Pesticide ou « Ecocide », comment couper la betterave en deux ?​

Alors que depuis 2016 l’usage des néonicotinoïdes était interdit, le gouvernement a créé une polémique en votant la réintroduction temporaire de ces pesticides le 4 novembre dernier. Entre betteraves malades et abeilles folles, la réintroduction de ce produit nocif pour l’environnement mais essentiel aux agriculteurs fait débat. Mais pourquoi est-il au cœur d’autant de controverses ? Quelles sont les problématiques qui se cachent derrière ? Rencontre avec Alain Carré, planteur de betteraves sucrières.  

Des pesticides essentiels pour la survie des agriculteurs et du secteur betteravier 

Feuilles qui deviennent jaunes et s’épaississent en devenant cassantes avant de virer au rouge… Pas de doute, la jaunisse de la betterave a fait un retour malheureusement fulgurant en 2020. Cette maladie transmise par les pucerons peut amener à une perte de rendements de plus de 50 % pour les agriculteurs. Pour ne rien arranger, à cause du réchauffement climatique, les pucerons se sont développés très tôt cette année et la sécheresse de l’été 2020 avait déjà fragilisé les récoltes. Pour Alain Carré, agriculteur de 52 ans près de Troyes, De mémoire d’hommes (cela fait 30 ans que je suis agriculteur), je n’ai jamais vu une attaque de pucerons comme celle-la, c’était une invasion à stade très jeune. On a donc employé les mêmes produits qu’en 2019 (Teppeki et Movento censés remplacer les néonicotinoïdes depuis 2018), mais ils ont été complètement dépassés. De semaine en semaine jusqu’à la récolte, plus on remontait moins il y a fait de pucerons donc moins d’attaque de jaunisse, et plus on descendait vers le sud, plus on était impactés. Des personnes qui faisaient des moyennes de 95 tonnes sur plusieurs années se sont retrouvées à 30 tonnes, 35 tonnes. Moi, je fais 100 tonnes de moyenne et là je suis arrivé à 55 tonnes.” 

Heureusement, l’État a permis aux agriculteurs d’accéder à une aide, certes pas à la hauteur de leur rendement habituelle mais qui a permis à nombre d’entre eux de tenir l’année. Le CGB, la confédération des planteurs de betteraves, qui existe depuis maintenant cent ans, a fait remonter notre cas à nos parlementaires : on leur a expliqué qu’il se passait des choses en plaines très bizarres avec la jaunisse et que ça allait fortement impacter les exploitations. Ils ont prévenu le préfet, la direction départementale des territoires. Pendant 6 mois il y a eu une tractation, des allers retours pour dire oui une indemnité mais de combien ?  Moi j’ai un rendement moyen de 90 tonnes,. Si on retire les 35% de franchise de l’Etat ça fait autour des 32-33 tonnes,. Donc mon rendement c’est 57 tonnes, j’en ai fait 55 donc je vais être indemnisé de 2 tonnes. Ce qui est faible pour beaucoup d’agriculteurs  : 2 tonnes, ça ne va pas changer grand chose.​”  

« C’est pas normal de travailler pour se suicider. »

Si pour 2020 le mal est déjà fait, les agriculteurs ne veulent plus revivre la même perte économique. Pour eux la seule solution est la même que celle votée à l’Assemblée: autoriser le retour des néonicotinoïdes. “Ça fait déjà fort longtemps que j’en fait usage. On vit avec la nature : quand il fait sec la betterave elle souffre, quand il pleut elle est contente… On a des agresseurs qui attaquent la plante parce qu’ils la voient comme de la nourriture. Nous, on veut simplement protéger nos betteraves pour pouvoir alimenter le rendement des sucreries. Depuis les années 92 ou 94 jusqu’en 2018, on prenait tous des betteraves enrobées de néonicotinoïdes (c’est un enrobage autour de la graine de façon à la protéger), pour éviter de pulvériser en plein champ. Au départ ce traitement qui protégeait la betterave était fait pour le bien de l’environnement. Il évitait d’employer des insecticides beaucoup plus violents où tous les insectes sur le passage en prenaient un coup. À cette époque, c’était donc un progrès de la science, un pas en avant : on traitait moins les insectes en végétation, on tuait seulement les insectes qui venaient piquer la betterave. Suite à l’interdiction, on s’est demandé comment on allait faire si les pucerons arrivaient. On nous a dit de ne pas nous inquiéter car on utiliserait d’autres techniques de lutte.​” explique Alain.

Ce qu’il faut comprendre c’est que nous en agriculture on avance de l’argent sur un an pour récolter, puis après on touche le fruit de notre travail, on a un cycle assez lent : si le cycle est mauvais il faut attendre de nouveau un an, ça fait mal. En ce moment, le secteur agricole souffre pour diverses raisons. Il y a beaucoup d’exploitations dans le rouge. Donc on ne le vit pas bien, moralement c’est très dur.  On produit essentiellement la nourriture de base pour nourrir nos concitoyens, on nous dit maintenant que ce qu’on fait ce n’est pas bien, on nous montre du doigt, c’est déjà dur à accepter. Sauf que quand on fait mieux, on produit moins, donc on gagne moins, c’est nous qui nous retrouvons en difficulté. Le monde agricole c’est quand même la profession qui se suicide le plus, c’est pas normal de travailler pour se suicider.​”

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