La journée de samedi a été marquée par plusieurs rassemblements. A Pointe-à-Pitre, des milliers de manifestants ont défilé en musique à l’appel de plusieurs collectifs du Carnaval, comme Akiyo et Nasyon a Neg Mawon.
Le mouvement de contestation se poursuit en Guadeloupe, en attendant des négociations avec le gouvernement. Dans la nuit de samedi à dimanche, la Basse Terre a de nouveau été le théâtre de violences, émaillée de pillages, d’incendies et d’affrontements avec la police. Cette animosité, qui fait rage depuis une semaine, est la conséquence d’une politique sanitaire contestée. Toutefois, dimanche, pour la première fois depuis le début de la crise, la soirée a été relativement calme. Aucun heurt entre la police et les jeunes, n’a été constaté.
Lundi 22 novembre, la Martinique voisine a rejoint la contestation en lançant à son tour une grève, tout comme la Polynésie française le 24 novembre dernier. A quatre mois de la présidentielle, les enjeux ultra-marins s’invitent, eux-aussi, dans la course à l’Elysée. Face à cette escalade de violences qui sévit aux Antilles, la France a envoyé des forces de l’ordre en renfort, le Raid, et le GIGN. A plusieurs reprises, des tirs à balles réelles ont eu lieu en Guadeloupe et en Martinique, visant pompiers, policiers et journalistes.
L’obligation vaccinale, la goutte d’eau qui fait déborder le vase
Ce même jour, le ministre des Outre-Mer Sébastien Lecornu a annoncé “être en route pour les Antilles”. Il devrait se rendre en Guadeloupe, puis en Martinique, à la rencontre des élus. Il a d’ores et déjà annoncé que l’obligation vaccinale pour les soignants antillais serait repoussée au 31 décembre. Pas sûr que cela suffise à calmer les manifestants. En effet, le passe sanitaire et l’obligation vaccinale des soignants sont seulement une goutte d’eau qui a fait déborder le vase bien plein des problèmes économiques et sociaux rencontrés par les Guadeloupéens. Les soignants antillais peinent en effet à montrer l’exemple avec seulement 70% de vaccinés dans le corps médical. La lutte contre le pass sanitaire n’est que la pointe de l’iceberg et l’occasion pour les syndicats et les mouvements politiques de se faire entendre sur d’autres problématiques locales. Quelles sont les causes profondes de cette crise sanitaire ?
Depuis le 15 novembre dernier, la grève générale illimitée, lancée par des soignants opposés à l’obligation vaccinale, sévit en Guadeloupe. Différents syndicats en sont à l’origine. Parmi eux, on compte les syndicats de soignants et de pompiers ainsi que du « Lyannag Kont Pwofitasyon » (LKP), un collectif d’organisations syndicales, politiques et citoyennes fondé en 2009, lors de la grève générale contre la vie chère, qui avait paralysé la Guadeloupe pendant 44 jours. Si cette mobilisation sonnait la fin de l’état d’urgence sanitaire sur l’île et le début des sanctions vis-à-vis des soignants non vaccinés, les revendications dépassent désormais le cadre de la politique sanitaire menée par Paris et s’étendent à des problématiques économiques et sociales.
Ras-le-bol des jeunes
En une semaine, la mobilisation contre l’obligation vaccinale et la suspension de postes de soignants est montée d’un cran. Les manifestations autour du CHU de Pointe-à-Pitre ont pris de l’ampleur, les barrages autoroutiers, sur des points névralgiques des routes antillaises, se sont transformés en incendies, des tirs à balles réelles sur les véhicules de gendarmes ont été rapportés. La nuit, ce sont les jeunes qui prennent le relais. Incendies de voitures et de bâtiments, pillages de magasins et d’une armurerie, et les confrontations avec les gendarmes rythment les soirées des Guadeloupéens. Le bâtiment de la Douane maritime a également été vandalisé, où des armes lourdes ont été dérobées.
Les syndicalistes et les mouvements identitaires locaux ne se désolidarisent pas des jeunes, bien au contraire, ils les soutiennent. En effet il s’agit d’une façon de “sous-traiter” la gestion des barrages routiers de l’île, sans se salir les mains. On ne peut pas aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’une instrumentalisation des jeunes émeutiers, mais plutôt que tout le monde y trouve son compte. De plus, les violences attirent enfin l’attention des médias nationaux sur la mobilisation aux Antilles. Les jeunes en question, issus de la petite délinquance guadeloupéenne, ne profitent pas seulement du mouvement social pour régler leurs comptes entre eux et pour gagner quelques sous en faisant casses et pillages, contrairement à ce qu’on a pu entendre dans la presse. Via ces émeutes, ils expriment aussi et surtout leur ras-le-bol face à la situation des jeunes locaux. La pauvreté, le chômage massif, et le manque de formation laissent les jeunes désœuvrés, qui n’ont d’autres choix que de s’en résoudre à la criminalité. Notons qu’environ 52% des moins de 25 ans sont au chômage. Cette violence physique répond ainsi à une violence symbolique ressentie, au sentiment d’abandon de ses jeunes par le gouvernement français.

