Joseph Ponthus, l’écrivain qui parlait de l’humanité

Il y a une semaine, l’auteur disparaissait brusquement à l’âge de 42 ans. Il était notamment connu pour son livre A la ligne qui plongeait le lecteur dans les réalités de l’Usine. Le roman avait été récompensé par de nombreux prix, dont celui du Roman Populiste Eugène Dabit. Les témoignages qui suivent montrent tout l’impact qu’il laisse dans le milieu littéraire.

Nicolas Houguet « Joseph Ponthus était un écrivain à la voix différente, audacieuse, vraie »

Dans les réactions qui suivirent la nouvelle de la disparition de Joseph Ponthus, il n’y eut pas trace de ces hommages automatiques qui pullulent sur les réseaux. Là c’était un homme qui allait beaucoup manquer. Sa présence. Ce qu’il dégageait. Son humanité, son talent, son engagement et sa gentillesse. Que même ceux qui ne l’ont connu que de loin avaient fini par ressentir.

Il est l’auteur d’un livre extraordinaire d’audace dans une époque qui se cherche des cases. Il échappait à toutes avec élégance et sincérité. A la ligne est paru en 2019 aux éditions de la table ronde et il a marqué tous ceux qui l’ont lu.

Ecrire la fatigue, la douleur, l’abrutissement, la dureté du travail en usine. Sans ponctuations et adoptant une disposition en vers libres. Pas un reportage, pas un témoignage. Une poésie ouvrière. La culture pour tenir le coup et pour braver l’absurde. La pensée qui s’évade pour dépasser la répétition mécanique des gestes. Se demander ce que Dumas aurait écrit s’il avait travaillé à la chaine. La précarité pure d’un travailleur intérimaire. Le vrai visage du capitalisme. La manière dont une usine morcèle des vies humaines dans des missions harassantes et ridicules.

Transformer ça en beau. Comme Apollinaire a sublimé l’horreur de la guerre. Se fondre dans les mots de Ponthus, dans son regard. L’entendre penser, se réfugier dans la littérature. Dire le présent, les visages qu’il croise, les abus qu’il subit. En filigranes, on ressent son histoire d’amour. Il décrit tout ce que lui évoque le monde autour de lui. A hauteur d’homme. Pas comme quelqu’un qui découvrirait un phénomène sociologique, pas comme un militant engagé. Comme un être humain qui sait saisir autour de lui des destins dans quelques mots. Dans une attitude. Dans un geste. Parfois sa tâche prend des allures presque dadaïstes, quand il doit égoutter le tofu, terrible également, épuisante. En funambule entre la fable et le cauchemar d’une réalité dont on sous-estime souvent l’impitoyable dureté.

Et puis il y a l’écriture qui semble nous faire entendre sa voix. Sans points pour la rythmer, on s’accroche à chaque mot comme on écouterait les confidences d’un ami. Ou une chanson dont on aimerait les paroles qui suggèrent un aspect du monde que nous ne connaissions pas.

Et ça rayonne.

Et ça prend la lumière, même au milieu du noir.

Chaque bribe de grâce que l’on peut choper pour tenir le coup.

Ça devient poème.

Et ça change tout.

On n’est pas dans le témoignage, on est dans le flux de conscience, l’intériorité, là où s’écoulent les rêves et les associations d’idées. Dans la boue transformée en or où naissent les métaphores. Dans le fracas des usines qui devient une symphonie d’existence.

Lire ce livre, c’était avoir le sentiment de connaître ce mec, de le comprendre et de l’aimer. Cette citation de Salinger qui disait qu’un auteur qu’on aime, on avait envie de devenir ami avec lui. C’est l’effet que faisait ce livre unique. Une révélation. Un écrivain à la voix différente, audacieuse, vraie. Un mec bien aussi d’après tous ceux qui l’ont croisé. Que tout le monde aimait et qui était généreux, talentueux, solaire, intègre.

Je ne le connaissais pas, je ne l’ai croisé qu’une fois ou deux.

Mais ça m’a fait bizarre.

Parce que je voulais parler de son livre. Parce que des amis ne cessaient de m’en dire du bien. Parce qu’il avait mon âge. Parce qu’il était drôle et inspiré sur les réseaux sociaux.

