Politologue spécialiste des Etats-Unis et chercheur associé à l’Institut des Amériques, Didier Combeau a fait paraître en 2020 « Être Américain aujourd’hui : les enjeux d’une élection présidentielle » chez Gallimard.
« L’histoire des Noirs en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique. Et ce n’est pas une belle histoire. » – James Baldwin, I am not your negro.
Vous avez beaucoup écrit et travaillé sur le concept de violence. Pouvez-vous le définir rapidement pour nos lecteurs ? De quoi parle-t-on quand on parle de violence ?
L’idée de violence a plusieurs dimensions. Il y a d’abord la violence physique. Cette violence policière est effectivement plus mortelle aux Etats-Unis (quatre à cinq fois plus élevée qu’en France). Toutefois, la société américaine est aujourd’hui moins violente qu’elle ne l’a été. Dans les années 1960, il y a un pic du nombre d’homicides. Mais à partir du milieu des années 1990, pendant les années Clinton [1992 – 2000 NDLR], le taux d’homicides a commencé à diminuer, pour revenir aujourd’hui au taux des années 50. Si on compare avec les manifestations qui ont eu lieu ses derniers mois, elles sont certes violentes mais elles le sont beaucoup moins que d’autres manifestations qui ont eu lieu dans l’histoire américaine, comme les émeutes de Détroit en 1967 qui ont fait 43 morts et 467 blessés, ou encore les émeutes de 1992 à Los Angeles, suite à l’acquittement des policiers qui ont passé à tabac Rodney King en mars 1991 [Ces émeutes, les plus meurtrières de l’histoire de Los Angeles ont fait 58 morts et plus de 2000 blessés NDLR.]
La violence est aussi une violence économique, qui s’articule autour de la responsabilité individuelle avec cette image du « self made man » encore très présente dans l’imaginaire collectif américain. Aux Etats-Unis, l’assurance santé est liée au contrat de travail. Le système médical américain étant un des plus chers du monde [un accouchement naturel, sans complication à New York coûte 28 000 $ NDLR], de nombreuses personnes se passent souvent d’assurance [le coût moyen annuel d’une mutuelle américaine pour une famille de quatre personnes s’élève à 17 545 $ NDLR], creusant ainsi de grandes inégalités sociales et médicales. Il y a également une grande violence symbolique illustrée notamment par la polarisation des deux partis politiques américains : les Démocrates et les Républicains. Les uns sont de plus en plus libéraux, et focalisés sur le droit des minorités. Les autres de plus en plus conservateurs et protectionnistes.
Port d’arme, nombreuses personnes assassinées par la police, peu de protection sociale, une logique économique relativement agressive pour les travailleurs… Dans quelle mesure peut-on parler d’une culture de la violence aux États-Unis ?
La violence est effectivement l’épine dorsale de la culture américaine. On le voit au cinéma, à la télévision, dans les séries, dans la société avec les violences policières. On présente souvent les violences policières sous l’angle du racisme, mais ce n’est pas seulement cela, les ¾ des personnes tuées par la police ne sont pas afro-américaines. Chaque année plus de 1000 personnes sont tuées par la police américaine. Même si l’on ne considère que les victimes non afro-américaines, la police américaine est infiniment plus violente que la police européenne [A titre de comparaison en France, en 2019, 26 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre selon le média indépendant Bastamag, NDLR]. Le caractère spécifique de la violence aux Etats-Unis, c’est surtout sa létalité. Ce nombre de morts conséquent s’explique notamment par la prolifération des armes. Les armes à feu apparaissent comme un moyen individuel de défense. Le port d’arme aux Etats-Unis, c’est le pouvoir individuel de défendre sa communauté contre la délinquance et la possibilité de prendre les armes contre un gouvernement s’il devient tyrannique. Un droit fondamental défendu de manière très virulente par certains. Prenons par exemple les manifestations contre le confinement au Michigan. Des manifestants participent à la manifestation en armes et certains d’entre eux sont même rentrés dans le Capitole. Ces images d’individus armés, en treillis pour certains, ont beaucoup choqué les médias internationaux. L’objectif d’une telle action n’est pas tant de menacer physiquement les représentants du pouvoir que de montrer que le peuple a les moyens de prendre les armes et de se défendre s’il le souhaite.
Aux Etats-Unis, le fait de participer à l’autodéfense dans des groupes, au sein de son quartier est une forme d’engagement civique. Ce n’est pas seulement pour soi, mais aussi pour la communauté qu’on fait cela. Ces forces de l’ordre amateurs peuvent, comme la police, se rendre coupables de bavures. Il suffit de voir comment le 26 février 2012, Trayvon Martin, un jeune homme noir de 17 ans, sorti acheter une canette de soda et des bonbons, est abattu par un « vigile de quartier ». Ce vigile était un homme blanc, George Zimmerman, âgé de 28 ans, qui effectuait des rondes de voisinage suite à des cambriolages dans le quartier.
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