Delphinariums : Derrière les sauts et les paillettes, une insupportable réalité

Le 1er octobre, les sénateurs ont adopté la proposition de loi concernant la maltraitance animale. Mais le texte a été massivement détricoté, faisant notamment passer à la trappe la fin progressive des cétacés dans les delphinariums et des animaux sauvages dans les cirques itinérants.

En septembre 2020, la ministre de la Transition écologique française, Barbara Pompili, propose un projet de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale.

L’article 12 de ce texte a pour objectif la fin progressive de la captivité d’orques et de dauphins en France, en interdisant leur reproduction ainsi que l’introduction de nouveaux cétacés dans les deux delphinariums français : le Marineland d’Antibes et Planète Sauvage à Nantes.

Si cette proposition de loi avait été votée par l’Assemblée Nationale en janvier dernier, les sénateurs ont retoqué ce fameux article 12 le 30 septembre 2021 au soir.

Les associations de défense des animaux ont aussitôt réagi, évoquant une honte pour la nation de laisser ces horreurs perdurer en France. D’autres pays, tels que la Suisse ou le Royaume Uni, ont déjà interdit cela depuis plusieurs années.

Mais alors pourquoi la captivité de cétacés doit impérativement cesser, en France comme ailleurs ?

L’éthique touristique en question

Selon la Société mondiale de protection des animaux, 3 029 dauphins sont actuellement captifs dans le monde, répartis dans 340 delphinariums. 34 d’entre eux se trouvent dans l’U.E et 2 en France métropolitaine.

Le Marineland d’Antibes dans les Alpes Maritimes compte environ 1 million de visiteurs chaque année pour un peu plus d’onze millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020.

Né en 1860 aux États-Unis, à travers le cirque Barnum, le concept de delphinariums permet aux visiteurs d’admirer des animaux qu’ils n’ont jamais vus en liberté, perpétuant le mythe de la complicité humain-animal. Ces dernières décennies, le tourisme des cétacés a pris de l’ampleur. Pourtant, il semble bien exister une prise de conscience chez les touristes. En 2019, l’organisation internationale World Animal Protection (WAP) rend public le rapport « Behind the smile – the multi-billion dollar dolphin entertainment industry » (« Derrière le sourire – l’industrie multimilliardaire des delphinariums »). Il pointe du doigt une incohérence de point de vue des visiteurs : 52 % d’entre eux estiment que les dauphins souffrent physiquement et émotionnellement en captivité et 80 % déclarent qu’ils préféreraient voir des dauphins en liberté s’ils en avaient la possibilité. 60 % des enfants interrogés considèrent que les dauphins enfermés comme ça doivent être malheureux. Pourtant, selon cette même enquête, la raison principale de leur visite est l’amour qu’ils portent aux dauphins. Alors que 69 % des répondants ont fait des études supérieures, les besoins des dauphins et l’effet néfaste de la captivité restent trop peu connus. La seconde raison de leur visite est la pression familiale (« les enfants veulent y aller ») et la troisième la recommandation par des proches. Plus de 90 % des visiteurs de delphinariums ont vu un spectacle, 60 % ont touché un dauphin tandis que 40 % ont nagé avec l’animal.

D’après l’enquête de WAP, un touriste sur 4 a visité une attraction avec des dauphins dans le cadre d’un voyage organisé ou parce que c’était proposé par le site de l’agence de voyage. Pourrait-on dire alors que la faute est à l’industrie touristique ?

Tout d’abord, il faut souligner que ces cétacés sont « éminemment intelligents et conscients d’eux-mêmes » selon le docteur Lori Marino, une neuroscientifique spécialisée dans le comportement des animaux, et l’ensemble de la communauté scientifique travaillant sur le sujet.

Les dauphins notamment peuvent ressentir de l’empathie envers leurs congénères, ce qui expliquerait notamment les échouages de masse sur certaines plages.

L’humain enferme donc depuis de trop nombreuses décennies ces animaux dans de minuscules bassins, où leur santé mentale et physique n’est absolument pas respectée, à des fins uniquement lucratives et de divertissement.

Par exemple, dans le parc marin d’Odessa en Ukraine, trois dauphins se trouvent dans une ridicule petite piscine depuis des années et passent leurs journées à…tracter des enfants attachés à eux. Cette activité, évidemment payante, rencontre malheureusement beaucoup de succès.

