Ukraine – les clés pour comprendre

Au milieu de la nuit du 23 au 24 février, Vladimir Poutine a annoncé le début d’une opération militaire en Ukraine. Le président russe dénonce un « génocide » mis en place par Kiev dans le Donbass et la politique agressive de l’OTAN envers Moscou.

4 heures du matin, heure française. La vidéo a déjà fait le tour du monde des millions de fois. Face caméra, Vladimir Poutine annonce sa décision d’une opération militaire, appelant les militaires ukrainiens à « déposer les armes » s’ils voulaient « quitter le champ de bataille sans entrave. » Quelques minutes plus tard, alors que des explosions se faisaient entendre du côté de Kiev, le ministère russe de la défense assurait viser uniquement les infrastructures militaires. Tandis que le président russe affirme vouloir « la démilitarisation » de l’Ukraine, et non son « occupation », le ministère ukrainien des affaires étrangères pointe du doigt une opération visant « à détruire l’Etat ukrainien, à s’emparer de son territoire par la force et à établir une occupation. » Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a quant à lui appelé ses citoyens à « ne pas paniquer », tout en prévenant « une grande guerre en Europe. »

Du côté de l’Occident, États européens, États-Unis et ONU appellent la Russie à cesser une guerre « qui n’a aucun sens. » La France dénonce le « mépris » de la Russie à l’égard  des Nations unies, les Etats-Unis invoquent une « attaque injustifiée »

Alors que les rebondissements autour du conflit russo-ukrainien secouent la sphère diplomatique depuis des mois, Combat rembobine pour vous permettre de saisir toutes les clés et tous les enjeux de la situation.

Vladimir Poutine a déclénché l’invasion de l’Ukraine aux premières heures du 24 février 2022 © AFP / Handout / KREMLIN.RU / AFP

Au commencement : un lourd passif russo-ukrainien

C’est une ancienne république soviétique, devenue indépendante en 1991. Au carrefour entre deux-mondes, l’Ukraine fait partie de ces « États-tampons » sans cesse ballottés entre une puissance et une autre. 2005 marque par exemple le début d’un rapprochement avec l’Union Européenne et l’OTAN, avec l’élection du président pro-occidental Viktor Iouchtchenko auquel l’OTAN promet en 2008 la possibilité d’intégrer l’alliance. Cinq ans plus tard, le nouveau président, pro-Moscou, Viktor Ianoukovitch, refuse de signer l’accord d’association avec l’UE.

Ce retournement de situation provoque l’ire des Ukrainiens pro-occidentaux, qui déclenchent en 2014 la révolution pro-européenne de Maïdan. Si celle-ci est réprimée par les forces de l’ordre, elle se conclut cependant par la chute de Viktor Ianoukovitch, vécue par Moscou comme « un coup d’État. » Dans la foulée, les séparatistes de l’est du pays proclament la République populaire de Donetsk, puis celle de Lougansk, soutenues par la Russie, qui en profite pour annexer la Crimée, une péninsule ukrainienne située sur la mer Noire. C’est la guerre du Donbass, où la situation ne cesse qu’en 2015, lorsque les Accords de Minsk actent le cessez-le-feu. Quant à la Crimée, la population approuvera à 96% son annexion par la Russie, lors d’un référendum critiqué par la communauté internationale. Cette reconnaissance nuit en effet aux Accords de Minsk et permet à Vladimir Poutine de s’installer militairement dans l’est de l’Ukraine. Élu en 2019, le président ukrainien Volodymyr Zelensky utilisait en 2021 des drones armés dans la région du Donbass, provoquant de nouvelles tensions avec Moscou.

Focus sur la région du Donbass

Depuis huit ans, cette zone anciennement rattachée à l’est de l’Ukraine est secouée par des conflits entre Ukrainiens et pro-Russes qui ont déjà fait plus de 14 000 morts. Il s’agit d’une région économique et culturelle importante de l’Ukraine, qui comprend deux oblasts (provinces) de l’est du pays : l’oblast de Donetsk et l’oblast de Louhansk. Ensemble, ces deux provinces s’étendent sur près de 8 000 m2, soit la superficie de la Corse, et possèdent de nombreuses mines de charbon. Leur exploitation intensive est d’ailleurs à l’origine d’une atteinte importante à l’environnement (carence en eau potable, pollution de l’air, décharges de déchets chimiques non surveillées…)

Les frontières de l’Ukraine contestées depuis 2014. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Les dessous d’une « invasion »

Il y a encore quelques mois, Dmitri Trenin, directeur du Centre Carnegie de Moscou, ne pariait pas sur l’invasion russie. Le 28 décembre 2021, il écrivait dans Foreign Affairs : « Cela ne signifie pas qu’une invasion russe de l’Ukraine est imminente. Malgré la prédilection des médias occidentaux pour dépeindre Poutine comme téméraire, il est en fait prudent et calculateur, en particulier lorsqu’il s’agit de l’usage de la force. » La chercheuse Carole Grimaud Potter le rejoignait il y a quelques jours, affirmant que « diplomatiquement parlant, tout n’est pas fermé. »

Officiellement, la raison principale… c’est l’OTAN. Le rapprochement entre l’Ukraine et l’OTAN, entamé en 2008 et accéléré en 2020, est vécu par Moscou comme une provocation. Pour le gouvernement russe, les Occidentaux ne respecteraient pas « leur promesse » de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est.

