. »

Papa prend son café sur la terrasse, appréciant le soleil de décembre qui lui caresse le visage. Il sait apprécier ces petits instants du quotidien que trop de monde considère comme secondaires de nos jours. « Le bonheur se retrouve dans les choses simples » comme disait … Mince, son nom me revient plus. C’est pas très grave cela dit, Papa dit souvent que les citations c’est surcoté de toute façon. Il avale rapidement sa dernière gorgée et il part vite au travail. Comme à son habitude il dépose un baiser rapide et piquant sur chacune de nos têtes. « Allez j’y vais, pas de bêtises hein ! Essayez de faire des trucs constructifs ! » Même s’il sait qu’on reste habituellement sages, il peut quand même pas s’empêcher de nous rappeler ce principe de base quand il sait qu’on va être livrés à nous-mêmes jusqu’à tard dans la soirée. C’est plus fort que lui. Depuis que Maman s’est transformée en étoile, il travaille un peu plus, et je dois m’occuper des mioches. Les week-ends se font longs de nos jours.

Au début tout le monde naviguait dans le flou. Le 6ème gouvernement de notre XVIIIe République ne nous donnait pas vraiment de directives précises. Juste des petits conseils, des informations plutôt secondaires si jamais on voulait aller se balader dans les dunes ou bien voir des

amis. A l’entrée dans le troisième millénaire tout le monde se disait que ça changerait enfin. Mais non. Presque rien n’a évolué. Les personnes âgées nous racontent parfois des histoires concernant la Terre, mais ce genre de récits devient de plus en plus difficile à croire quand tout ce qu’on a connu en grandissant c’est les grands bâtiments isolés du vide extérieur, la poussière des dunes et l’ennui permanent.

Le dimanche en général on essaye de s’occuper comme on peut avec mes frères et sœurs. Enfin, j’essaye de faire en sorte que ça parte pas en bagarre générale toutes les vingt minutes. J’enchaine les cours de lecture pour débutant, puis les leçons sur la reproduction assistée (en ne donnant pas trop de détails sur les problèmes de natalité du moment), et quelques fois un cours de cuisine ou de dessin vient terminer la journée. Mais la plupart du temps c’est l’ennui qui remplit nos weekends. Tous les jeunes de mon âge ont vraiment hâte du lundi matin en général, à part les enfants les plus pauvres qui doivent travailler. Heureusement qu’il nous reste les somnifères que l’Etat offre à chaque foyer. Je me demande comment faisaient les gens quand ils ne pouvaient pas dormir 16 heures par jour. Le sommeil c’est un de nos passe-temps favoris dans la famille. C’est un truc qu’on a maîtrisé assez rapidement comparé à certains de mes amis.

Grand-père nous racontait des trucs à propos d’images qui se succèdent dans une salle où les gens allaient sur la Terre. Ou alors des gens qui étaient payés pour dessiner ou peindre ou faire de la musique ou faire des blagues, ou encore même écrire des phrases. En envoyant les gens les plus riches sur les autres planètes du système solaire, les gouvernements des pays de la Terre ont voulu tout recommencer à zéro. Ici, la distraction c’est la mort assurée. Il faut vraiment être vigilant dans la vie de tous les jours, faire attention à chaque détail extérieur. Nos dirigeants ont donc tout simplement interdit la vente de livres, de peintures, de films, de musiques ainsi que tous les instruments et dispositifs qui permettraient de contribuer à la formation d’un forme d’art ou d’une nouvelle culture humaine. Les lois sont bien sûr adaptées à cette nouvelle doctrine, et les sanctions sont sévères pour quelqu’un qui décide de créer quelque chose de culturel. De toute façon la culture c’et un vieux truc maintenant, si c’était sur la Terre à la base c’est que c’était fait pour y rester. Et puis s’ils ont interdit tout ça maintenant, ils devaient avoir leurs raisons. Ça devait pas être si bien que ça après tout.

J’aime pas trop penser à tout ça. Je préfère dormir. Quand je dors je peux enfin mettre fin à mon ennui. Je suis enfin seul, face à mes rêves. Bon c’est vrai que la plupart du temps mes rêves se limitent à courir dans les dunes de poussières martiennes, mais au moins dans mes rêves je ne suis pas obligé de porter ma combinaison. J’ai jamais vu quelque chose d’aussi peu confortable et esthétique. Je me demande si sur Terre il y avait des gens culturés qui travaillaient là-dessus. Peut-être même que les gens les plus culturés avaient les meilleures combinaisons. C’est quand même dingue de se dire que la culture était légale et acceptée par tout le monde sur la Terre. Les gens n’avaient pas d’excuses pour s’ennuyer ou prendre les somnifères de l’Etat. Enfin bref, Papa va bientôt rentrer du travail. Mes frères se disputent dans la chambre du fond, et mes sœurs dorment déjà. Je ferais mieux d’aller les calmer avant qu’il arrive, au lieu de pricastroner. Et puis j’aurai tout le temps de m’ennuyer demain, « Pourquoi faire aujourd’hui ce qu’on peut remettre à demain ? » comme disait … De toute façon les citations c’est surcoté.

Rémi Enfon a 19 ans. Passionné de guitare  et d’écriture, il est en licence de sciences politiques.

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