Il y avait ce beau texte, et il y avait cet auteur qui lui ressemblait.

Parce que ce n’est pas si souvent qu’on attend la suite.

Et puis il est parti. Il ne saura jamais que je l’ai lu et aimé. Il ne saura jamais qu’on aurait pu être potes.

Alors, chère mort, si tu me lis, je proteste.

Et Joseph, on se souviendra de toi.

Merci d’avoir écrit.

Gilles Marchand, « Il a mis de la lumière là où il n’y en avait pas »

Il a mis de la lumière là où il n’y en avait pas. Il a éclairé des visages et leur a redonné une dignité. Pas d’angélisme chez Joseph mais une profonde humanité. Son enthousiasme, son sourire, sa manière de vous faire comprendre que vous comptiez pour lui. C’était peut-être cela la grande force de Joseph : que vous l’ayez connu à un salon du livre ou à une chaîne de montage, il vous regardait de la même manière, avec la même chaleur. Je me souviens qu’il avait rencontré mes parents chez un libraire bordelais et que depuis, à chaque fois que nos routes se croisaient, il me demandait de leurs nouvelles. Et ce n’était pas une formule de politesse.

Charlotte Milandri, « Il parlait de l’humanité, Joseph »

Quiconque a croisé Joseph Ponthus, même deux minutes, se souvient de lui. Il y avait chez lui l’évidence de la rencontre, l’attention renouvelée sans cesse à l’autre, comme si à lui seul il détenait toute l’humanité de la terre. Dans A la ligne, il parlait de lui, mais davantage il parlait de ses compagnons d’abattoir qui tous les matins encore sont sur la chaine, des auteurs qu’ils aimaient tant, de son chien si fidèle, de sa femme tant aimée et de nous. Il parlait de l’humanité, Joseph, sans jamais se défaire d’un rire de gorge, d’un sourire appuyé, dans une si douce sensibilité. Il ne baissait pas le regard Joseph, son regard bleu, qui parfois s’embrumait d’émotion. Il vous regardait et alors vous aviez la sensation qu’à cet instant précis, personne d’autre que vous n’avait de l’importance. C’est un don rare, Sa capacité d’émerveillement était insatiable, alors même qu’il avait vu l’horreur. Comme un gamin face au succès de son roman, il voulait discuter, apprendre, partager. Tous ces verbes qui tendent vers l’autre. De lui, il reste ses mots et l’empreinte qu’il aura laissée dans chaque regard croisé. Je vais reprendre ce texte et tout remettre au présent. Je veux nier la vérité. Il est des sujets que l’on refuse de conjuguer au passé.

Lisa Balavoine, « Tous ces textes que nous aurions eu besoin que tu écrives »

Vers la fin de ton merveilleux
A La Ligne,
Il y a ces mots
« Et tous ces textes que je n’ai pas écrits »
C’est à cela que je pense Joseph Tous ces textes que nous aurions eu besoin que tu écrives
Et que nous ne lirons pas
Cela va manquer
Ton regard tes mots
Cela va manquer
Ton humanité ta pensée
Cela va manquer
Parce que tu savais dire
La beauté la douleur l’entraide le monde
La joie la douleur le travail l’amour
Cela va manquer c’est sûr
A tous ceux qui t’ont aimé Joseph
Et puis il y a aussi
Ce qui va me manquer à moi
Ton numéro qui s’affiche sur mon téléphone
Ta voix qui me demande si ça va, si j’écris, si j’aime, si je vis
Et toi qui n’es plus là pour me dire tout ça
Ça va me manquer
Ce n’était pas grand chose mais comme ça comptait
Des personnes comme toi dans ce monde-là
C’est assez rare pour être souligné
La gratuité des sentiments
La générosité du cœur
L’immensité du talent
Dans un écrin d’humilité
Tu vas manquer Joseph
Tu es si vite passé qu’on n’a pas eu le temps
De tout se raconter
De tout lire de toi
Ça va tellement manquer
Dans ce monde qui ne sait plus où il va
Quelqu’un comme toi.

A lire :

À la ligne
Joseph Ponthus, A la ligne, feuillets d’usine, aux éditions de la Table Ronde.


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