Marc Fraize : « Le clown réunit tout le monde »

« Madame Fraize » est jouée au Théâtre du Rond-Point (Paris) jusqu’au 17 octobre. Le spectacle s’élancera ensuite en tournée dans toute la France. L’occasion de faire connaître celle qui a remplacé Monsieur Fraize, lequel laisse derrière lui une vingtaine d’années sur les planches. Et pour son auteur, Marc Fraize, de raconter une partie de sa vie, de charmer et de faire ce qu’il sait faire de mieux : le clown. Quelques heures avant une de ses ultimes dates, il nous a reçus dans son antre temporaire, tout près des Champs-Elysées. Origines des personnages, relations avec les spectateurs, structures des spectacles et sources d’inspiration de l’humour « fraizesque » : tout y passe.  Entretien.

Entre Monsieur et Madame Fraize, qu’est-ce qui a changé ?

Quasiment tout, sauf l’auteur. Il y a 20 ans, j’ai créé un personnage que j’ai découvert petit à petit, sur la longueur. Je l’ai voulu victime : de la société de consommation, de son éducation, de ses peurs – nombreuses ! – dans lesquelles on l’a foutu, de sa façon de s’habiller – qui est très près du corps, très coincée. Ce petit bonhomme, véritable anti-héros, je l’ai bâti de manière clownesque et à partir d’un sujet très sociétal [NDLR : le consumérisme] pour en faire un souffre-douleur. Et les douleurs ont été explorées jusqu’au bout ! Les mecs à qui tout réussit, qui sont accomplis, ne font pas vraiment rire. On rit plus des mecs qui se cassent la gueule, qui sont victimes. Avec Mme Fraize, j’ai switché [NDLR : changer] totalement, renversé la crêpe. Je l’ai voulue à peu près tout le contraire : très libre, très heureuse, positive, en couple – donc pas seule, à la différence de lui. Et elle répète « bonheur » tout le temps. Elle est chiante ! (Rires).

Qu’est-ce qui n’a pas changé ?

M. et Mme ont le même ADN : le clown. C’est ce que je dis avec mon metteur en scène, Papy [NDLR : Alain Degois]. J’aime bien l’exercice du clown : il réunit tout le monde.  

D’où viennent M. et Mme Fraize ?

Quand je vais au théâtre, j’aime bien que la personne sur scène me parle un peu d’elle. Dans mes spectacles, il y a beaucoup de moi. M. Fraize a parlé de mes 20 premières années dans ce monde ; et Mme des 20 années qui ont suivi, que j’ai vécues en couple. Au cours de celles-ci, je me suis posé des tas de questions, j’ai eu des tas de doutes, des tas d’incompréhensions, de petites luttes intérieures – on les a partagés à deux. Cette période n’a rien à voir avec celle que tu vis auprès de tes parents. L’accomplissement en couple, je l’ai vécu. A ma grande surprise, je me suis aperçu qu’on pouvait rester longtemps avec la même partenaire, la même femme. Je ne pensais pas qu’on pouvait s’aimer de mieux en mieux et de plus en plus avec le temps. Ça a été un chouette constat. Et j’ai eu envie de partager ça sur scène.

« Mes deux personnages n’aiment pas parler d’actualité. Ce n’est pas leur truc. Donc pour échapper à ça, je vais faire penser à, mais sans citer. »

Quel est votre plus beau souvenir des représentations de Mme Fraize ?

Le spectacle commençait très lentement, dans le silence, durant 15 minutes. Et lors de ce moment, un enfant a ri de bon cœur ; ça venait du ventre : il voyait le clown ! Alors que tout le monde se disait : « Quand est-ce que cette dame va nous faire des blagues ? » Il a immédiatement vu quelque chose de drôle : une gestuelle, des longs gants roses… Il avait un rire qui se dégageait vraiment de la gorge – il devait avoir entre 5 et 8 ans. La salle a été charmée par ça. Et moi aussi ! Quand tu arrives à déclencher un truc chez un enfant, c’est le summum ! Si l’enfant marche et que les autres non, c’est qu’ils n’ont pas réussi à récupérer leur âme d’enfant. L’enfant est vierge. Si on le chope, c’est une récompense immédiate ! C’est à des enfants que je veux m’adresser !

En plus de la joie, que souhaitez-vous faire ressentir aux spectateurs ?

De l’espoir. Aujourd’hui, j’ai l’impression de beaucoup entendre « Ah, je plains les jeunes ! Demain, ce sera dur pour eux ». Je pense qu’il faut essayer de voir les bonnes choses. Les futurs jeunes débiles que vous voyez là avec leur téléphone portable, ils vont peut-être révolutionner le monde ! J’ai un vrai besoin de positivisme (sic). Et je veux faire ma B.A. [NLDR : bonne action] d’humain ! J’ai plus que jamais envie de citer Jacques Prévert : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour montrer l’exemple. » Quand c’est possible, faisons-le ! 

