Le 22 janvier, après la promulgation du projet de loi sur le passe vaccinal par Emmanuel Macron, l’isolement et la contention en psychiatrie sont désormais encadrées par le juge des libertés et de la détention. C’est la fin d’un parcours juridique particulièrement sinueux, source d’insécurité pour les patients et les soignants. Décryptage.
C’est un petit pas pour les psychiatrisés, tout autant que pour la psychiatrie. Depuis le 22 janvier, les mesures d’isolement et de contention dans les hôpitaux psychiatriques sont désormais encadrées par le juge des libertés et de la détention (JLD). Cela fait suite à la promulgation par le Président de la République du projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique ». Un contrôle du « gardien de la liberté d’aller et venir » qui, dorénavant, intervient nécessairement lorsqu’un psychiatre souhaite renouveler l’isolement et la contention respectivement au-delà de 48h et 24h. Après un périple juridique de plusieurs années, ponctué de plusieurs censures par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement avait fini par glisser une disposition législative sur le sujet – l’article 3 – dans le projet de loi sur le passe vaccinal.
L’isolement, indique la Haute autorité de santé, consiste à placer « un patient, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique, dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients ». La contention mécanique, poursuit l’autorité publique indépendante située à Saint-Denis (93), est l’utilisation « de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’autrui ». Dans les deux cas, elles visent à protéger le patient de lui-même et/ou les autres. L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique précise que ce « sont des pratiques de dernier recours et [qui] ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement ». Ces mesures, parfois malheureusement nécessaires faute de mieux, peuvent cependant laisser d’importantes séquelles physiques et/ou psychiques aux patients.

Cet encadrement de l’isolement et de la contention « est une bonne chose », juge Mathieu Bellahsen, psychiatre et auteur de l’ouvrage La révolte de la psychiatrie (La Découverte, 2020). Selon lui, « cela renforce la possibilité de contre-pouvoirs au sein de l’institution psychiatrique ». Mais, très vite, il nuance : « On se heurte depuis deux ans à un gouvernement qui ne veut pas discuter du contenu de l’affaire : à savoir l’inflation des pratiques d’isolement et de contention [NDLR : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté affirme, malgré l’absence de statistiques nationales, que ces mesures seraient tendanciellement en hausse]. » « C’est une des seules questions qui aurait dû être posée lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie », s’agace l’ancien chef de pôle à l’unité d’Asnières (92) de l’hôpital Roger Prévot de Moisselles.
Un texte censuré à trois reprises
En 2015, le législateur se saisit de la question des pratiques d’isolement et de contention dans les hôpitaux psychiatriques. Un amendement est déposé par une quarantaine de députés socialistes dans le cadre de la loi « de modernisation de notre système de santé ». Ce texte, porté par Marisol Touraine et voté en 2016, suit les recommandations du Conseil de l’Europe et du Défenseur des Droits. Il dispose, lui aussi, que « le placement en chambre d’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours » et qu’elles doivent uniquement relever de la « décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée ».
Dans son rapport de 2016, le Contrôleur général des lieux de privations des libertés (CGLPL) indique que « ces contraintes physiques constituent, à tout le moins, une atteinte maximale à la liberté de circulation » et que « la manière dont elles sont mises en œuvre est souvent humiliante, indigne, parfois dangereuse ». Utilisées lors de crises d’agitation ou de mise en danger du patient, ces pratiques sont incontournables pour certains professionnels. Mais il existe une disparité entre les établissements, voire entre les services. Alors pour anticiper tout usage abusif, un encadrement législatif est nécessaire.
Mais en juin 2020, le Conseil Constitutionnel est saisi d’une première question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elle est un droit reconnu à toute personne de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le texte est censuré. Les mesures d’isolement et de contention constituent une « privation de liberté » : elles peuvent seulement être maintenues si un juge judiciaire, garant de la liberté individuelle, les supervise.
Or, la limite temporelle contraint les médecins. Un dispositif imaginé par les ministères de la Santé et de la Justice est alors voté par le Parlement en décembre 2020 : c’est l’article 84 du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021. Il permet aux hôpitaux de prolonger exceptionnellement la durée de 48 heures pour l’isolement et de 24 heures pour la contention. Une seule condition est requise : que le juge des libertés et de la détention en soit informé sans délai.
Mais le texte ne satisfait pas. En juin 2021, le Conseil Constitutionnel est saisi par une deuxième QPC et censure cet article 84. Effectivement, informer le juge des libertés n’empêche pas les médecins de renouveler éternellement les mesures de contention et d’isolement. L’effet de la censure est reporté au 31 décembre 2021 afin que le Gouvernement et le Parlement aient le temps de légiférer dessus.
