TOUT HOMME EST UNE AVENTURE (3/4)

Chaque vendredi, une nouvelle ou un bout d’histoire…

Pour (re)lire l’épisode 2 : par ici !

  • Tu lui demanderas la prochaine fois. 

La prochaine fois, ça a été pour un déjeuner de famille quelques semaines plus tard. Comme à chaque fois, Hamid était en bout de table, observait son petit monde évoluer dans la pièce. Sa femme faisait des allers-retours convenus entre la salle à manger et la cuisine, les bras chargés de plats épicés qui deviendraient l’objet de compliments de la part de toute la tablée, compliments qu’elle balaierait d’un soupir amusé en affirmant que l’inverse serait une honte. Leila s’occupait de faire raconter aux uns et aux autres toutes sortes d’anecdotes sur leur dernières semaines, c’était un travail de mise à jour tout à fait minutieux qu’elle exerçait avec talent, posant des questions sur des détails des récits que n’importe qui d’autre n’aurait jamais relevé. C’était sa façon à elle de maintenir l’attention sur des exposés concrets, d’éviter toute discussion théorique sur des sujets de politique ou de société qui finirait immanquablement en dispute. A la fin du repas, Alexandre alla s’asseoir près d’Hamid. 

  • Je ne savais pas que tu jouais à la pétanque. Je ne savais même pas que tu avais toute une équipe avec qui tu jouais souvent ! 

Hamid sourit de la tentative de son petit-fils. Il avait été fier l’autre jour de se voir présenté par les autres comme un vainqueur. Pourtant, il avait aussi été gêné de cette intrusion dans son monde. Son activité n’était pas un secret, mais il la considérait comme quelque chose de privé qu’il ne souhaitait pas partager avec d’autres personnes que ceux avec qui il jouait. Les membres du cercle de la Nation comprenaient tous ce que ce jeu impliquait, même si personne n’en parlait jamais. Dans les discussions entre les tours, le passé surgissait par touche, dans les histoires racontées sur le ton de l’anecdote, avec la légèreté obligée de ceux qui ne veulent pas pleurer. 

  • Comment ça se fait que tu sois aussi fort ? Tu as appris où à jouer aussi bien ? 
  • Je sais plus très bien, ça fait longtemps que je joue maintenant, c’est comme tout, avec le temps on se perfectionne.
  • Ouais mais si tout le monde se perfectionnait comme toi avec le temps, tu pourrais pas gagner à tous les coups ! 

C’était juste, Hamid avait une qualité en plus et il le savait. Mais Alexandre l’agaçait à vouloir à tout prix le faire élaborer sur une rencontre fortuite qui n’aurait jamais dû avoir lieu.

Il répondit qu’il y avait des choses comme ça qu’on ne pouvait pas expliquer, il tenta de mettre les formes tout en coupant court à conversation, il ne voulait pas blesser Alexandre et le punir de s’intéresser à sa propre vie. Il sourit et prétexta devoir se reposer un peu après le repas, se leva et laissa Alexandre avec ses questions. Dans sa chambre, assis au bureau encombré, il entreprit de lustrer ses chaussures. Il les brossait méticuleusement comme s’il voulait en laver la couleur, traquant le moindre grain de sable logé dans les coutures de la semelle, il s’échappait en pensée dans ces gestes répétitifs, cherchant à s’apaiser dans la régularité de son rythme. Il s’en voulait de ne pas savoir parler à son petit-fils, de ne pas réussir à maîtriser le grondement dans son ventre lorsqu’il réfléchissait aux raisons de son talent. 

(à suivre…)

Par Aimée Lazarev

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