Vu de Londres : « Un-united Nation » Pour une union désunie

« Quand les dieux veulent nous punir » a écrit Oscar Wilde, « ils répondent à nos prières ».

51,9 % des personnes qui ont voté pour quitter l’Europe lors du référendum européen pourraient voir leurs prières exaucées le 1er janvier 2021, lorsque la période de transition prendra fin et que le Royaume-Uni quittera enfin l’Europe, avec ou sans accord. Personne n’aurait pu prédire l’ampleur de l’impact de cette date du 23 Juin 2016. Personne n’aurait pu prédire les combats et les divisions que cela entraînerait au Parlement, dans les partis politiques, dans les familles et entre les amis.

De l’extérieur, le spectacle doit sembler fascinant, mais de l’intérieur, le voyage a été difficile et fatiguant.  Les commentateurs, aux cours de ces quatre dernières années et demie ont tenté en vain de comprendre ce vote. S’agissait-t-il d’un vote contre l’Europe, contre le multiculturalisme, l’immigration, la mondialisation, contre Londres ou Westminster ? Ces interprétations ont été discutées et rediscutées et les conclusions tirées dépendent des idées propres à chacun et des appartenances politiques. Mais, même au sein du parti Conservateur, on retrouve, comme une constante, cette opposition Nord-Sud, comme la récente création du Northern Research Group le prouve.

Ce qui est clair en tout cas, c’est que les pro-Brexit appartiennent à des classes d’âge avancées (les plus de 65 ans ont deux fois plus de chances de voter pour le Brexit que les moins de 25 ans) et à une catégorie sociale au niveau d’étude bas : 70 % de ceux qui n’avaient que le Brevet ou un niveau d’éducation inférieur ont voté pour le Brexit, alors que 68 % de ceux qui ont voté pour rester dans l’Union Européenne (UE) sont des diplômés universitaires.

La campagne pour le Brexit a utilisé le slogan « reprendre le contrôle », qui a bien exploité le désir de liberté et le ressentiment de la population contre l’Union Européenne, considérée comme une organisation interférente, obscure, technocrate et paternaliste. Les médias ont participé à cette représentation de l’UE en propageant des fausses informations sur des questions aussi banales et quotidiennes que l’imposition par l’UE de mesures impériales ou sa soi-disant interférence sur la puissance des aspirateurs.

Mais à quoi ressemblera cette nouvelle utopie de liberté et de reprise de contrôle ? On retrouve dans les pourparlers entre l’Europe et le Royaume-Uni sur leurs futures relations commerciales les techniques de vente et mises en scène habituelles : des mots peu sincères et de l’arrogance.  Le problème principal pour le Royaume-Uni, c’est qu’un accord avec l’UE représenterait une perte de 70 milliards de Livres Sterling sur les dix prochaines années (National Institute of Economic and Social Research). Ne pas conclure d’accord serait encore pire : une récente modélisation réalisée par la London School of Economics (LSE) a révélé qu’un accord avec l’UE entraînerait une réduction de 3,7 % du PIB, alors qu’un Brexit sans accord représenterait une réduction de 5,7 %, soit une baisse de production de 3,3 milliards de Livres Sterling.

Brexit: pourquoi un retrait ordonné du Royaume-Uni est ...

La question qui se pose à ce stade est la suivante : A quoi le référendum et le Brexit auront-ils servi ? Et plus encore, en pleine crise de Covid-19 :  Qui s’en soucie ? Après quatre ans et demi de discorde, perdue dans les affres d’une crise sanitaire sans précédent, l’opinion publique britannique ne s’intéresse plus à la question du Brexit. Alors que, face à la pandémie, le Brexit est relégué au second plan dans les médias, les conséquences économiques et sociales du Brexit dépassent de loin celles du Covid-19 en termes d’impacts à long terme, comme le montre l’étude de la LSE.

A court terme, un Brexit sans accord impliquera des pénuries de nourriture et de médicaments; l’autoroute vers Douvres deviendra un parking pour suppléer aux problèmes de frontières; de fait, des toilettes et d’autres installations sont déjà en cours de construction sur cette autoroute. Le gouvernement dit évidemment le contraire et insiste sur le fait qu’il est prêt, mais quand on considère comment a été gérée la crise sanitaire du Covid-19 on a du mal à lui faire confiance (toutes les analyses s’accordent aujourd’hui pour condamner la gestion de la pandémie par le Westminster) : alors qu’on aurait pu bénéficier des expériences de l’Italie et de l’Espagne, entre autres, le gouvernement a appliqué une politique d' »immunité collective » et a retardé le confinement jusqu’au dernier moment. On estime que si le confinement  avait été mis en place une semaine plus tôt, cela