Marc Fraize à une table du restaurant du Théâtre du Rond-Point buvant un verre d’eau (Marius Matty, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International).

Dans vos spectacles, il y a des passages de critique de la société consumériste et productiviste. Pourquoi ?

La génération de mes parents était à fond là-dedans. Certaines personnes parlent aujourd’hui de « boomers ». Et moi, je suis un enfant de boomers, tout prêt à devenir futur boomer. Mais je me suis aperçu sur le tard en mettant en scène ce personnage de M. Fraize à quel point tout ça était vain et ridicule. Lors du spectacle, pendant 20 minutes, il ne pense qu’à avoir, à obtenir le plus possible. Il ne pense pas à être. Parce que c’est ce qu’on nous a injecté dans notre société très tôt. Et c’est ce qui baise tout le monde ! Ce n’est pas ça qui nous rend heureux. Au contraire, ça nous rend plutôt frustré et malheureux.

On assiste aussi à plusieurs jeux de mots !

C’est anecdotique. J’aime bien jouer avec la langue, c’est sûr. En utilisant « allons bon, voilà autre chose ! », « quelle cruche », « une ribambelle », « une brochette ». Ceci dit, les jeux de mots, point trop n’en faut.

Et « salade de blatte », par exemple ?

Ce n’est pas un jeu de mots.

Qu’est-ce que c’est alors ?

De l’absurde. Un jeu de mots, c’est par exemple « l’eau des gueux » [NDLR : « l’eau dégeu[lasse] »]. Pour moi, un jeu de mots, c’est une entourloupe.

« Compostiste », n’est-ce pas un jeu de mots qui plus est d’actualité ?

Non, pour moi, ça n’est pas un jeu de mots. Et mes deux personnages n’aiment pas parler d’actualité. Ce n’est pas leur truc. Donc pour échapper à ça, je vais faire penser à, mais sans citer. J’aime bien faire un clin d’œil aux complotistes, aux soi-disant complotistes – il y en a de tout poil. Mais je n’ai pas envie d’évoquer ce sujet alors qu’on en a entendu parler pendant toute une année. Je n’ai pas envie de prononcer « Macron ». Je préfère parler de « Monsieur le Directeur ». Naïvement, M. Fraize dirait « le Grand Directeur ». Président ? Non ! Macron, on n’en peut plus d’entendre ça tous les jours ; c’est l’enfer. Et si tu vas dans un spectacle pour entendre les mêmes mots que dans ta radio de merde… Putain, la soirée ! Moi, je n’en veux pas !

« Le clown, c’est un outil de guerre. »

Quelles ont été vos sources d’inspiration humoristiques ?

Des tas de gens différents : Coluche, Bourvil, Desproges ou Devos pour les seuls en scène. Naturellement, aussi, j’ai été très attiré par le clown. J’aurais pu être attiré par les textes ou les bouquins : non ! J’ai été fasciné par les gens qui faisaient rire en prenant de drôles de tête. Ça m’a envouté, ça m’a absorbé. Je me suis dit « quelle chance ils ont de déclencher ça, des émotions ». Et si ce n’était que le rire ! Il y a d’autres émotions. Bourvil m’attendrissait énormément. J’admirais Devos pour sa poésie. Alors que lire un poème de Lamartine à l’école, ça me faisait chier. Là, je voyais du sensible et du vivant. Et je me disais « quel sacré outil ! ». C’est un outil de guerre. C’est génial tout ce qu’on peut faire avec un seul mec sur scène.

Marc Fraize se détend sur un canapé du restaurant du Théâtre du Rond-Point (Marius Matty, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International).

Dans la rue, on vous appelle Monsieur ou Madame ?

Il arrive que l’on me hèle « Sandou » dans la rue. Parce que j’ai fait un sketch dans lequel j’appelle quelqu’un du nom de Sandou environ une centaine de fois. On me reconnait aussi pour le film Problemos dans lequel j’ai un personnage assez atypique. Et après, c’est M. Fraize. Quand on m’appelle « Monsieur », maintenant je réponds « Madame, c’est Madame ! ». (Rires). Parce qu’il faut bien que je l’enterre, M. Fraize.

Propos recueillis par Marius Matty

NB : Il paraît qu’une version longue de cet entretien sera publiée dans notre numéro 6, en janvier 2022…

Image à la Une :

Marc Fraize à une table du restaurant du Théâtre du Rond-Point (Marius Matty, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International).

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