Alors en novembre 2021, le Parlement vote la modification du code de la santé publique. Un juge, dispose le texte, doit donner son approbation pour prolonger une mesure d’isolement au-delà de quatre jours ou une mesure de contention au-delà de trois. Il s’agit d’être en phase avec l’article 66 de la Constitution selon lequel « Nul ne peut être arbitrairement détenu. » Pour contourner une éventuelle censure du Conseil Constitutionnel sur le fond de l’article, le Gouvernement le glisse dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. C’est l’article 41.
Le 16 décembre, rebelote : le Conseil Constitutionnel censure l’article. C’est la troisième fois en dix-huit mois que le texte sur l’encadrement des pratiques de contention et d’isolement en psychiatrie est retoqué. Cette fois, les Sages s’expriment sur la forme et dénoncent un cavalier législatif : l’article 41 introduit des dispositions qu’ils jugent sans rapport avec la loi qui l’arbitre. Il est effectivement difficile de trouver un lien entre les mesures en psychiatrie et le financement de la sécurité sociale. Pourtant, la forme de l’article avait bien été validée l’année précédente, puisque le PLFSS 2021 contenait l’article 84 sur les mesures en psychiatrie. Étrange, donc.
Un vide juridique source d’insécurité
Mais suite à la censure de juin 2021, le gouvernement doit statuer avant le 31 décembre sur la contention et l’isolement. Au risque qu’un vide juridique advienne : c’est une absence de normes législatives applicables à une situation donnée – ici, en psychiatrie. Concrètement, les textes de loi sont incomplets, ou alors aucune disposition législative n’existe. Pour éviter d’ouvrir le débat sur un sujet éminemment clivant tout en allégeant l’agenda politique, le gouvernement renouvelle sa stratégie. Il doit statuer sur le projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique » (autrement dit, soumettre le texte sur le passe vaccinal). Alors, mi-décembre, l’ex-article 41 du PLFSS 2022 sur les mesures de contention et d’isolement en psychiatrie change de nom mais pas d’essence : il devient l’article 17 du projet de loi sur le passe vaccinal.
Toutefois, problème de taille : ce dernier PJL n’a été promulgué que le 22 janvier dernier. Conséquence entre le 1er du mois et cette date, le renouvellement au-delà de 48h pour l’isolement et de 24h pour la contention est devenu illégal. Quelques jours après la censure des Sages du 16 décembre 2021, un communiqué signé par la quasi-totalité des organisations professionnelles du soin psychique constatait amèrement : « [d]ès lors c’est la responsabilité pleine et entière, civile et pénale, des professionnels qui sera désormais potentiellement engagée, devant l’impossibilité du renouvellement des mesures de sécurisation juridique de la prise en charge des patients. » Inquiètes, elles poursuivaient : « Il s’agit là d’un véritable séisme institutionnel, une première depuis 1838, qui insécurise un peu plus encore les professionnels de psychiatrie pourtant déjà éreintés par la crise structurelle du système de santé, les difficultés de recrutement, et les vagues successives l’épidémie COVID 19 contre lesquelles ils se sont – et restent encore – fortement mobilisés. »
« J’inviterais tous les psychiatrisés qui ont été attachés ou enfermés durant cette période à porter plainte contre l’établissement et donc contre l’Etat pour sa défaillance », tranche M. Bellahsen [NDLR : seuls ceux dont l’isolement et/ou la contention ont été prolongées au-delà de, respectivement, 48h et 24h le pourraient]. Ce psychiatre « espère que ces contentieux vont se multiplier pour instituer un vrai débat national là-dessus ». Face à ce risque juridique caractérisé pour les établissements psychiatriques, le ministère des Solidarités et de la Santé s’est activé. Une circulaire publiée au cours du mois de janvier les mettait en garde sur la possible constatation de l’illégalité du renouvellement des mesures d’isolement et de contention au-delà des délais légaux.
Isoler cette insécurité juridique et cette « inflation » du reste des problématiques que traverse la psychiatrie serait faire une erreur notable. Pour Mathieu Bellahsen, l’augmentation des mesures d’isolement et de contention s’explique par trois pénuries : « psychique », celle d’un « formatage » à des techniques de soins court-termistes ; « humaine », celle du manque de personnels ; et « financière et matérielle ». Pourtant, Emmanuel Macron et le Gouvernement considèrent avoir réalisé de grandes avancées lors des Assises. « Les mesures annoncées par le Président de la République, souligne un communiqué de presse interministériel daté de septembre 2021, […] définissent […] une ambition renouvelée et étendue en matière de prise en charge de la santé mentale et de la psychiatrie en France. » De leur côté, 13 organisations de professionnels du soin psychique s’interrogeaient en octobre dernier sur : « un beau discours présidentiel qui laisse pourtant des problèmes majeurs sans réponse ». Alors : qui a tort, qui a raison ?
Par Marius Matty et Elena Vedere