aurait permis de réduire la surmortalité de moitié, voire même de deux tiers. Du fait de l’augmentation du nombre de cas, le confinement cet été a dû être imposé plus longtemps qu’ailleurs en Europe. Six semaines plus tard, le gouvernement est obligé d’introduire des restrictions nationales, les nouveaux cas s’élevant à 51 900 par jour. De plus, le programme de test et de traçage, présenté comme la panacée et le meilleur du monde, s’est avéré défaillant dès juin ; la situation ne s’est guère améliorée depuis. Le contrat avait été attribué à SERCO, une entreprise privée, sans appel d’offres. Elle coûte au contribuable 12 milliards de livres (le coût de la gestion de l’ensemble des effectifs de médecins généralistes du Royaume-Uni). 

Une fois de plus, cet automne, les leçons du Printemps 2020 ne semblent pas avoir été tirées : malgré les recommandations le 21 septembre de SAGE, le comité scientifique conseillant Downing Street, d’un quasi-blocage pour réduire les infections, le gouvernement a attendu le 1er novembre pour imposer un autre confinement d’un mois.

Parlons des membres de ce gouvernement, à la crédibilité de plus en plus affaiblie, et dont l’objectif n’est pas de servir le peuple mais plutôt ses propres intérêts : au fil des mois, différents évènements ont discrédité les ministres et conseillers du Premier Ministre Boris Johnson sans que celui-ci ne les licencie pour autant : d’abord Dominic Cumming, conseiller de Boris Johnson qui, en pleine crise sanitaire, s’est considéré exempt des restrictions imposées au reste des Britanniques et s’est rendu de Londres à Durham pour visiter ses parents. Le ministre de l’éducation, Gavin Williamson, est toujours à son poste, malgré son choix de méthode pour la notation de A level (équivalent du BAC) et GCSE (équivalent du brevet des collèges) cet été : un algorithme qui notait les élèves à la baisse. Sous la pression publique, il a fini par revenir sur sa décision.  Quant à l’ultra réactionnaire leader de la Chambre des Communes britannique, Rees-Mogg, connu pour son mépris de la Sécurité sociale, pour son opposition à l’avortement (même en cas de viol), et pour avoir offensé les survivants de l’incendie de Grenfell, en avril

2020, il a déclaré aux clients de l’entreprise qu’il a créée (Somerset Capital Management, SCM) que la chute des marchés boursiers dans le monde entier depuis le début de la pandémie était une excellente opportunité pour les investisseurs.

L’une des dimensions les plus intrigantes du Brexit (probablement surtout vu de l’extérieur) c’est le nombre de problèmes qu’il a créé. Tout d’abord, il y a le danger pour le processus de paix en Irlande du Nord qui se manifeste à travers le problème de la frontière terrestre avec la République d’Irlande – la paix irlandaise ne préoccupait pas David Cameron lorsqu’il a suggéré le référendum (il faut dire qu’il ne croyait pas que les Britanniques voteraient en faveur du Brexit). Cela a été l’une des principales difficultés des négociations en raison de la nécessité de contourner une frontière « dure » entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud. La solution de Boris consiste à créer une frontière en mer d’Irlande, de sorte que l’Irlande du Nord reste en union douanière avec l’UE mais pas avec le reste du Royaume-Uni. Comment peut-on parler de Royaume-Uni quand une région du royaume n’en fait plus partie ?

Ensuite, l’Écosse : les Ecossais ayant voté à une écrasante majorité contre le départ de l’Europe, cela a donné un élan à la campagne pour l’indépendance et risque fort de conduire à un nouveau référendum. En outre, comme l’Écosse a géré la crise Covid-19 indépendamment de Westminster, la perspective de l’indépendance semble maintenant plus probable et a gagné en popularité. 

Mais peut-être ce concept d’un Royaume-Uni était-il plus une idée qu’une réalité. Une chose que nous avons apprise, c’est que nous sommes maintenant conscients des nombreuses différences et divisions qui existent à l’intérieure de cette soi-disant Union. Avec les changements opérés par le Brexit et par le Covid-19, il est difficile d’imaginer que les choses resteront les mêmes. Auparavant, nous avions un bouc émissaire commode à blâmer lorsque les choses tournaient mal. Une fois que nous aurons quitté l’Europe, à qui devrons-nous attribuer tous nos problèmes ? 

Franck Smith

Cet éditorial fait partie de notre numéro de décembre 2020, à retrouver ici et à commander ici !

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