Le graffiti, moyen d’expression populaire, est le mode de communication en voie de développement dans nos sociétés sécuritaires et silencieuses. Seuls les emmurés vivants savent reconnaître la valeur de l’acte : clamer une existence dans les couleurs d’un cri.
Le graffiti crié sur le mur obscur
Le graffiti urbain, on l’associe au hip hop, dans le meilleur des cas. On l’associe parfois à la culture underground. Le graffiti urbain, on ne l’aime pas franchement. Il fait sale sur nos jolis bâtiments tout neufs, tout propres. Car, le graffiti urbain – le vrai, le vandale, celui qu’on a fait la nuit ; non, pas celui place Beaubourg ; l’autre, celui qu’on recouvre et qu’on cache –, ça fait banlieues, ça fait pauvre. Et puis, comme le dit si bien Wikipédia, « le graffiti urbain se développe souvent dans un contexte de tensions politiques ». Mai 68, le Reichstag ou le quotidien miteux, n’est-ce pas la même chose au fond ?
Le graffiti urbain, c’est une parole pour celui qui en est privé, pour l’aphone ou le muet. Pour celui qui n’a pas trouvé le droit d’écrire, celui qui n’a pas le soutien socio-culturel pour être propulsé aux premières loges de l’Opéra, pour celui qui n’a pas pu payer d’école de commerce, ou qui était trop coloré pour faire de la politique. Celui, en somme, à qui l’on dit de se taire. Effectivement, le graffiti urbain se rencontre majoritairement dans les banlieues, zones ignorées, zones cachées, zones de pauvreté. Face à cette parole confisquée, un seul geste : écrire ma plaie sur l’asphalte, sur le ciment et le crépit. Tu me couds la bouche de ton fil doré ? Je danserai sur le bitume gris dans lequel tu m’emmures.
Un graffiti urbain, qu’est-ce que c’est ? Un nom, une insulte, un dessin : c’est un cri. Un nom inconnu, c’est dire : j’existe. Une insulte, c’est clamer : tu ne m’écraseras pas. Un dessin, c’est crier : tu me vois, malgré toi.
Paroles muettes
Avril 2021.
Au compteur : Projet de loi LPPR stipulant 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende pour l’occupation d’une faculté, interdiction de manifester pour cause de Sars-Cov-2, augmentation des pouvoirs accordés à la police à travers la loi de sécurité globale. Les rues sont muettes et vides. Le lieu commun n’existe plus. Les révoltes à l’air libre sont prohibées. Paroles éteintes.
Pourtant, les raisons de parler, de débattre, de crier, de rire, de discuter, de chanter, de débattre encore, de s’aider, de vivre, de réfléchir, de comprendre, de s’expliquer, de revendiquer, de se révolter ou de se faire entendre ne manquent pas. Silence. En silence, les choix politiques s’opèrent, choisissent d’aider ou de ne pas aider, font une croix sur des centaines de personnes. Delete. Epidémie de suicides dans le monde étudiant. Delete. Epidémie de suicide chez les entrepreneurs. Delete. Bientôt, épidémie de suicides chez les intermittents. Foule muette, foule muselée. Face aux mesures, face à l’abattement, à l’abandon ouvert d’un gouvernement banquier, les paroles ne fusent même plus. Suicides silencieux.
Une voix
Assise à mon bureau, je repense à ce que je viens de lire, à ce qui m’a résolu à inscrire mes graffiti de stylo bille sur la page blanche. Je repense à la réponse du gouvernement à l’occupation des opéras français : le renouvellement de l’année blanche pour les intermittents est une ligne rouge à ne pas franchir. Certains auront des aides, bien sûr. Certains …, bien sûr. Texte à trou et imprécisions. Et je me demande : est-il possible de supprimer allégrement toute possibilité d’une vie culturelle ? Est-il possible de faire taire la dernière expression, même esthétisée, même élitiste, d’un peuple ? Est-il possible de fermer la dernière bouche, les dernières oreilles, les derniers yeux de nos poumons ? Musique, danse, arts plastiques, théâtre : autant de derniers remparts d’une liberté d’expression.
La culture, graffée, taguée, sur le mur noirci de nos libertés.
Le tag : dernier espoir de démocratie.
Cet article fait partie de la sélection gratuite de notre numéro 4, « (Ré)inventer la Démocratie ». Vous pouvez vous le procurer ici. 🙂
