Culture, lève-toi !

C’est un fait souvent répété : depuis des siècles, la culture française rayonne à travers le monde. Pourtant, l’investissement de l’Etat dans ce domaine continue d’aller decrescendo. Nous republions ici une tribune publiée avant l’épidémie de coronavirus. Les chiffres datent de 2019 mais le propos reste d’actualité.  

« La culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur la terre. » André Malraux

Culture. Petit mot pour tant de significations. La France a la chance d’être un des pays les plus développés en terme de culture. La culture des boissons, de la nourriture, l’art… Autant de diversités qu’il est possible d’en avoir.

Quelques chiffres concernant la culture française…

  • 16 000 lieux de lecture publique
  • 500 librairies labellisées par le ministère de la Culture
  • 2 000 cinémas et 5 800 écrans
  • 440 lieux de spectacle labellisés par le ministère de la Culture
  • 1 200 musées de France et une quarantaine de musées nationaux
  • 51 centres d’art et plus de 400 jardins remarquables
  • 200 villes et pays d’art et d’histoire

De plus, la France est l’un des seuls pays (si ce n’est LE seul) où il y a une véritable culture d’Etat. En effet, comme pour la santé ou l’éducation, l’Etat intervient dans le domaine de la culture. Peu, mais il intervient.

André Malraux DP

Le bilan Malraux

On se souvient du premier ministre de la Culture, ou plutôt des Affaires Culturelles, André Malraux. Celui-ci avait tenté de développer un maximum la culture dans la France du début de la Vème République. Malheureusement, le trop léger soutien du Président de la République et du Premier Ministre ne lui avait pas permis de faire avancer les choses comme il le souhaitait. Resté pendant 10 ans aux Affaires Culturelles, son bilan sera malgré tout supérieur à la hauteur de ses moyens : honorable; notamment avec l’idée de la création des maisons de la culture, véritables havres de paix pour les curieux.ses. Le projet de Malraux était de créer des maisons de la culture un peu partout en France. Lieu de représentation de spectacles, de lecture, de créations artistiques … Tout pouvait être espéré dans les maisons de la culture. Cela semblait être une véritable traduction de ce que doit être la culture en France : un partage et un regroupement de plusieurs produit culturels dans un seul et même lieu. Mais voilà, difficile de tout faire quand nous n’avons rien, c’est-à-dire aucun moyen. Depuis Malraux, le budget du ministère de la Culture n’a pas excédé les 3% de celui de l’Etat. Aujourd’hui, il représente à peine plus de 3 milliards d’euros. Pourtant la culture rapporte : en 2018, elle contribue pour 2, 2% au Produit Intérieur Brut français selon le site du ministère de la Culture.

Un investissement étatique moindre

Il semble difficile d’accepter que la culture française soit tant mise en avant dans notre société et qu’elle reçoive aussi peu d’investissement de la part de l’Etat.

Outre un manque crucial d’investissements culturels de la part de l’Etat, les objectifs culturels portés par l’actuel ministre de la Culture, Franck Riester, semblent plutôt vagues. Cet homme très politisé et actif sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, laisse apparaître des goûts artistiques éclectiques noyés parmi des tweets plus politiques. Sa prédécesseure Françoise Nyssen, célèbre éditrice, quitte par ailleurs son poste de ministre sans réformes phares et sans grands bouleversements. Elle regrette de « ne pas avoir pu faire profiter le gouvernement de [s]on expertise de l’édition« , une expertise qui était pourtant la raison essentielle de sa nomination. Pour Charles Berling, acteur et co-directeur du théâtre Le Liberté de Toulon,

« A l’exception de Jack Lang, tous les ministres nommés à la Culture ont été méprisés ces dernières décennies. […] La culture en France est progressivement grignotée par les pouvoirs de l’argent. ».

