En pleine année de pandémie, trois Alsaciennes se sont réunies pour créer leur entreprise de traduction. Un projet porté par leur amitié et un engagement fort.
C’est d’abord l’histoire d’un « coup de foudre amical. » Quand on les lance sur leur projet, les fondatrices de SKS s’animent, abondent, se passent obstinément le relais, rebondissent tour à tour sur les phrases de l’autre. Trois traductrices, mais un même esprit : impossible d’évoquer l’une sans raccrocher aux deux autres. Dans leurs voix, ça part dans tous les sens, ça bouillonne.
Si elles sont toutes les trois originaires d’Alsace, c’est à Paris, dans les couloirs de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) que les jeunes femmes se rencontrent vraiment. Derrière le drôle de sigle SKS, on retrouve d’abord Fanny, qui jongle entre ses passions pour le sport, la musique, la zoologie et l’océanographie. Arrive ensuite Paola, débarquée à l’ESIT après un an au Canada, qui vibre autant pour les arts et la guitare que pour l’astrophysique et l’astronomie. Elise, enfin, a troqué son bac scientifique contre son amour des mots. Engagée et féministe jusqu’au bout des ongles, elle a consacré son mémoire de fin d’études à la PMA.
Révolutionner le monde de la traduction
« On ne peut pas travailler avec tout le monde, assume Paola. Mais entre nous, ça a matché très vite, professionnellement comme personnellement. » En discutant avec les fondatrices de SKS, on comprend que le projet a très vite été une évidence. Tout au long de leur master, l’idée fait son chemin : « on ne s’est pas retrouvées à la fin du master en se demandant ce qu’on allait faire, affirment-elles. C’était forcément un peu abstrait au début, mais c’était un vrai projet, quelque chose qu’on voulait rendre possible. » SKS, c’est d’abord une entreprise qui leur ressemble : touchées par toutes les problématiques de société, les jeunes femmes ont fait le choix « de ne pas se spécialiser sur une niche, de garder une diversité d’approches ». L’équipe traite régulièrement une grande variété de sujets. Ici, on touche à tout. « La traduction, c’est aussi de la curiosité intellectuelle, explique Fanny. C’est découvrir des langues, des cultures, permettre sans cesse la diversité au sein des passions. » Pour cette raison, SKS ne se refuse rien : « même une brochure pour des salles de bain, ça peut révéler une certaine poésie, rit Elise. On peut avoir de bonnes surprises. L’intérêt pour ce qu’on traduit vient parfois au fil de la traduction. »
Une autre spécificité, c’est la taille de l’entreprise. Le projet à six mains ne coulait en effet pas de source dans le domaine de la traduction : « pour un métier comme le nôtre, on a souvent le choix entre faire partie d’une grosse machine ou être indépendants. Nous, on avait envie d’autre chose » affirment les femmes. Autre chose, c’est-à-dire créer un nouveau modèle où le traducteur n’est ni enfermé dans sa solitude, ni perdu au milieu d’une armée : un modèle où les pairs communiquent et mutualisent leurs ressources. « Le but, c’était vraiment de trouver un entre-deux, insiste Paola. Ce modèle nous permet aussi de privilégier la relation directe avec nos clients, d’établir un vrai lien avec eux. C’est différent de recevoir un texte fourni par une agence. » Connaître son client sans passer par un intermédiaire, donc. Pour Fanny, la taille de l’entreprise comporte un autre avantage primordial : « il y a une vraie valeur ajoutée à notre travail. Ça permet d’avoir différents regards sur la traduction. Chacune a son propre domaine de compétences, donc quand on se relit entre nous, ça apporte vraiment quelque chose au résultat final. Et ça va au-delà des coquilles : on va comprendre différemment certains passages du texte, on va glisser des variations… Il y a une vraie richesse des regards. » Elle ajoute dans un sourire : « On se sent aussi plus fortes. Je suis fière de ce qu’on fait. »
Premiers mois dans la « start up nation »
Evidemment, lancer une entreprise de traduction en fin d’études ne se fait pas sans écueils. Le premier : entrer dans le monde de l’entreprise. « On a passé un bon mois à faire purement de l’administratif, se souvient Paola. C’était vraiment entrer dans un monde qu’on ne connaissait pas. On a découvert l’univers de la start-up nation ! » rit-elle. Une découverte qui a parfois mené à des embûches. A l’origine, SKS s’appelait SKY… Ce qui leur a valu quelques courriers peu enthousiastes du bouquet satellite britannique. « Ça s’est étendu pendant des mois, raconte Paola. Pour le coup, c’était vraiment une histoire de David contre Goliath. »
Malgré ces détours, SKS avance de jour en jour. L’entreprise est déjà locataire d’un local dans une pépinière d’entreprises à Versailles. « On a construit nous –mêmes nos bureaux ! » s’enthousiasment-elles… à l’exception d’Elise qui s’avoue moins manuelle que les deux autres. Peu importe : sa créativité, c’est aux mots qu’elle la consacre. Les fondatrices estiment ne pas avoir été spécialement affectées par la pandémie de coronavirus : « professionnellement parlant, notre monde ne s’est pas arrêté de tourner, expliquent-elles. C’est un métier où on peut facilement s’organiser pour télétravailler, même si évidemment on perd un peu de côté humain au passage. » Parce qu’elles aiment leur indépendance, les jeunes femmes ont à cœur de garder beaucoup de libertés tout en acceptant les contraintes du métier. Cette organisation leur permet de continuer à suivre des cours en parallèle : le persan pour Paola, le serbo-croate pour Elise et le danois pour Fanny.
