Guillaume François – « La nature est une bibliothèque de connaissances. »

Le photographe jurassien spécialisé en images de la nature exposait l’été dernier à Baume-les-Messieurs. Depuis, il a multiplié ses projets auprès du Vivant. L’artiste engagé espère un monde plus humain, proche de l’environnement et de l’essentiel. L’occasion de revenir sur le parcours d’un amoureux de la faune et de la flore.

Dans l’abbaye du petit village jurassien, on respire. En silence, les visiteurs rêvent devant les grandes photos lumineuses. Un renardeau fouillant derrière des cardamines, un hibou Grand-Duc prêt à prendre son envol avant la tombée de la nuit, un lynx à moitié caché par les hautes herbes… le temps d’un instant, la nature envahit les lieux, bien loin des embouteillages touristiques en contrebas. A vaquer d’un animal à l’autre, on en oublierait presque le village battant son plein de l’autre côté de la porte. Adossé dans l’entrée, Guillaume François sourit derrière son masque. A un touriste planté devant une photo de crépuscule, il explique « il m’a fallu quinze ans pour parvenir à ce résultat. »

Un regard capté au coeur de l’hiver. © Guillaume François

« La plus belle école : la nature »

Son lien avec la nature, Guillaume François la tisse très tôt. Encore enfant, c’est dans l’émerveillement pour l’environnement qu’il grandit. « J’ai eu la chance de vivre en face de la forêt, raconte-t-il. J’avais seulement quatre mètres à faire pour entrer dans un monde extraordinaire. Gamin, ça me fascinait. Je suivais les empreintes des animaux, je m’imaginais les scènes de la vie sauvage. Je n’avais pas encore sept ans, et ce que je préférais c’était écouter et observer cet univers fabuleux. » Bientôt, cette observation ne suffit plus. Il lui faut aller plus loin, se rapprocher encore des animaux et de la nature. A l’âge de 10 ans, le jeune Guillaume passe sa première nuit en forêt. Deux ans plus tard, il tient en main son premier appareil photo, un outil qui ne le quittera désormais plus jamais. « Une de mes premières images, se souvient-il, c’est celle d’un renard passant dans un rayon de lumière. Ça a été une de mes premières émotions. »

A 17 ans, Guillaume François claque la porte de l’école. L’approche de la biologie telle qu’on essaie de la lui inculquer sur les bancs scolaires ne lui convient pas : elle est bien trop erronée par rapport à ce qu’il observe au jour le jour autour de lui. « Je n’étais pas vraiment en adéquation avec le système scolaire, assure le photographe. Pour moi, la plus belle école, c’est la nature.  C’est elle qui nous apprend le respect. La nature est une bibliothèque de connaissances, de notre culture, de notre humanité. D’autres civilisations l’avaient compris avant nous. »

L’image au service de la nature  

Devenu photographe à 17 ans, Guillaume François reste un amoureux du Jura. Lorsqu’il évoque sa terre natale, ses yeux brillent. On ne peut que boire ses paroles. « Ici, il y a une multitudes d’espaces, de milieux, d’espèces. J’arrive à trouver beaucoup de zones encore préservées, des endroits où la nature n’est pas encore perturbée par l’activité humaine. »  Les images du Jurassien fascinent par leur douceur et leur humanité. Derrière son objectif, on entendrait presque la nature palpiter. Une émotion intense s’échappe du papier glacé ; il semblerait que le lynx boréal échange avec vous un authentique et long regard. « J’ai été en quête de cet animal pendant des années, raconte le photographe. C’est l’animal le plus difficile à suivre en Europe. Pour entrer dans la nature, il faut y aller à pas feutrés, à bon rythme. Je me suis souvent endormi aux pieds des arbres en l’attendant. Ça a réveillé beaucoup de choses en moi. »

Il y a quatre ans paraissait son dernier livre, « Sentinelle », la première monographie européenne sur le Grand-Duc au crépuscule, qui vit dans les falaises de Baume-les-Messieurs. Mais si une espèce lui tient vraiment à cœur, c’est celle du Renard. Face à lui, la photo du petit renardeau assis au milieu des fleurs attire l’œil. « C’était un sacré moment, sourit Guillaume François. Le 27 avril 2012… Il y a des moments qui marquent ! Depuis quelques jours, j’avais repéré ce terrier pas très loin d’ici. La renarde allait chasser toute la journée, à 400 mètres de l’habitation, et ses cinq petits l’attendaient. Je passais des journées entières, caché, à les observer. Je la voyais au loin empiler campagnol sur campagnol. Puis un jour, un des petits s’éloigne du terrier. Je le vois s’approcher tout près de moi. Il s’assoit au milieu de l’herbe, il hume les cardamines, grignote les pissenlits… ça dure très peu de temps, une ou deux minutes. Et il s’en va retrouver ses frères et sœurs qui l’attendent avec des yeux ronds. » Ce moment privilégié, le photographe le revoie encore très bien. « C’est très émouvant d’assister à ça. Magique. C’est le moment où le renard dépasse ses limites, sa curiosité. Il porte la porte de ce monde pour nouer avec lui. »