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Le Marineland d’Antibes DR

Des besoins naturels ignorés volontairement

Une orque, qui peut parcourir jusqu’à 150 kilomètres par jour dans l’océan devrait, pour effectuer la même distance, réaliser 1 400 tours de bassin au Marineland d’Antibes.

Les orques comme les dauphins passent l’entièreté de leur temps dans l’eau chlorée des bassins, où aucune protection contre le soleil ne leur est offerte. En effet, vue la profondeur très insuffisante dont les cétacés disposent, plonger pour soulager leur peau leur est impossible.

Ces mêmes bassins, dont les parois sont en verre ou en béton, provoquent une réverbération des sons qui altère grandement le sonar des animaux, – système d’écholocalisation et élément le plus important chez le dauphin. Il lui permet de communiquer et d’appréhender ce qui l’entoure. En l’absence du bon fonctionnement de leur sonar, on pourrait presque parler d’autisme du dauphin.

Les animaux sont nourris avec des poissons morts, congelés puis décongelés, ce qui leur fait perdre la quasi-totalité des apports hydriques nécessaires à la santé des animaux. Cela peut entraîner des maladies rénales par exemple. Les dauphins sont alors soumis à des séances d’intubation plusieurs fois par semaine ainsi qu’à des traitements médicamenteux pour maintenir les cétacés en vie (anxiolytiques, antidépresseurs, antibiotiques…).

Il est important de souligner que, jusqu’à présent, tous les décès de cétacés captifs ont été prématurés. L’espérance de vie dans la nature pour un dauphin est d’environ 45 ans pour les mâles et plus de 50 ans pour les femelles. Or, au Marineland d’Antibes, la plus vieille femelle, Joséphine, est morte à l’âge de 38 ans de maladies rénales.

Les autres dauphins morts des delphinariums français ont tous succombé à des maladies prématurément. A Antibes, c’est le cas entre autres d’Alizée, 24 ans, morte de maladies rénales en 2016 ou bien de Mila-Rami, seulement 8 ans, décédée en janvier 2015 d’une occlusion gastrique. C’est évidemment le cas aussi pour le deuxième parc français, Planète Sauvage, qui a assisté à l’arrêt de l’alimentation de la femelle dauphin Théa, 19 ans, qui en est morte, ou bien aux troubles alimentaires de Aicko, 6 ans, décédé également. Le rapport d’autopsie de Minimos, mort à 8 ans en 2012, n’a jamais été rendu public par le parc. Christine Grandjean, présidente de C’est Assez ! association de lutte contre la captivité des cétacés rappelle : « S’il est avéré que dans certains zoos, les grands mammifères terrestres peuvent vivre plus longtemps que leurs congénères dans le milieu naturel, c’est exactement l’inverse pour les mammifères marins que sont les cétacés. »

Les cétacés subissent également des pneumonies, dues, selon les scientifiques, au stress intense que leurs procurent la captivité et les spectacles, des maladies de peau et lésions oculaires dues au soleil et au chlore ou bien des piqûres de moustiques (toujours car s’en protéger en plongeant est impossible) qui entraînent parfois des maladies.        

dolphin jumping out of the sea during day
En liberté, l’espérance de vie pour un dauphin est d’environ 45 ans pour les mâles et plus de 50 ans pour les femelles.

Un état mental très critique

En dehors de leur santé physique catastrophique, la santé mentale des orques et des dauphins n’est certainement pas plus glorieuse.

Les animaux sont soumis à des spectacles où ils réalisent des sauts spectaculaires sous les yeux ébahis des enfants, et s’échouent sur le sol en plein soleil pour le besoin des photos.

Si les parcs marins, notamment Marineland, affirment que « les animaux peuvent choisir » et qu’aucun animal n’est forcé à faire quelque chose, le témoignage de John Hargrove, ancien directeur du centre des orques à Antibes, prouve bel et bien le contraire. Cet amoureux des animaux a été soigneur dans trois parcs différents avant de démissionner de Marineland car il ne supportait plus de voir les orques souffrir à ce point. Il est maintenant militant aux côtés de l’ONG de lutte contre la captivité des cétacés, One Voice.

Il confie au média Brut que « la base du dressage des animaux et la privation de nourriture » et que les animaux n’ont pas réellement le choix : « ce n’est pas un choix, c’est de la faim ».

