D’OTTAWA A Paris, des « Convois de la liberté » contre les mesures vaccinales

Une fois par semaine, Combat décrypte le sujet que VOUS avez choisi. Cette fois-ci, vous avez choisi celui sur les convois de la liberté.

Depuis un mois, le Canada connaît un intense mouvement de contestation venu des camionneurs, qui bloquent la capitale fédérale Ottawa pour s’opposer aux mesures vaccinales décidées par le gouvernement Trudeau. Autoproclamé “Convoi de la liberté”, cette mobilisation a inspiré des mouvements similaires en Nouvelle-Zélande, en Autriche et désormais en France. Quel sens donner à ces mouvements et quelles sont leurs spécificités ?

A l’origine, des camionneurs canadiens en colère

Au Canada, la contestation est née à la mi-janvier en réaction à une décision du gouvernement Trudeau obligeant tous les camionneurs traversant la frontière canadienne à être vaccinés (la même décision a été prise côté américain quelques jours plus tard). Problème : environ 25 000 camionneurs, soit 15% de la profession, refuseraient de se faire vacciner et seraient ainsi mis à l’écart, alors même que la profession connaît une pénurie de main-d’œuvre. L’économie canadienne étant très dépendante des Etats-Unis, cette décision a eu un fort impact sur les échanges entre les deux pays. Un mouvement de contestation intitulé « Freedom Convoy » s’est alors organisé sur les réseaux sociaux pour s’opposer à cette décision. « La chaîne d’approvisionnement a été perturbée depuis plus d’un an en raison des divers gouvernements au Canada imposant des restrictions draconiennes et illibérales sur les activités commerciales », dénoncent notamment les porte-paroles du mouvement dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.

Le 22 janvier, les premiers convois s’élancent, principalement au départ de l’ouest canadien. Une semaine plus tard, ils sont plusieurs milliers de camionneurs à occuper la colline du Parlement à Ottawa. Dans une ambiance festive, ils bloquent jour et nuit le centre-ville de la capitale fédérale sous un concert de musiques, de chants et de klaxons.

Crédit photo : Margot Dejeux

Leurs revendications sont multiples : ils demandent la suppression de l’obligation vaccinale des “truckers”, qu’ils considèrent comme inutile au vu du peu de contacts entretenus avec la population extérieure, voire néfaste pour les consommateurs canadiens, mais aussi l’abrogation du passeport vaccinal et, pour certains, la démission du Premier ministre Justin Trudeau. Ce dernier, très critiqué pour sa gestion de la crise sanitaire, n’aura cessé de vouloir décrédibiliser le mouvement des camionneurs, en le qualifiant notamment de “petite minorité marginale” aux “opinions inacceptables“. Devant l’incapacité des forces de police d’Ottawa et de l’Ontario à empêcher les blocages, il a ensuite enclenché un arsenal répressif inédit en invoquant il y a une semaine la Loi sur les mesures d’urgence, pour la première fois depuis sa promulgation en 1988. Cette loi permet notamment aux policiers d’interpeller arbitrairement les manifestants en raison de leurs opinions politiques ; dans le cas présent, la vice-première ministre Chrystia Freeland a déclaré que les camions des manifestants pourraient être saisis, leurs comptes d’entreprise gelés et l’assurance de leur véhicule suspendue. Au troisième jour de l’intervention policière qui a démarré vendredi, près de 200 manifestants ont été arrêtés à Ottawa. Tandis que le pont Ambassador, épicentre de la mobilisation à la frontière américaine, a été évacué, les derniers manifestants et leurs véhicules quittent la capitale fédérale à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Un mouvement récupéré par l’extrême-droite ?

La forte hétérogénéité du mouvement rend très délicate toute analyse générale de ses caractéristiques. Dans les cortèges se côtoient des camionneurs indignés par leurs conditions de travail pendant la pandémie et le manque de reconnaissance du gouvernement fédéral, des citoyens lassés par la multiplication des mesures sanitaires, des militants antivax proches du mouvement QAnon ou des membres de groupuscules suprémacistes ou identitaires, qui tiennent pour modèle l’invasion du Capitole du 6 janvier 2021 aux Etats-Unis. Plusieurs drapeaux confédérés ont d’ailleurs été aperçues dans les manifestations. L’ « all-right » (extrême-droite) canadienne est également très présente et suscite des alliances improbables entre le Maverick Party, qui lutte pour l’indépendance de l’ouest canadien, certains groupes ultra-nationalistes québécois comme La Meute et le très droitier Parti Populaire du Canada. A l’international, des personnalités publiques comme Donald Trump, Elon Musk et le présentateur de Fox News Tucker Carlson ont témoigné publiquement leur soutien à la mobilisation des camionneurs.