SKS a rapidement obtenu des premiers clients. « On a su s’entourer de bonnes personnes rapidement » expliquent-elles. Fanny a par exemple a su maintenir des relations dans un cabinet de traduction où elle avait été stagiaire. L’équipe a aussi bénéficié de l’aide de certains professeurs… ou d’un voisin de palier qui s’avérait être comptable. « Evidemment, on a eu quelques avis effrayés du côté de nos familles, se souviennent-elles. Nous voir nous lancer dans un tel projet à la sortie de nos études les a un peu inquiétées. Mais dans l’ensemble, elles nous soutiennent. » Récemment, SKS a aussi lancé une cagnotte en ligne qui leur a permis de s’acheter du matériel. Elle a aussi donné davantage de visibilité au projet : « on ne s’attendait pas à ce que ça touche autant de gens ! assurent-elles. On a eu beaucoup de retours impressionnés, des messages qui nous disaient qu’on avait du courage de se lancer là-dedans. De notre côté, c’était une prise de risque, donc ça fait du bien d’entendre ça. »
« La traduction peut réellement avoir un impact. »
Pour le moment, SKS se cantonne à une petite poignée de clients « mais qui nous donnent déjà pas mal de travail ! » Elise, qui s’est chargée de la prospection des entreprises, explique : « c’est vrai que ça peut paraître vaste au début. Potentiellement, on pourrait toucher n’importe quel domaine. Mais on a commencé en se disant que toutes les entreprises n’ont pas forcément de budget pour la traduction. On a par exemple entièrement refait le site d’une entreprise de labellisation de bâtiments, on propose de créer des sites à celles qui n’en ont pas encore… » Mais sur le long terme, nos trois traductrices voudraient mêler engagement et traduction. « On cherche évidemment à pouvoir vivre de notre activité, mais au-delà du côté gagne-pain, le but est d’aborder des domaines qui nous touchent plus particulièrement, annonce Fanny. Par exemple, on aimerait se libérer du temps pour proposer nos services à des ONG ou des institutions tournées vers les Droits humains. » Les jeunes femmes ont par exemple réussi à négocier avec une entreprise pour traduire entièrement leur site en écriture inclusive : « c’est important pour nous de faire quelque chose à notre échelle. » Elise confirme cette envie de s’engager au sein même de leur profession : « c’est agréable de voir qu’avec notre métier, on peut changer le monde. » Leur objectif sur le long terme ? Réussir à trouver un équilibre entre les volontés de leurs clients et leur envie d’une traduction engagée. Car pour les fondatrices de SKS, la traduction a un réel impact : « le langage n’est pas neutre », assurent-elles en chœur. Une de nos professeures disait qu’en tant que traducteurs, on pouvait toujours glisser quelques « chevaux de Troie idéologiques » dans un texte tout en restant entièrement fidèle à son sens. On a toujours un choix à faire, à commencer par celui des termes : pourquoi on en prendrait un plutôt qu’un autre, lequel est le moins connoté, le moins discriminant… On a un pouvoir qui est réel. » Et de sourire : « les mots changent, le sens reste. »
Vous souhaitez donner un coup de pouce à SKS ? Il reste encore quelques jours pour compléter leur cagnotte en ligne mais vous pouvez également les retrouver sur leur site.
