La Haute-Garonne relance le débat sur le revenu d’existence

Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur l’expérimentation d’un revenu d’existence jeune en Haute-Garonne.

« C’est une forme de liberté que la plupart des hommes n’ont encore jamais connue » ; « une redistribution du pouvoir » ; « une avancée logique vers le prochain niveau de démocratie. » En 2017, le documentaire Jour de Paye, réalisé par l’économiste autrichien Christian Tod, a fait le tour des milieux alternatifs. Réunissant les paroles de philosophes, militants et économistes, le réalisateur cherche une chose : prouver qu’un revenu universel est nécessaire dans nos sociétés.

Si le débat est plus compliqué, la Haute-Garonne, elle, a décidé de sauter le pas. Son objectif : lutter contre la pauvreté croissante des 18-25 ans depuis la pandémie.

Une décision départementale face à la hausse de la précarité jeune

Le département de Haute-Garonne a annoncé la semaine dernière la création d’un “revenu d’existence” pour les jeunes. Ce revenu s’adresse aux 18-24 ans, soit la classe d’âge qui ne peut pas prétendre au RSA. Il pourra atteindre les 500 euros par mois, mais modulable en fonction des revenus des jeunes en question, ou de celui de leurs parents. Cette aide est destinée à de jeunes actifs, en formation, en apprentissage ou encore au chômage. Elle sera cumulable avec les aides sociales, comme les APL. Le département prévoit de le mettre en place à partir de mars 2022, d’abord pour une expérimentation de 18 mois sur 1000 jeunes. Bon à savoir : les 18-24 ans représentent 150 000 personnes dans le département.

Le président PS du Conseil départemental de Haute-Garonne, Georges Méric, a annoncé agir “pour venir en aide à une génération sacrifiée” et “pour permettre à ces jeunes d’exister.” Ces 500 euros se présentent comme un revenu de base pour «s’habiller, se loger, manger», explique au Figaro le vice-président à l’Action sociale du Conseil départemental, Arnaud Simion. Il précise dans les mêmes colonnes : «L’aide n’est pas conditionnée à un parcours d’insertion. Il faut arrêter avec les soupçons d’assistanat.” 

Comme mentionné plus haut, cette décision a été prise suite à l’observation de carences dans le revenu jeune. Les images d’étudiants faisant la queue devant des distributions alimentaires ont envahi nos écrans pendant la pandémie. Et pour cause, selon un rapport de l’Insee publié en mai 2021, c’est pour la catégorie des 18-24 ans que la progression du chômage a été la plus forte (+ 2,8 points) sur l’année 2020. Le rapport met également en lumière l’insuffisance des aides sociales accordées aux plus jeunes. En janvier 2021, la France comptait 2,9 millions de mineurs en situation de pauvreté (soit 21%). Les moins de 30 ans représentaient 35% de la population et près de 50% des personnes pauvres.

Avant d’aller plus loin : Le revenu universel, quelle drôle d’idée !

Notre journaliste Candice Mazaud nous le décryptait dans notre n°4, « (Ré)inventer la Démocratie. » Pour les personnes n’ayant pas pu se procurer le numéro, voici un bref récap’ historique :

En 1795, l’Américain Thomas Paine publie La justice agraire. Il défend dans cet ouvrage le droit au revenu. L’objectif ? Alors que la terre avait originellement été donnée à tous les êtres humains, une minorité d’entre eux s’est accaparée cet héritage, en privant ainsi une part importante de la population. Dans l’idée de Paine, le revenu répare ce préjudice : financé par une taxe pesant uniquement sur les propriétaires, il est ensuite distribué à tous, sans aucune condition.

Dans les années 1980, le débat a refait surface sous la plume de Philippe Van Parijs, à travers le mouvement Basic Income Earth Network et son « allocation universelle. » D’autres parlent de « revenu de citoyenneté (Alain Caillé), de revenu d’existence (André Gorz) ou de « Basic Income » (Jeremy Rifkin). Cette revendication s’inscrit alors dans un souci de justice et d’égalité, le revenu devant être versé de manière inconditionnelle de la naissance jusqu’à la mort.  

Ces dernières années, la précarisation et l’automatisation de l’emploi ont ramené le sujet sur la table. Quel que soit son montant, le revenu universel pourrait permettre de simplifier le système de protection sociale. On s’en souvient : il s’agissait d’une des mesures les plus importantes de Benoît Hamon lors des dernières présidentielles.

