Il y a quelques jours, une radiologue m’a dit : “Votre IRM ne montre rien. Vous êtes sûre que vous avez mal ?”. Non, bien sûr. J’ai pris rendez-vous il y a trois mois, posé ma journée, passé une demi-heure dans une boîte assourdissante mais je n’ai pas mal du tout. Vous avez raison, à quoi avais-je la tête ? Je vais gentiment rentrer chez moi et reprendre le cours normal de ma vie non douloureuse.
Il y a quelques années, face à une telle réaction et aux mots “absence de symptomatologie pouvant expliquer la douleur” écrits noir sur blanc, j’aurais baissé les bras. Je me serais inclinée aussi bas que mon corps me le permet devant la Médecine avec un très grand M, supposée tout savoir sur nos corps et leurs dysfonctionnements. Je n’ai rien, j’exagère, c’est juste dans ma tête. Mais plus maintenant. L’impression d’être illégitime est remplacée par de l’agacement, une colère sourde qui me pousse à me battre pour que les handicaps invisibles soient davantage reconnus et pris en compte.
La douleur est là, partout et tout le temps. Quand je me lève le matin, j’ai mal. Quand je dois patienter dans une file d’attente, même cinq minutes, j’ai mal. Quand je tape sur un clavier d’ordinateur, pour écrire ce billet par exemple, j’ai mal. La maladie déclenche aussi une fatigue chronique qui me pousse souvent à rester au lit sans rien faire, pas parce que j’en ai envie mais tout simplement parce que je n’ai pas la force de faire autrement. J’accepte petit à petit l’idée que je ne vais jamais guérir, et qu’il y a même de fortes chances que la situation empire au fil du temps. Alors oui, les images ne semblent rien montrer. Mais mon corps, lui, dit bien qu’il se passe quelque chose ?
Pour beaucoup de professionnels de santé (et vous devrez me croire sur parole, parce qu’il n’y a pas encore de recherche fiable menée sur le sujet), la fibromyalgie est un diagnostic fourre-tout qui n’a pas de véritable valeur médicale. Mais la vérité, comme me l’a montré ma super médecin, c’est surtout qu’ils ont du mal à reconnaître qu’ils ne savent pas. S’ils ne réussissent pas à l’expliquer par de belles données mesurables dans un tableau, c’est sans doute que ça n’existe pas. Alors on nous renvoie chez nous en préférant prétendre que c’est nous qui faisons toute une histoire pour pas grand-chose.
Et chez nous, justement, les choses sont parfois difficiles. Comment dire à un·e employeur·euse qu’on ne peut pas tenir debout trop longtemps, mais pas non plus rester trop longtemps assis·e sur une chaise ? Très vite, j’ai arrêté d’en parler à une bonne partie de mon entourage : au fond, rien ne change, hier j’ai eu mal, aujourd’hui j’ai mal, demain j’aurai mal, à quoi ça sert de le répéter ? C’est répétitif et décourageant, j’ai peur de susciter leur lassitude ou pire, leur inquiétude. “Oui allô Maman, j’ai encore passé ma journée sur le canapé alors que j’avais prévu d’aller faire des courses, et toi ta journée ?”. Il y a les séances de kiné plusieurs fois par semaine, les rendez-vous avec ma psychologue, les espoirs souvent déçus du côté des médecines alternatives, la maladie prend beaucoup de place dans le quotidien. Heureusement, j’ai la chance de vivre avec une personne elle aussi malade chronique, qui comprend bien mon fonctionnement et ne me fait aucun reproche si je ne suis pas capable de faire la vaisselle. Au contraire, c’est plus souvent lui qui me rappelle de faire attention à ne pas trop tirer sur la corde en prétendant pouvoir faire trop de choses.
J’ai l’impression de me plaindre sans cesse, de faire du cinéma alors qu’il y a plus grave, et j’ai d’ailleurs eu énormément de mal à écrire ces lignes de peur que vous pensiez la même chose. Mais en réalité, c’est surtout moi-même qui m’adresse ces reproches, et je ne pense pas que l’existence de faits plus graves nous interdise d’exprimer nos propres difficultés. Ce mode de pensée est véhiculé par une société qui invisibilise nos douleurs, et il serait grand temps que ça s’arrête.
Cet article fait partie de notre sélection gratuite de notre magazine n°2 disponible ici !
Image à la Une : Jairo Alzate