Fin 2021, Moscou dressait aux États-Unis une liste de demandes, essentielles selon Vladimir Poutine pour éviter la possibilité d’un conflit militaire à grande échelle en Ukraine. Le gouvernement russe demandait alors l’arrêt officiel de l’élargissement à l’Est de l’OTAN, un gel permanent de toute nouvelle expansion de l’infrastructure militaire de l’organisation dans l’ancien territoire soviétique, mais encore la fin de l’aide militaire occidentale à l’Ukraine et l’interdiction des missiles à portée intermédiaire en Europe. Si ces demandes n’étaient pas respectées, le Kremlin menaçait l’intervention militaire. Or, selon l’OTAN, la Russie n’a pas de droit de veto sur ses décisions puisqu’elle ne fait pas partie de l’alliance. Elle n’avait aucune raison d’exiger que l’Occident cesse de soutenir militairement l’Ukraine. D’autant plus que, l’Ukraine est un État souverain, libre de conclure les traités qu’il souhaite, y compris dans le domaine militaire. Pour l’OTAN, répondre aux exigences de la Russie sur l’expansion de l’OTAN reviendrait à nier la possibilité pour la Géorgie et l’Ukraine de conclure des traités d’alliance militaire de manière libre donc nier leur souveraineté étatique. Le courrier de Vladimir Poutine était alors resté lettre morte.

En parallèle, l’Histoire ne devrait pas oublier d’où vient Vladimir Poutine : celui qui a fait carrière dans l’ancien service de renseignement soviétique, le KGB, qualifiait en 2000 l’effondrement de l’Union soviétique de « la plus grande catastrophe géopolitique » du XXè siècle. Aujourd’hui, le président russe se sent en droit de « reconquérir » l’Ukraine, y voyant surtout une ancienne république de l’Union soviétique, ethniquement et linguistiquement étroitement liée à la Russie. L’été dernier, Poutine a publié un long texte « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », dans lequel il remonte au haut Moyen-Age pour détailler ces origines communes. Pour Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des Relations internationales (IFRI), le président russe ne veut rien d’autre que « le retour de la puissance russe. »

« La première victime d’une guerre, c’est la vérité. »

Se pencher sur les relations diplomatiques entre la Russie et le reste du monde, c’est aussi essayer de démêler un nœud de serpents où s’agrippent contre-vérités, novlangue et déformations de propos. Invitée ce matin sur France Inter, l’historienne Françoise Thom évoquait « un lavage de cerveau, une éducation à la haine » opérée par Vladimir Poutine au sein de sa population, à travers les médias : « il a imprimé sa vision paranoïaque au pays entier. » Ce à quoi Christophe Deloire, porte-parole de Reporter Sans Frontière, répond que le président russe « déstabilise la démocratie via les médias » et « coupe son pays du monde et de la réalité. »

En parallèle, le 22 février dernier, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, dénonçait les pays occidentaux « de répandre activement des rumeurs et de la désinformation. »  Pas plus tard que ce matin, Vadim Gigin, doyen de la Faculté de philosophie et des sciences sociales de l’Université d’État de Biélorussie, mettait en garde les citoyens russes contre « une puissante campagne de désinformation menée contre nous par l’Occident, des bourrages de crâne sans fin. » De son côté, Vladimir Poutine dispose pour se défendre d’un argument de taille : pour lui, les leçons américaines ne valent rien compte tenu des interventions de Washington au Moyen-Orient, plus particulièrement en Irak. Non seulement cette information justifie à ses yeux le refus de voir l’OTAN s’immiscer à l’Est, mais elle lui permet aussi de qualifier les réactions occidentales « d’hypocrites. »

Enjeux géopolitiques : des répercussions européennes…

Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis, annonçait dimanche dernier qu’il existait « une possibilité réelle de guerre en Europe. » Côté européen, la principale inquiétude repose sur le gaz.  Le PIB russe repose à 30 % sur le gaz et le pétrole. Or l’Europe importe habituellement 40 % de son gaz de Russie par l’intermédiaire de Gazprom, même si ce chiffre est passé à 30% en janvier dernier. La France, quant à elle, importe 20% de gaz russe pour assurer son approvisionnement. La France et la Russie sont aussi dépendantes en uranium : de l’uranium français de retraitement est envoyé en Russie pour y être recyclé en Sibérie afin d’être réutilisé dans des centrales russes et françaises grâce à des contrats signés entre Orano (ex-Areva), EDF et l’entreprise publique russe Rosatom. Récemment, l’Allemagne a aussi gelé le gazoduc Nord Stream II reliant la Russie à l’Allemagne. L’Europe pourrait envisager de nouvelles sanctions envers la Russie, notamment sur le secteur bancaire et sur le transfert de technologie ; des mesures auxquelles le Kremlin pourrait facilement répondre par une volée de cyber-attaques. À noter que les sanctions européennes pèsent sur Moscou depuis 2014, et qu’elles n’effraient donc plus le président russe.