Evidemment, le débat reste houleux. D’un côté, les défenseurs de cette mesure y voient un moyen d’émancipation (c’était l’argument de Martin Luther King), de compensation face à la technologie croissante de l’emploi ou encore de prise en main de la responsabilité individuelle (Milton Friedman). Les arguments en faveur du revenu universel ont d’ailleurs été crescendo pendant la crise sanitaire. Pour Denis Consigny, administrateur de l’Association pour l’instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE), ce revenu ne permettrait plus seulement de lutter contre la pauvreté mais aussi de « calmer le jeu en situation de crise », notamment lorsqu’une catastrophe bloque les circuits de l’économie. »

Pour ses détracteurs, le revenu universel est critiquable. Il risquerait de devenir un substitut au droit au travail et conforterait l’exclusion sociale.
L’idée continue de faire débat sur son application : quel montant ? avec ou sans conditions ? Pour quelles tranches d’âges ? Comment estimer le patrimoine à partager ? Quelle source de financement ? Pourrait-on encore toucher des prestations existantes…. ?

Une première en France…? 
 
La Haute-Garonne fait partie des 18 départements qui avaient proposé à l’État d’expérimenter une mesure nationale.
 
Au niveau national, Emmanuel Macron avait promis pour la rentrée un « revenu d’engagement » pour accompagner les jeunes qui n’ont ni emploi, ni formation, en échange d’un engagement sur la mise en œuvre d’un projet professionnel. Il s’inspire de la Garantie jeunes, mise en place sous le quinquennat Hollande.
Celui-ci viserait les 16-25 ans sans emploi ni formation, mais également des jeunes en emploi précaire. 
 
Mais pour le moment aucune ligne budgétaire n’a été inscrite dans le projet de budget 2022, Bercy mettant un frein à cette réforme dont le coût annuel est estimé par l’État à environ 2 milliards d’euros. Ce revenu pourrait concerner plus d’un million de jeunes en France. 

… et ailleurs ?
 
A l’étranger, de nombreux pays expérimentent déjà le revenu de base. En Afrique du Sud par exemple, le gouvernement a versé une allocation de revenu de base à toutes les personnes en âge de travailler et ne recevant aucune autre aide économique de l’Etat. D’un montant de 350 euros par mois, l’allocation a été versée de mai à octobre 2020. Le gouvernement réfléchit actuellement à le convertir en « revenu de base universel garanti. »
 
Au Canada, dans la ville de Dauphin, une expérimentation des années 1970 à travers le programme Mincome a réfuté l’argument selon lequel un revenu universel désinciterait à travailler. Des conséquences positives non attendues ont d’ailleurs été observées, comme l’augmentation de la durée des études des jeunes et une baisse de la criminalité.
En Alaska, il existe un revenu annuel depuis 1982. Issu des revenus du pétrole et du gaz extraits dans la région, il s’adresse à tous les résidents de plus de 5 ans, sans condition. Il s’agit cependant d’un revenu assez minime (il était de 1 732 euros en 2014, soit l’équivalent de 144 euros par mois.)
 
Le projet fait débat en Europe comme ailleurs notamment en Allemagne, Belgique, ou encore en Espagne, en Inde et au Brésil. Des expérimentations locales sont régulièrement mises en place, notamment depuis les années  2010.

Le revenu d’existence sur la table des présidentielles

Cette mesure prise par la Haute Garonne permet de relancer le débat sur la nécessité –ou non- d’un revenu universel. En septembre 2021, la candidate à la primaire écologiste, Sandrine Rousseau, promettait de son côté l’instauration d’un revenu d’existence. Le but premier de celui-ci aurait été d’accompagner la transition écologique, notamment en amortissant la hausse du prix du carburant. D’un montant de 850 euros, ce revenu se serait adressé à toutes les personnes âgées de plus de 18 ans et qui présenteraient des revenus ne dépassant pas 1,5 fois le Smic. De son côté, Yannick Jadot candidat heureux des primaires écologistes, envisage d’augmenter le  RSA de 100 euros. Sur la table de son programme : mettre en place un revenu citoyen de 880 euros. Le but : « éradiquer la misère » et « rendre les jeunes plus autonomes et moins dépendants de leurs parents dès 18 ans. »

Pour aller plus loin :

• un article d’Attac qui pointe arguments favorables, limites et incohérences sur le revenu universel : par ici

• « Le revenu d’existence, ou la métamorphose de l’être social », un livre de Yoland Bresson, à découvrir ici

• le gros dossier d’Alternatives économiques par là

• un point express par Dessine-moi l’éco ici

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