Jack Lang DP

La question des subventions culturelles fait en effet débat. Pour certains, elles donnent lieu à un “grand gaspillage” et sont aspirées par des chantiers pharaoniques. L’un des plus célèbres exemple de ce “gâchis” est le MuCEM marseillais (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), dont la création aura coûté 167 millions d’euros (sur les 88 millions prévus à l’origine). Ces larges dépassements budgétaires témoignent également d’une profonde inégalité de répartition des subventions : de grandes institutions telles que le Centre Pompidou voient leur budget de subvention revus à la baisse (comme en 2011 où celles-ci ont baissées de 5%).

De plus, la culture dans laquelle l’Etat investit semble de plus en plus sélective. En effet, après le drame de l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, le ministre Riester, peu entendu médiatiquement, a immédiatement réagi. Il va faire tout ce qui est en son pouvoir pour remettre en place le monument historique français : le budget du ministère risque d’y passer, et ce pour plusieurs années. En effet, selon la loi, le ministère doit investir à la même hauteur que les investissements privés. Soit ici près de trois milliards d’euros (de promesses de dons en tout cas). Nous reconnaîtrons ici volontiers que tout l’argent des particuliers n’a pas encore été versé. Mais quand bien même. Quand il s’agit d’un monument historique, qui fait le rayonnement français à l’étranger, qui est une véritable fierté nationale, l’Etat ne peut se permettre d’hésiter. Toutefois, est-ce une raison pour se précipiter ? La promesse de reconstruction rapide d’Emmanuel Macron (une cathédrale reconstruite en cinq ans n’est-ce pas un peu gros, même pour Jupiter ?) fait débat au sein des experts du bâtiment d’époque et des entreprises de reconstruction. Reconstruire un ouvrage aussi ancien et fragilisé que celui de Notre-Dame est davantage un minutieux travail de restauration qu’un faire-valoir électoral. De plus malgré les nombreux dons citoyens et les promesses mirobolantes des grandes fortunes comme la famille Arnault (qui a promis une enveloppe rondelette de 200 millions d’euros), qu’en est-il réellement ? Le 9 juillet 2019, alors que les travaux de reconstruction ne faisaient que commencer, Monseigneur Aupetit, archevêque de Paris, a déclaré : « Nous avons récolté 38 millions sur les 850 promis » et étonnamment (ou non…), ce sont les dons des milliardaires français qui tardent à venir … Coup de com’ ou coup de pouce, la culture reste un fond de commerce très rentable pour certains. Mais combien de bâtiments nationaux seront délabrés, combien d’intermittents seront dans la rue parce qu’ils n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins, combien de temps la culture va-t-elle devoir se faire grignoter par petit bouts avant que l’Etat ne décide enfin de prendre ses responsabilités ?

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La Comédie Française © Jean-Erik Pasquier

Et le 1% artistique ?

Présenté par le ministère comme “l’expression de la volonté publique de soutenir la création et de sensibiliser nos concitoyens à l’art de notre temps”, le célèbre 1% artistique est une obligation pour les collectivités territoriales de décorer les constructions publiques. Il se concrétise en général par la décoration de ronds-points, des bordures d’autoroutes ou encore dans le meilleur des cas d’une installation au cœur de la commune, près de la mairie. Toutefois cette mesure apparaît pour les communes davantage comme une contrainte que comme un “plus” de l’Etat. Souvent incomprises et moquées par le public, ces œuvres sont davantage vues comme une mesure de “bonne conscience” étatique que comme une véritable subvention culturelle. Une sorte d’excuse gouvernementale face à un milieu artistique de plus en plus précaire, qui laisse place à une culture française de plus en plus boiteuse.

De plus, cette demande du 1% artistique est une autre manière de faire de la discrimination positive. Cette méthode, qui semble partir d’un bon sentiment, consiste à “forcer” des structures à faire des actions pour permettre à tout le monde de s’intégrer. Par exemple, que chaque entreprise ait un certain pourcentage de personnes salariées en situation de handicap. Tout comme ce dernier exemple, le 1% artistique peut être perçu comme un poids pour les petites communes. En effet, elles ne savent pas forcément comment investir et prennent ça plus souvent comme une contrainte que comme une force (encore plus si le conseil municipal n’est pas très porté sur l’investissement culturel).

