Appelée par une partie des électeurs de gauche, Christiane Taubira capte l’attention autour de sa candidature à la Primaire populaire et à l’élection présidentielle de 2022. Au-delà de l’engouement qu’elle suscite, au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron, elle s’est distinguée par ses prises de position autant que par ses absences de réaction.
Une de plus à gauche dans la course à l’Elysée. Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice sous le précédent quinquennat, s’est engagée le 15 janvier dans cette voie sinueuse et risquée. Son choix : participer à la Primaire populaire – dont elle a promis qu’elle respecterait les résultats –. Un processus destiné à faire émerger une candidature unique du « bloc des justices » face aux blocs « identitaire » et « néolibéral ».
Quoi qu’il en soit, celle qui s’est battue il y a près de dix ans pour l’adoption du « Mariage pour tous », égrène depuis quelques semaines ses propositions. Mais Mme Taubira et le mérite de la clarté, c’est en réalité une histoire à deux visages. D’un côté, elle statue sans ambages, souvent ni sans maîtrise ni sans netteté ; d’un autre, elle floute, embrume. A de nombreuses reprises, l’ancienne Garde des sceaux a pris garde… à ne pas prendre position ! Mais sur quels sujets – généralement sources de haute-tension – a-t-elle conservé ce silence assourdissant ? Et sur lesquels a-t-elle tenu la tranchée ?
Cinq ans en retrait de la vie politique, vraiment ?
Après avoir quitté le gouvernement de Manuel Valls en 2016 et avant de soutenir Benoît Hamon lors de la campagne présidentielle de 2017, Christiane Taubira s’engageait moins dans un retrait que dans un éloignement de la vie politique. En février 2017, elle confie à Paris Match que son activité politique se traduirait désormais par des « livres », des « conférences » et son « savoir » et non par le combat électoral – « en politique, il faut savoir partir », affirme-t-elle. Elle y explique placer au cœur de ses futures luttes, son « ‘’intranquillité’’ permanente » qu’elle éprouve à l’égard de la jeunesse. Loin du cambouis, elle s’attacherait à intervenir quand cela serait nécessaire sur les plateaux et dans les colonnes des journaux.
Elle rythme les cinq années de la présidence Macron d’un ouvrage par année. Autobiographie romancée, anthologie littéraire d’une vie marquée par la politique, roman ou encore recueil de nouvelles. Il s’en dégage des thèmes qui ont profondément marqué sa vie comme le féminisme, la justice, la précarité, l’anticolonialisme, son attachement à la Guyane et la littérature.
Médiatiquement, sa parole prend source dans les mobilisations sociales qui ont secoué la France au cours du quinquennat. A la fin de l’année 2018, elle s’exprime à propos du mouvement des Gilets Jaunes, « marque de vitalité de la démocratie » selon ses mots. Plus tard, à l’été 2020, elle réaffirme ses positions qu’elle aime à appeler « humanistes » et soutient le mouvement porté par Assa Traoré qu’elle qualifie de « chance pour la France ». Elle réalise notamment un entretien fleuve dans le Journal du Dimanche dans lequel elle dénonce les dérapages violents et racistes dans la police française et le « lyrisme aristocratique » d’Emmanuel Macron.
Elle s’est également levée face à plusieurs actions du gouvernement. D’abord en 2018, pour Regards, elle sort de son silence médiatique et dénoncer entre autres la loi asile et immigration. La majorité présidentielle la décrit comme un compromis entre humanité et fermeté, ce qu’elle juge « absurde » et « insensé ». En 2021, elle conteste la politique de santé et de lutte contre le Covid-19 menée par le gouvernement en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane et soutient soignants et manifestants sur ces territoires.

