Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur la reconnaissance d’un troisième genre dans le recensement népalais.

Au Népal, des fonctionnaires du Bureau central des statistiques passent dans les foyers depuis le 25 septembre 2021 pour effectuer le recensement national. Mené tous les dix ans, ce processus de collecte de données accueille cette année une nouveauté : la possibilité de choisir entre trois genres. Les humains ne se considérant ni « femme », ni « homme » peuvent désormais choisir la catégorie « autre ».
Leader en Asie du Sud
Katmandou est une pionnière dans la région en matière de droits LGBTQIA+. Effectivement, des changements législatifs sont introduits dès la révolte populaire qui secoue le pays en 2006. Ces troubles somment le roi Gyanendra de restaurer le Parlement dissous quatre ans plus tôt à la suite d’un coup de force. Girija Prasad Koirala, le nouveau Premier ministre, parvient à faire voter une loi privant le souverain de l’essentiel de ses pouvoirs. La Monarchie Shah tombe le 29 mai 2008 et le Népal devient « un État indépendant, indivisible, souverain, laïc et une république démocratique ».
En 2007, la Cour suprême ordonne alors au gouvernement de reconnaître légalement un troisième genre, de réviser toutes les lois discriminant les personnes LGBTQIA+ et de former une commission pour envisager la reconnaissance des couples homosexuels. Six ans plus tard, le Népal devient le premier pays au monde à reconnaître un troisième genre. Il apparaîtra sur les papiers d’identité en 2015.

Pour Dhundi Raj Lamichhane, directeur du Bureau central des statistiques, l’égalité entre tous·tes passe notamment par l’inclusion d’un troisième genre dans le recensement national. Ayant travaillé avec les associations LGBTQIA+ pour ce projet, il espère « publier un résultat reflétant mieux [la réalité]« . De fait, ces dernières voient en cette avancée une opportunité de réclamer les droits qui leur sont dûs. Car, bien que les lois népalaises soient progressistes, l’absence de données sur la population LGBTQIA+ entrave l’accès aux droits de ces minorités. Les discriminations à leur égard restent manifestes, notamment en matière d’emploi, de santé et d’éducation. « Lorsqu’on aura les données du recensement, nous pourrons les utiliser comme preuves et faire du lobbying pour nos droits. Nous pouvons faire des demandes proportionnelles à notre effectif dans la population » a déclaré Pinky Gurung, président de Blue Diamond Society, un groupe de défense des droits des LGBTQIA+.
Mais ce progrès n’aura probablement pas les conséquences attendues. Car, dans les faits, il n’y a qu’une question liée au genre sur les soixante-dix posées. Rukshana Kapali, militante transgenre, a déposé une requête auprès de la Cour Suprême au sujet de la méthodologie du recensement. Celui-ci serait problématique car « ne saurait refléter les données réelles de la communauté LGBTQIA+ au Népal« . Forte de neuf-cent mille personnes, celle-ci tend à s’imposer dans la sphère publique, soutenue notamment par les groupes de défense des droits.

Et ailleurs ?
Plusieurs pays ont pris des mesures similaires. En Allemagne, le gouvernement appliquait le 15 août dernier une décision de la Cour Suprême datant de 2017 imposant la reconnaissance de la mention « divers » sur les certificats de naissance. Le Royaume-Uni introduisait quant à lui la question facultative « Le genre auquel vous vous identifiez est-il le même que votre sexe enregistré à la naissance ? » dans son recensement de 2021. En cas de réponse négative, l’intéressé·e pouvait préciser son identité de genre.
D’autres pays, tels que l’Australie depuis 2014, proposent un genre neutre sur leurs documents d’identité. Mais pour choisir leur genre, les individus sont contraints de subir un examen médical. De ce fait, le pays ne distingue pas le sexe (qui est biologique) du genre (qui est culturel) puisqu’il requiert que les deux soient en adéquation. La définition de l’Organisation Mondiale de la Santé a pourtant le mérite d’être claire : “Le genre a un lien avec le sexe biologique (féminin ou masculin) mais il est distinct de lui. Par “genre”, on entend les rôles qui, selon la représentation que s’en fait la société, déterminent les comportements, les activités, les attentes et les chances considérés comme adéquats pour tout un chacun dans un contexte socioculturel donné.”
En France, la situation est diamétralement différente. En 2017, la Cour de cassation refusait d’accorder au requérant l’inscription de la mention « sexe neutre » sur son état civil, estimant que cette conception binaire « est nécessaire à l’organisation sociale et juridique ». L’admission d’un genre neutre par la législation française est donc loin d’être acquise. Or, reconnaître l’identité de chacun·e passe aussi par la considération adéquate de son genre. De ce fait, une démarche d’inclusion est nécessaire. L’instauration d’un troisième genre administratif est donc une étape essentielle à la construction des individualités.
Selon le philosophe étasunien John Dewey, la démocratie est autant un mode de vie qu’un « idéal éthique« , une « forme d’association morale et spirituelle« . Dans une démarche de réciprocité, elle est une forme d’unification sociale qui irrigue les individus et à laquelle chacun·e contribue. Dans cette idée, chaque personne, unique, tend à se réaliser tout en renforçant l’union sociale. Ce lien particulier est par ailleurs un rempart contre l’autoritarisme. Dès lors, comment des états peuvent-ils prôner la démocratie et les droits humains en omettant de reconnaître une partie de la population ? Comment la frange de ceux qui ne s’identifient pas à la binarité de genre pourraient-ils s’accomplir ? Au-delà de ça, occulter une partie de la population ne contribuerait-il pas à fragiliser la démocratie, et donc à ouvrir une brèche pour l’autoritarisme ? Le changement des ces législations archaïques est donc nécessaire, autant pour les personnes LGBTQIA+ que pour le reste de la société.