Dans un scénario où la Russie serait victorieuse en Ukraine, toute la sécurité européenne et américaine serait à revoir. Moscou pourrait soit installer un gouvernement pro-russe à Kiev, soit entraîner la répartition du pays. L’Ukraine deviendrait quant à elle un « collapsed state », un Etat en faillite. Il s’agira alors de préserver la paix en Occident tout en évitant prudemment l’escalade militaire avec la Russie. Il faudra aussi composer avec l’idée que ni l’UE, ni l’OTAN, ne peuvent réellement assurer la paix sur le continent. Sous un siège perçu par la Russie, l’UE et l’OTAN n’auront plus la capacité de mener des politiques ambitieuses au-delà de leurs propres frontières. Cela ouvrirait une vaste zone de déstabilisation et d’insécurité de l’Estonie à la Pologne en passant par la Roumanie et la Turquie. Les États membres de l’Est, dont l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie, auront probablement un nombre important de troupes de l’OTAN stationnées en permanence sur leur sol. Dans cette nouvelle Europe, Etats-Unis et Russie, les deux plus grandes puissances nucléaires au monde, devront maintenir la paix dans un état de conflit économique et géopolitique permanent.

Depuis le début des bombardements la nuit dernière, les Ukrainiens cherchent à fuir leur pays. Les prix du pétrole, du blé et de l’aluminium sont en pleine envolée. Cette donnée est aussi à prendre en compte : face à une Europe déjà désarmée devant l’afflux migratoire, la situation en matière de réfugiés pourrait bien exacerber de nouvelles tensions en Occident.

Vladimir Poutine et Xi Jinping à Pékin le 4 février. Aleksey Druzhinin/Sputnik via Reuters

… à un rapprochement sino-russe ?

Enfin, l’on oublie que la situation pourrait toucher bien au-delà de l’Europe. Face à des sanctions économiques et financières occidentales qui ne sauraient tarder, la Russie pourrait rechercher un soutien du côté de la Chine, qui elle-même est en constante opposition avec les Etats-Unis. Dans les mois à venir, l’entente sino-russe pourrait se transformer en une réelle alliance, mêlant coopération économique, financière, technologique et militaire. Certains arguent aussi que la Chine pourrait être enhardie par l’assurance de la Russie et menacer d’une confrontation à propos de Taiwan. Cet après-midi, neuf avions de l’armée de l’air chinoise ont effectué une banale dans l’ADIZ (zone d’identification de défense aérienne) de Taïwan, provoquant un quiproquo du côté de Reuters qui titrait que ces avions avaient pénétré dans « la zone de défense aérienne » de l’île.

Pékin a d’ailleurs pris le parti de la Russie, accusant l’expansion de l’OTAN d’avoir causé la crise et alléguant que les prédictions américaines d’une invasion imminente l’aggravaient. Mais à y regarder de plus près, le choix que s’apprête à faire la Chine est plus complexe : son alliance avec Moscou ruinerait ses relations avec l’Europe et avec Washington et pousserait des pays traditionnellement non alignés vers l’Occident (l’Inde, par exemple.) Si elle refuse d’aider Moscou, son partenariat stratégique serait affaibli au moment où elle en a le plus besoin pour assurer la sécurité de l’Asie.

Historiquement parlant, les derniers conflits dans lesquels s’est engagée la Russie ne lui ont pas autant desservi que ce que l’on aurait pu penser. Alors qu’en 2015, Barack Obama prédisait « un bourbier russe » en Syrie, Moscou a, au contraire, étendu son influence d’Israël à la Libye, récupérant au passage une alliance solide avec Bachar Al Assad. 

En revanche, sur le long terme, les bénéfices coûts/avantages du conflit entrepris par Vladimir Poutine pourraient lui desservir au sein de son propre pays. L’élite russe pourrait en effet souffrir personnellement des tensions avec l’Europe, et l’économie du pays est elle aussi menacée.

À l’heure où nous bouclons cet article, l’armée russe a affirmé avoir détruit 74 installations militaires, dont onze aérodromes. On compte au moins quarante soldats et une dizaine de civils ukrainiens tués pour une cinquantaine de soldats russes. De son côté, l’OTAN a annoncé que, n’ayant aucune troupe en Ukraine, l’alliance « n’a aucun plan et aucune intention de déployer des troupes dans ce pays. » Un sommet en visioconférence se tiendra vendredi.

Par Charlotte Meyer

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