Et les intermittent.e.s alors ?

Evidemment, qui dit culture dit travailleur.euse.s dans ce secteur. Ainsi, en fonction des secteurs, les intermittent.e.s du spectacle doivent réussir à réunir 507 heures de travail dans l’année sur une période s’étendant entre 10 et 12 mois. Trouver des cachets devient de plus en plus difficile et plus le temps passe, moins l’Etat semble vouloir changer cette donnée. Et pourtant, l’art peut aider beaucoup de personnes ! Combien de salariés se sont retrouvés plus à leur aise pour s’exprimer devant du monde après avoir fait quelques cours de théâtre ou de chant ? Combien cela détend-t-il par moments de s’exprimer artistiquement sur son lieu de travail ou après ?

Si les entreprises décidaient d’investir dans un capital plus social qu’économique (en dehors évidemment de toutes les mesures sociales déjà prises), elles prendraient conscience qu’un.e salarié.e qui s’amuse est un.e salarié.e heureux.se et donc plus efficace et motivé.e. Etant donnée la logique plus que productiviste de certaines entreprises, cette donnée ne devrait pas mettre longtemps à leur donner des idées. Laissons ensuite le soin aux organisations syndicales de leur faire comprendre la juste mesure des choses.

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Ministère de la culture, rue de Grenelle © DR

“La dénomination courante « intermittent » recouvre différentes réalités juridiques. D’une part, les « intermittents » sont des artistes ou techniciens du spectacle qui sont embauchés sous contrat de travail à durée déterminée dit « d’usage »”.

C’est ainsi que le ministère de la Culture définit le statut d’intermittent. Un statut juridique “d’usage” donc par définition précaire et soumis à la loi de l’utilité. Le site gouvernemental précise sobrement : “En effet, la règle en France est le contrat à durée indéterminée.”. Cette règle, outre le fait qu’elle entraîne une grande précarité chez ses bénéficiaires, pénalise fortement les jeunes artistes car les contrats d’intermittents restent assez rares et soumis à des conditions drastiques (voir énoncé ci-dessus). “Même parmi nos étudiants les plus brillants et motivés, le statut officiel d’intermittent reste rare et doit être considéré comme une chance” déclare Benjamin Labé, maître de conférence en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Lumière Lyon 2.

Une culture de plus en plus libérale

Dans la plupart des livres sur la politique culturelle ou sur l’économie du spectacle vivant, on apprend que le système de la culture est vu comme un système archaïque (en opposition au modèle capitaliste actuel qui est plus moderne). Cela signifie que l’on dépense plus pour lui qu’il ne rapporte. Mais qui a dit que la culture devait être rentable ? Presque personne. Sauf Emmanuel Macron, qui semble avoir fait le choix d’un nouveau directeur du CNC qui prône un financement privé des films. Dominique Boutonnat semble en effet imaginer que cela permettra une plus grande diversité des films. Rappelons au passage qu’il est à la tête d’une institution qui était censée aider financièrement les films dans toute la chaîne de production. Rassurant, n’est-ce pas ?

Mais la culture ne doit pas être rentable. Pas parce qu’elle ne le sera jamais, mais parce qu’elle ne sert pas à cela. Elle sert à aider les personnes, à leur ouvrir l’esprit, à les faire s’évader, à leur permettre de s’émanciper. Et pour toute personne n’étant pas d’accord avec cette affirmation, nous lui conseillons d’ouvrir n’importe quel livre de Pierre Bourdieu sur le capital culturel pour trouver les réponses à ses questions.