Un manque d’informations sur la situation
Ce refus du passe sanitaire en Guadeloupe est le fruit de fake news qui empoisonnent la campagne vaccinale sur les différents réseaux sociaux. De fait, ces derniers jours, une fausse information a particulièrement été diffusée : une avocate interrogée par « Le courrier des stratèges » indique que d’après ses informations, les autorités cachent le nombre de personnes vaccinées hospitalisées. De même, une croyance circule, selon laquelle les morts du Covid-19 n’auraient pas eu lieu si le CHU de la Guadeloupe était moins décati. Rappelons qu’un nouvel hôpital est en cours de construction, mais en attendant, l’hôpital de Pointe-à-Pitre, qui a été partiellement détruit en 2017, manque de moyens, de soignants, et de lits de réanimation. En 2018 déjà, une enquête avait été ouverte pour 43 décès suspects dus au manque de moyens.
Ces fausses informations, tout comme les crises sanitaires précédentes – le manque d’accès à l’eau potable ou le scandale du chlordécone- ravivent la défiance des Guadeloupéens envers les pouvoirs publics. En effet, pour expliquer leurs réticences, beaucoup de locaux dressent d’emblée un parallèle avec le scandale du chlordécone, un insecticide qui a empoisonné les sols de l’île. A la faveur d’une dérogation, et alors même que le produit était interdit dans l’Hexagone, celui-ci a été utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies pour combattre le charançon, un insecte ravageur. Cela a engendré des conséquences gravissimes sur la santé des ouvriers agricoles l’ayant manipulé, qui en souffrent encore aujourd’hui.
Ce ras-le-bol se généralise face à des mesures venues « tout droit de France », prises à 8000 kilomètres des Antilles et de leurs problèmes quotidiens. Il est ainsi difficile de lutter contre une épidémie sur une île où les habitants n’ont pas accès à l’eau toute la journée. De même, les locaux reprochent également au gouvernement de forcer la population à se vacciner au lieu d’envoyer de l’oxygène et d’autres moyens matériels pour lutter contre le Covid-19. En conséquence de cela, seuls 46 % de la population antillaise est vaccinée.
Vers l’autonomie de la Guadeloupe ?
Pour apaiser ce théâtre de violence, Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer a mis le sujet de l’autonomie de la Guadeloupe sur la table. « Certains élus ont posé la question de l’autonomie par rapport à son statut actuel. (…) Le gouvernement est prêt à en parler », a déclaré Sébastien Lecornu vendredi 26 novembre. Actuellement, la Guadeloupe est à la fois un département et une région de France. Toutefois, elle pourrait jouir d’un statut spécial, avec un parlement local comme en Nouvelle Calédonie, par exemple, pour gérer les affaires locales. Les compétences régaliennes seraient gardées par l’État.
Aussi surprenante soit-elle, cette annonce, serait-elle une façon de désescalader les tensions, et de répondre aux revendications ? De donner aux Antillais la possibilité de diriger leurs vies eux-mêmes ? De répondre à la percée des mouvements identitaires, autonomistes, régionalistes dans les sondages et aux élections régionales ?
Ou est-ce plutôt une façon de proposer l’autonomie selon les termes de l’État ? De fait, les mouvements identitaires et autonomistes gagnant en audience aux Antilles en ce moment, il serait alors plus judicieux de proposer l’autonomie selon les termes de l’État plutôt que selon les termes des mouvements politiques locaux. On assiste alors à un déplacement du débat politique, en détournant l’attention des problèmes sociaux et des enjeux de la mobilisation. Effectivement, en occupant les organisations locales autrement, ces dernières se disputeront pour avoir une part du gâteau de l’autonomie – accéder à l’autonomie selon les conditions qui les arrangent le plus, avoir le plus de siège au Parlement régional ou encore se placer politiquement face à ce débat-là- et ne seront plus unies sur le front de la mobilisation.
Toutefois, laisser les antillais régler leur problèmes entre eux, et notamment celui de la crise sanitaire et de l’épais dossier de l’eau potable sur l’île, n’est pas forcément une solution, si ce n’est juste une façon pour l’État de se laver les mains de ces problèmes et de laisser les Antillais se débrouiller entre eux. Si ce débat est intéressant à avoir, il ne fait pas partie des revendications du mouvement de contestation qui lutte contre la vie chère, la gestion sanitaire, ainsi que le chômage des locaux.
Par Julie Tomiche et Solène Robin