Renardeau dans les prairies jurassiennes
Renardeau dans les prairies jurassiennes • © Guillaume François

Quand on évoque la situation des renards, Guillaume François ne s’arrête plus. Les yeux brillants, il visionne une courte vidéo prise quelques années plus tôt. Sur la glace, un couple de renards chasse et se chamaille. « Des fois, je me marre ! » rit-il en revoyant les images.  Puis il explique « le renard, c’est une espèce mal aimée en France. Pourtant, c’est un animal essentiel. Son rôle dans l’écosystème est primordial : il nous permet de lutter contre la maladie de Lyme par exemple, ou contre le réchauffement climatique puisque sa disparition fait augmenter l’effet de serre. Le tuer est une absurdité. C’est aussi un animal très beau, au regard fascinant, un être à la conscience supérieure à la nôtre. J’ai pu longuement observer ces liens sociaux, sa sensibilité. C’est un animal dont nous avons beaucoup à apprendre. »

L’image, c’est aussi ça : partager son amour pour la nature, cette sensibilité. « Elle a un rôle en soi, estime-t-il. Celui de revoir notre juste place dans cet univers fascinant. »

« Pour l’humanité, un nouveau chemin est possible »  

Mais Guillaume François ne s’arrête pas à la photographie. En quelques années, ce passionné a déjà animé près de 250 ateliers, basés sur le modèle scandinave « plus proche de la nature » : dans les prisons, dans les milieux défavorisés, dans les écoles où les jeunes « sont de plus en plus réceptifs. » Son but : partager son amour pour la nature et amener l’espoir. « Avec le coronavirus, la nature a montré une forme de résilience incroyable. Ça donne espoir. Contrairement à ce qu’on essaie parfois de nous faire croire, la nature ne se venge pas. Il faut repenser nos perceptions. »

Pour le photographe, être coupé de la nature est invivable. Ce lien est un besoin vital. « Le contact avec la nature, c’est une ressource, une énergie positive. C’est ce que je veux partager, en organisant des stages immersifs par exemple. » Relier l’humanité avec son environnement, telle semble être la priorité de Guillaume François. « Avant, des civilisations étaient connectées à la nature toute leur vie. Ils avaient un savoir et une connaissance incroyables, infinie, parce qu’ils étaient connectés à plus grand qu’eux. Nous, on s’est fait bouffer par le progrès, par la religion. Alors que ces civilisations décryptent, nous, on détruit. On a perdu ce lien, l’autosuffisance, cette capacité à survivre. Je crois qu’aujourd’hui, on peut voir la vie autrement. Ce n’est pas en suivant un troupeau qu’on parlera avec notre propre perception des choses. »

La chouette chevêchette du massif jurassien
La chouette chevêchette du massif jurassien  © Guillaume François

Alors que nous sommes actuellement au pied du mur, Guillaume François, lui, voit avant tout l’espoir. Un sentiment qu’il parvient à diffuser autour de lui : « Il ne faut pas toujours montrer que l’horreur, dit-il. C’est important de faire passer des messages positifs. J’ai confiance en l’avenir. Bien sûr qu’il y a de l’ignorance, des personnes qui refusent d’entendre ce qui se passe. Mais on développe de plus en plus une conscience de la nature. La nature, c’est avant tout de la beauté, et ce qu’on trouve beau, ce qu’on aime, on se doit de le protéger. »

« Sois le changement que tu veux voir s’opérer dans le monde » enjoignait Gandhi. Guillaume François ne s’est pas fait prier. En parallèle de ses activités de conférencier, il a notamment lancé une chaîne youtube. Le premier épisode de sa série « nos liens avec le vivant » s’intéresse d’ailleurs… au renard. Une vidéo suite à laquelle deux chasseurs ont déjà annoncé « poser le fusil. » Dans les projets à venir : un court métrage sur les renards polaires en Scandinavie, un film sur la forêt qu’il aime depuis son enfance, le lancement de sa boîte de production… Le photographe bouillonne de projets. « On évolue, on peut avoir une empreinte, martèle-t-il. On ne règlera pas la question environnementale tant qu’on ne règlera pas la question humaine. Or c’est aussi la nature qui peut recréer nos liens. »

Alors que la salle d’exposition se remplit peu à peu, Guillaume François jette un regard aux animaux qui le fixent. « Il faut renouer nos liens avec les origines du vivant, conclut-il. Voir les choses avec notre cœur. Aujourd’hui, il nous manque encore ça. »

Pour aller plus loin : Vous pouvez découvrir en bas de page le magnifique Plaidoyer pour la nature réalisé par Guillaume François en novembre dernier. Le photographe a également créé un calendrier dont 50 % des gains iront aux associations de protection de la faune sauvage Athénas et Rewild. Pour plus d’informations, rendez-vous sur son site. Vous pouvez également découvrir :

sa chaîne youtube

son compte instagram

sa page facebook

Charlotte Meyer

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