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Ouvrir la voix, documentaire d’Amandine Gay

Cette injonction à la rentabilité culturelle à tout prix est également un poids pour les jeunes cinéastes et/ou les cinéastes indépendant.e.s. Ces deux types de profil sont en effet directement classés comme peu solvables (et donc peu rentables) par l’industrie cinématographique. Or, c’est justement dans ce secteur qu’il faudrait investir pour faire de la France une véritable oasis culturelle. Ce système perçu comme archaïque ne l’est pas seulement du point de vue purement capitaliste, il l’est aussi d’un point de vue culturel. En témoigne l’exemple de la réalisatrice Amandine Gay et de son documentaire intitulé Ouvrir la Voix sorti en 2017. Ce documentaire fait parler tour-à-tour plusieurs femmes noires issues de la colonisation européenne en Afrique et aux Antilles. Le film est “centré sur l’expérience de la différence en tant que femme noire et des clichés spécifiques liés à ces deux dimensions indissociables de notre identité « femme » et « noire »”. Cette réalisatrice militante y aborde notamment la question des intersections de discriminations. Ce projet traite de sujets qui restent encore historiquement et politiquement sensibles en France : le féminisme et le racisme. En raison de son sujet et d’un public jugé “trop restreint”, voire à tendance communautariste, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a refusé de soutenir financièrement ce projet de long métrage. C’est donc par le biais du “crowdfunding” (financement participatif) et grâce à la participation très volontaire des personnes filmées que ce documentaire a pu être réalisé. Sa diffusion a également été largement compromise et a obligé sa réalisatrice a créer elle-même sa société de distribution qu’elle a ironiquement appelée “Bras de fer”. Un bras de fer contre l’administration, et “l’industrie culturelle” française, qui se solde par un véritable pied de nez à cette dernière, puisque le film est récompensé en 2017 par le Out d’or de la création artistique et le Prix du Public aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal. Pour des raisons aussi bien personnelles que professionnelles, Amandine Gay a décidé de vivre aujourd’hui au Canada, un pays francophone qui laisse bien plus de chance à des réalisateurs indépendants que le prétendu “pays des Lumières” (au sens aussi bien philosophique que cinématographique) qu’est la France.

La culture est certainement l’une des choses où chaque pays a sa spécificité, que ce soit en termes d’art ou tout ce qui touche de près ou de loin à la culture. Ainsi, il faut conserver la chance que chaque pays a en entretenant sa propre culture, et ne pas tout faire pour la détruire. En effet, la culture ne doit pas avoir et n’aura jamais de valeur marchande propre. Car sa qualité financière n’est pas quantifiable à partir des données traditionnelles de l’économie actuelle. En revanche, l’Etat se doit d’investir de manière plus importante dans la culture, que ce soit pour la conserver ou pour approfondir ce qu’elle fait déjà. Si l’innovation est tellement importante pour le secteur politique actuel, dans l’armée par exemple, alors elle doit également l’être dans le secteur culturel. Et c’est le rôle de l’Etat de mettre des choses en place. Et pour cela, il doit écouter les acteurs du terrain et non plus seulement les acteurs financiers.

Car la Culture ne doit pas seulement être considérée comme un “gouffre financier sans fond”, elle peut aussi être vectrice de lien social et un moyen d’émancipation pour les individus de tous milieux socio-culturels. Il est bon de citer ici certains rappeurs comme Kery James ou des écrivains comme Edouard Louis (notamment auteur du roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule), artistes pour qui la culture a été un véritable moyen d’expression et de sublimation. Pour finir, le principal problème des politiques culturelles française ne vient pas seulement d’un manque crucial de moyens, mais aussi et surtout des fins de ces politiques culturelles. Ainsi que l’a prouvé le discours d’Emmanuel Macron suite à l’incendie de Notre-Dame, l’Etat instrumentalise la culture, non plus comme un outil de cohésion mais comme un argument politique “vendeur”.

Pour laisser la parole à un penseur, écrivain et journaliste qui nous tient à coeur, voici quelques mots d’Albert Camus :

Tout ce qui dégrade la Culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude”.

Par Camille Ronot et Pierre Courtois–Boutet

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