Marineland s’est défendu en appelant le fait de récompenser l’animal lors d’un bon comportement du « renforcement positif. » Mais si l’on prive avant l’animal, « moi, j’appelle ça du chantage à la nourriture », m’a confiée Christine Grandjean, révoltée par la décision du Sénat.

Si les spectateurs sont aussi fascinés par les orques montrant leur nageoire, réalisant des sauts sensationnels (par ailleurs pas du tout naturels) ou par les soi-disant connaissances de leurs soigneurs, c’est que le jeu d’acteur et la mise en scène sont très bons. En effet, J. Hargrove explique à Brut : « On est là pour dire : regardez comme c’est formidable, regardez comme tout le monde est heureux […] regardez comme les orques sont heureuses. »

Cependant, le comportement des cétacés dans les différents parcs montre bien que ce n’est pas le cas. Il n’est pas rare de voir des orques agir de façon répétitive, ce qui est prouvé scientifiquement comme une preuve de mal-être conséquent. Ces équivalents des tocs chez l’être humain s’appellent chez les animaux des « stéréotypies ». Ces comportements peuvent parfois détériorer la santé physique des cétacés. C’est le cas de Kiska, surnommée « l’orque la plus seule au monde ». Cette orque, âgée d’environ 45 ans, vit sans aucune autre compagnie que celle des humains depuis 2011, au Marineland de Niagara Falls au Canada. Une vidéo prise par un touriste a révélé que Kiska se tape sans arrêt la tête contre les parois de son bassin. Même après une vague de manifestations devant le parc et le lancement du mouvement #FreeKiska, le parc refuse de donner à cette orque la retraite qu’elle mérite dans un sanctuaire marin.

En effet, la captivité des cétacés est désormais interdite au Canada mais cela ne concerne malheureusement pas les animaux déjà enfermés.

Si la preuve de souffrance indéniable de cette orque est extrême, il n’en demeure pas moins pour les autres cétacés captifs partout dans le monde. Par exemple, à Antibes, l’orque Inouk n’a quasiment plus aucune dent à force de ronger les parois de son bassin.

Des arguments non recevables   

Si Marineland se vante de pouvoir montrer des animaux à des enfants et donc de les éduquer, il faut réfléchir à ce qu’ils voient vraiment, et l’immense intérêt financier du parc à cette mascarade. En effet, dans le magazine Libération, le président de Marineland Pascal Picot le précise bien : « Les dauphins et les orques sont notre produit d’appel. Sans eux, pas de sauts. Pas de sauts, pas de spectacles. Pas de spectacles, pas d’argent ».

Christine Grandjean a répondu à cet argument d’éducation qui justifierait ces parcs : « Ils parlent de pédagogie en montrant au public, à des enfants, que le dauphin fait gentiment des sauts et a une complicité extraordinaire avec son soigneur mais si on enlève le saut de poissons, le dauphin n’obéit plus. Est-il pédagogique qu’un enfant sorte d’un spectacle en pensant qu’un dauphin est heureux en exécutant des tours de cirque contre nature en échange de poisson mort ? »

Elle souligne également que l’argument de conservation des espèces n’est pas non plus recevable : « pourquoi parler de conservation alors qu’aucun de leurs animaux ne pourra jamais goûter à la liberté ? » De plus, la présidente de l’association précise que les deux espèces (dauphins et orques) ne sont pas en danger d’extinction. Un animal sauvage est un animal sauvage. Si on le prive de ses besoins, de sa liberté, de sa famille ou de son bonheur, peut-on réellement parler de conservation des espèces ?

Si le Marineland utilise l’argument de la possibilité de recherches scientifiques approfondies, Christine Grandjean explique que les recherches en milieu naturel ont apporté bien plus de connaissances que celles réalisées en bassin. En effet, dans leur milieu naturel, les scientifiques peuvent analyser librement, en laissant les animaux s’exprimer, leurs comportements et modes de communication. Pendant le confinement par exemple, les scientifiques ont pu profiter du calme de la mer pour observer les cétacés en milieu naturel et ainsi découvrir de nouvelles informations sur eux, tout en les respectant.

            Les preuves sont factuelles et continuer de cautionner ces maltraitances n’est plus possible. Protester est devenue une urgence pour ces animaux. Des solutions, comme l’ouverture de sanctuaires marins, sont possibles pour améliorer leur bien-être, et attendre pour réagir ou sensibiliser à cette cause serait être complice de ces maltraitances.

Capucine Schmit

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