Sur son blog dans le journal en ligne HuffPost, l’ex-Garde des Sceaux prend position sur certaines polémiques. En février 2018, alors que la chanteuse Mennel est écartée du show télévisé The Voice en raison de la découverte de tweets complotistes sur les attentats de Nice en 2016, Christiane Taubira signe un texte de soutien qui reconnaît la valeur et la puissance de ses excuses. En juillet de la même année, c’est autour du délit de solidarité qu’elle s’exprime. Elle se ravit de la décision du Conseil constitutionnel d’inciter à l’affaiblissement dudit « délit de solidarité » qui fait suite à la Question prioritaire de constitutionnalité déposée par Cédric Herrou.
En sus, elle a pris position sur des phénomènes de plus long-terme qui ne s’inscrivent pas en réaction à des évènements particuliers. D’une part, lors de la Nuit des Idées à Montréal en 2018, elle s’exprime sur le féminisme et la place des femmes en politique. Elle félicite le mouvement structurel de prise de parole des femmes dans l’espace public contre les violences sexistes et sexuelles tout en dénonçant le système de domination masculine. D’autre part, elle explique sur RTS en 2019, en commentant les marches pour le climat, que « l’écologie en soi ne peut être une finalité » et que l’écologisme nécessitait une politisation. Deux ans plus tard, à la fin de l’année 2021, elle est invitée par l’Institut Open Diplomacy à évoquer sa vision du concept de Développement durable et sa dimension inclusive.
Ses absences : « avoir piscine » ou jouer de la lyre ?
Certains à gauche se plaisent à prétendre que Christiane Taubira ne défendrait que des combats « sociétaux ». Comprendre tout ce qui ne concernerait pas les revenus économiques : comme le « cis-patriarcat », le racisme, l’« hétéronormativité » ou le validisme ; tout ce qui ne relèverait pas de la supposée « question sociale ». Le sociologue Pierre Bourdieu – nous fêtions les vingt ans de sa mort le 23 janvier – nous alertait déjà en son temps sur les dichotomies hasardeuses. Tout indique, en effet, que cette séparation n’est pas opérante. Et pour preuve : les statistiques socio-économiques à propos, par exemple, des personnes transgenres ou en situation de handicap qui connaissent un niveau de précarité et de pauvreté plus élevé que la moyenne nationale. En définitive : tout est lutte sociale. Ceci étant dit, Mme Taubira, sur un certain nombre de sujets, « avait piscine » ou se contentait de jouer de la lyre.

A commencer par d’importants mouvements sociaux. On peut légitimement se demander : sont-ils sa tasse de thé ? Mobilisations contre les « ordonnances Macron », la sélection à l’université, la réforme du baccalauréat, les mouvements de grève aux urgences – un des éléments déclencheurs du Ségur de la santé – et… la plus grande grève de la décennie : sur les retraites. Interrogée sur ce dernier sujet il y a quelques jours sur France Inter, elle était incapable de dire s’il fallait travailler plus ou moins vieux [NDLR : à partir de 14 min 40]. De même sur des questions écologiques : l’interdiction du glyphosate, l’Affaire du Siècle et la ratification de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (CETA). Où Mme Taubira était-elle ? Mais sortez toutefois le nuancier. Pendant la crise sanitaire, l’ancienne candidate à la présidentielle de 2002 a aussi pris la plume – lyriquement. Pour mettre en lumière ces « ombres qui nous bichonnent » : les métiers du lien, les premiers de corvée. Mais pas de propositions. Sur ces sujets brûlants, elle ne voulait pas se mouiller.
L’état-major de celle qui a quitté le navire de François Hollande en 2016 au moment de la loi sur la déchéance de nationalité nous explique qu’elle dénonce un « président qui a gouverné en favorisant les forces économiques, en méprisant les gens, parfois en les insultant ». Sa démarche de gouvernement est « complètement différente », est-on prié de croire. Christiane Taubira, nous affirme-t-on, percevrait même « sévèrement » le quinquennat Macron. Des paroles ou des actes ? Maintenant, direction le programme !
Par Adrien Desingue