Crédit photo : Margot Dejeux

Il reste toutefois difficile d’évaluer précisément l’ampleur de ce mouvement dans un pays où 80% de la population a reçu ses deux doses de vaccin. Si les derniers sondages montrent une certaine sympathie des Canadiens vis-à-vis du mouvement, avec un peu moins de 50% d’opinions favorable, une frange importante de la population, de même que les principaux partis de gauche et du centre, reste convaincue de la nécessité des mesures mises en place pour contrer la pandémie. Tandis que certains habitants d’Ottawa font part de leur lassitude face à un blocage persistant et bruyant qui contraste avec le calme habituel de la capitale, des contre-manifestations marginales sont également organisées dans certaines villes du Québec, dénonçant les discours fascistes aperçus dans le mouvement. Alors que le convoi a fêté ses trois semaines d’existence, reste à déterminer s’il est amené à s’imposer comme une lame de fond contre les atteintes démocratiques liées à la crise sanitaire, ou en simple manifestation de force de la droite identitaire canadienne.

En France, un convoi muselé aux contours diffus

Inspiré du mouvement outre-Atlantique, un convoi de la liberté à la française a tenté d’émerger. Entre le 12 et le 14 février, des centaines de manifestants ont convergé vers Paris. Leur objectif était de bloquer la capitale du pays avant de rallier Bruxelles pour un rassemblement des mouvements similaires européens. Dans les deux capitales, les manifestations ont été interdites, à défaut d’être déclarées et de se conformer aux réglementations d’occupation de la voie publique et de circulation.  

Un important dispositif de maintien de l’ordre a été déployé : 7 500 policiers et gendarmes ainsi que des véhicules blindés ont été mobilisés à Paris. Le week-end dernier, nombre de convoyeurs ont été arrêtés avant leur arrivée et l’Arc de triomphe n’a été occupé que quelques minutes avant d’être dispersé à coup de bombes lacrymogènes. 54 individus ont été interpellés, 337 individus ont été verbalisés. Les manifestants se sont finalement séparés avant d’atteindre la capitale belge. C’est donc un convoi d’environ 500 véhicules qui est entré dans Bruxelles. Depuis, aucun nouvel appel à former des convois de la liberté dans le pays n’a été lancé. 

Des manifestants sont partis de Bayonne le 9 février pour rejoindre le « Convoi de la liberté ». © AFP / GAIZKA IROZ

Les revendications du mouvement français divergent en certains points avec le convoi canadien. Même si la suppression du passe vaccinal demeure le principal moteur de la mobilisation, la chute du pouvoir d’achat, la détaxation du carburant ou encore le mandat d’Emmanuel Macron et la critique des médias sont également au cœur des discussions dans les convois. 

La forme que prend ceux-ci est également différente. Au Canada, ce sont des camionneurs qui, forts de la taille de leurs véhicules, bloquent Ottawa et d’autres villes du pays. Dans l’hexagone, se sont plutôt des particuliers au volant de leur citadine qui se sont dirigés vers Paris. Certains leaders des Gilets jaunes ont soutenu le mouvement comme Jérôme Rodriguez, arrêté à Paris la semaine dernière. Il est par ailleurs difficile de détacher une tendance politique dans les convoyeurs. Si le porte-parole de la France Insoumise Adrien Quattenens a affiché son soutien public au mouvement, Eric Zemmour et ses proches y sont également favorables, de même que Marine Le Pen qui a dit “comprendre” les manifestants. A l’inverse, Yannick Jadot et les Républicains sont fermement opposés au convoi de la liberté, tandis qu’Anne Hidalgo appelle à un dialogue renforcé. 

Une contestation qui essaime à l’international

Ailleurs dans le monde, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et l’Autriche ont également été le théâtre de plusieurs “convois de la liberté”. Côté néo-zélandais, les manifestants hostiles aux très strictes restrictions sanitaires mises en place sur l’île depuis le début de la pandémie ont convergé en convoi vers Wellington pour occuper le parvis du Parlement.  Les services d’ordre du bâtiment officiel ont employé des méthodes originales pour les disperser en enclenchant les arroseurs automatiques des pelouses du Parlement ou en diffusant des musiques au rythme infernal telles que Baby Shark ou la Macarena. Au Pays-Bas, une vingtaine de camions a bloqué le Parlement national, appelant à la levée de toutes les restrictions sanitaires. En Autriche, les convois ont été strictement interdits. 

Par Vincent Marcelin et Damian Cornette

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