Le Parlement a récemment adopté la loi « Balanant ». Après plusieurs années de sensibilisation citoyenne au harcèlement en milieu scolaire, la loi considère désormais celui-ci comme passible de dix ans de prison.
« La plupart des adultes ramènent ces affaires de harcèlement à des gamineries. C’est irresponsable. Dans ces cas tragiques, il ne s’agit pas de bagarres ordinaires de cour de récrée. Souvent, il y a un effet de meute. Personne n’entend, on tourne la tête. Les enfants harcelés par leurs pairs se retrouvent réduits au silence, étouffés. Le mot d’ordre véhiculé par ces petites bandes est simple : « Si tu parles, t’es une balance ! » On se croirait dans la mafia. Les victimes se taisent. Si elles osent parler, elles se retrouvent isolées. La meute se déchaîne, avec un sentiment de totale impunité. Chacun se sent protégé par le groupe, solidaire dans la cruauté. Ensemble, ils sont forts. Ils pourchassent leur proie dans les recoins du collège, jusque dans son intimité, jusqu’à sa chambre, jusqu’à son lit, via les réseaux sociaux. Cela ne s’arrête jamais, jamais, jamais. »
Ce constat, vous avez sans doute été nombreuses et nombreux à le faire ces dernières années. Ces mots sont signés Nora Fraisse. Ils sont issus de son livre Marion, 13 ans pour toujours, écrit en 2015 suite au suicide de sa fille victime de harcèlement scolaire. Lors de sa parution, le livre de Nora Fraisse a eu l’effet d’une bombe, mettant en lumière un phénomène encore tabou en France. Il a notamment permis d’enclencher une vague de témoignage de la part d’élèves, parents et enseignants sur la manière dont le harcèlement scolaire était mal pris en charge dans le pays. Le gouvernement a fini par proposer de nouvelles mesures.

Ce que prévoit la loi
Jeudi 24 février 2022, le Parlement a voté le projet de loi du député finistérien Erwan Balanant. Celui-ci fait du harcèlement scolaire un délit pénal. Plus concrètement, la loi prévoit les mesures suivantes :
- trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque les faits ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail ;
- cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.
- dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
Les peines mentionnées ne peuvent viser que les personnes majeures. Le juge pourra aussi décider d’imposer à l’auteur des faits un stage de « sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire. »
Destinée à renforcer « le combat contre le harcèlement scolaire et compléter les dispositifs construits », la loi se donne aussi pour objectif de développer la prévention et la formation contre le harcèlement scolaire. La formation des adultes mettra davantage l’accent sur les mesures de prévention. Les obligations des plateformes seront-elles aussi renforcées. Ce dernier point constitue une avancée majeure car il prend désormais en compte le harcèlement en dehors des murs de l’école. La loi s’attaque donc au cyberharcèlement en autorisant notamment la saisie et la confiscation des téléphones portables et des ordinateurs. La loi impose que l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels de l’éducation nationale, les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, ainsi que les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale reçoivent, dans le cadre de leur formation initiale, une formation à la prévention des faits de harcèlement au sens de l’article 222-33-2-3 du code pénal, ainsi qu’à l’identification et à la prise en charge des victimes, des témoins et des auteurs de ces faits.
Ces mesures visent, selon la loi «à prévenir l’apparition de situations de harcèlement, à favoriser leur détection par la communauté éducative afin d’y apporter une réponse rapide et coordonnée et à orienter les victimes, les témoins et les auteurs, vers les services appropriés et les associations susceptibles de leur proposer un accompagnement ». Une information sur les risques liés au harcèlement scolaire, notamment au cyberharcèlement devra par exemple être remise chaque année.
« Harcèlement scolaire », de quoi parle-t-on ?
D’après l’article 222-33-2-2 du Code pénal, le harcèlement moral désigne « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation » des « conditions de vie » de la victime, « se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».
« Si votre enfant subit de façon répétée des violences verbales et/ou morales (surnoms méchants, insultes, moqueries, brimades, rejets du groupe…), des violences physiques (bousculades, coups), des vols, il est victime de harcèlement », explique le ministère sur son site. Il peut s’agit de cyberharcèlement quand les lieux ont lieu « sur les réseaux sociaux, par SMS ou par courriel ».
Il peut donc s’agir :
- de violences physiques (coups) ;
- de violences psychologiques (moqueries, insultes…) ;
- de violences sexuelles ;
- de violence en ligne (cyberharcèlement).
Celles-ci peuvent être exercées par un ou plusieurs élèves, voire des professeurs ou adultes du personnel de l’établissement, sur un élève qui ne peut se défendre. Il s’agit généralement d’un acte répété, qui s’inscrit dans le temps et qui est fait dans le but de blesser l’autre.
Le harcèlement en France
Selon l’association Hugo !, 19 élèves harcelés en milieu scolaire se seraient suicidés en 2021. Un élève sur dix serait victime de harcèlement, mais les plaintes concernent une minorité de cas. L’idée du délit a ainsi pour objectif d’inciter les victimes à porter plainte. Les enseignants font état de 700 000 élèves concernés, soit « deux ou trois enfants par classe ».
Une réalité d’autant plus grande que le harcèlement scolaire est démultiplié par la démocratisation des écrans et des réseaux sociaux. D’abord, parce que les appareils technologiques, offerts de plus en plus tôt aux élèves, permettent au harcèlement de s’étendre au-delà de l’enceinte scolaire. Ensuite, parce qu’internet inspire différents modes de harcèlement. En 2021, YouTube avait par exemple inspiré « le jeu de l’olive », une agression sexuelle qui s’était étendue dans les cours de récréation d’Occitanie.
Ces dernières années, la couverture médiatique des violences vécues en milieu scolaire s’est intensifiée. L’an dernier, le visage de Dinah, lycéenne de quatorze ans qui s’est suicidée près de Mulhouse (Haut-Rhin), après avoir subi du harcèlement scolaire, a notamment fait le tour des écrans. Lors de ses différentes interventions, sa mère racontait comment la jeune fille avait dû faire face à de fortes violences psychologiques après avoir annoncé à ses amies qu’elle était attirée par les filles. « Elles ont créé un groupe WhatsApp pour se moquer d’elle avant de se mettre à la bousculer dans les couloirs du collège et à l’insulter de ‘sale lesbienne’, ‘sale intello’, ‘sale race’ ou encore ‘sale métisse. », expliquait-elle à RTL. Des insultes qui la poursuivaient jusque sur les réseaux sociaux, en dehors de l’école, et qui avaient déjà menées à une première tentative plus tôt dans l’année. Une histoire qui avait illustré une réalité déjà pointée du doigt par Nora Fraisse : le manque de réponse des établissements face au harcèlement scolaire. La mère de Dinah se souvenait en effet sur France info : « Le corps enseignant n’a rien fait pour ma fille, ils m’ont dit que c’était des banalités entre copines (…) Plusieurs fois, je suis allée voir la CPE, j’ai appelé la vie scolaire, pratiquement tous les jours. Ils n’ont jamais rien pris au sérieux. »
Deux ans plus tôt, en 2019, la jeune Evaëlle, 11 ans, avait mis fin à ses jours après avoir été harcelée par sa professeure de français. Celle-ci l’aurait rabaissée, humiliée, à plusieurs reprises en cours, incitant les élèves à faire de même. En 2020, l’enseignante est finalement mise en examen pour « harcèlement sur mineur », placée sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer son métier et obligation de soins.
« À ce propos, Marion, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a cité la même enquête Unicef, après la rentrée scolaire de l’automne 2014, pour se féliciter de la proportion d’ados déclarant se sentir en sécurité à l’école. Comment peut-on se réjouir de ces 86% de satisfaits quand cela signifie que 14% des élèves ne se sentent pas en sécurité ? 14%, si je ne me trompe pas, c’est 1,7 millions d’enfants. »
– Nora Fraisse, Marion, 13 ans pour toujours

Le harcèlement scolaire vu de l’étranger
Sans surprise, les pays champions en lutte contre le harcèlement scolaire sont à chercher au nord du continent.
La Suède fait preuve de maîtrise dans ce domaine. Ici, c’est le principe de « la tolérance zéro. » Chaque école a pour obligations de mettre en place un plan de prévention. Il est aussi du devoir du personnel de l’établissement de réagir à la moindre violence verbale ou physique entre les élèves. « L’instruction étant obligatoire jusqu’à 16 ans en Suède, les écoles ont le devoir de garantir aux élèves un environnement sûr et sans violence », explique Marten Petersson, médiateur des enfants et des élèves (BEO). Les enseignants s’inspirent de la « méthode Farsta », mise au point dans les années 1980 dans la commune du même nom. À chaque incident, le professeur principal de la classe organise une rencontre individuelle avec les élèves impliqués, et partent automatiquement du point de vue de la victime.
La législation suédoise est considérée comme l’une des plus strictes au monde. Et pour cause : la loi de 2011 ne parle pas de « harcèlement » mais de « comportement offensant. » Ici, le moindre geste incite à réagir ; on n’attend pas qu’il se répète. En cas de récidive, une enquête est ouverte par les enseignants et la direction de l’établissement. Elle peut s’ouvrir sur une suspension temporaire, voire un transfert de l’élève responsable.
En Finlande, chaque établissement est doté d’une stratégie et la méthode est avant tout fondée sur la prévention. Le programme KiVa (« contre l’intimidation »), élaboré par l’université finlandaise de Turku, est aujourd’hui utilisé par la moitié des écoles en Finlande et s’exporte dans une vingtaine de pays, de la Nouvelle-Zélande à l’Italie. Sa priorité ? La prévention. Le programme comprend dix leçons données par un enseignant tout au long de l’année scolaire. Elle consiste à transmettre de l’empathie aux camarades de classe de la victime à travers des simulations et des jeux vidéo. C’est une méthode qui implique à la fois les personnes présentes à l’école, mais aussi les parents. Elle indique aussi aux enfants témoins de harcèlement scolaire comment ils peuvent agir.
Un outil qui rejoint l’idée de Nora Fraisse : délit ou non, le harcèlement scolaire peut avant tout être combattu par des mesures de prévention et de sensibilisation.
Pour aller plus loin :
• Livre : Nora Fraisse, Marion, 13 ans pour toujours, Calmann-Levy, 2015, 192 p.,
