“Ce qu’il y a devant nous et ce que nous laissons derrière, cela est peu de chose comparativement à ce qui est en nous. Et lorsque nous amenons dans le monde ce qui dormait en nous, des miracles se produisent.”
–Henry David Thoreau
Henry David Thoreau est né dans le Massachusetts en 1817. De cette région, il ne partira jamais définitivement, revenant sans cesse à sa terre, à la nature et aux lieux premiers de sa vie. C’est dans le village de Concord qu’il naît et à vingt minutes de ce dernier qu’il s’isole pour écrire ses plus grands chefs-d’œuvre. Sa seule véritable entorse à cet ancrage géographique furent ses études à Harvard, études qu’il mène difficilement, ayant du mal à se conformer aux règles – et c’est là peut-être que prend forme le cœur de sa pensée politique. Deuxième écart notable, son séjour chez Ralph Waldo Emerson, grand ami et guide philosophique, qui lui fait découvrir le transcendantalisme, marquant son œuvre en profondeur. Entre réflexions métaphysiques, poésie et protestations politiques, le personnage est complexe, loin d’être limité aux livres et aux mots. Aujourd’hui, nous vous proposons de démêler avec vous les grandes pensées de cette œuvre majeure.
Transcendantalisme et retour à l’état sauvage
Lorsque l’on songe à Thoreau, on pense d’abord à sa grande expérience d’ermitage, enseignée au lycée dans nos premiers cours de philosophie, marquant aux fers rouges nos jeunes esprits adolescents assoiffés de révolte et d’idéaux. En effet, Thoreau l’est, idéaliste. Influencé par Emerson, Thoreau devient l’un des figures phares du transcendantalisme, un courant de pensée considérant qu’une bonté supérieure existerait en tout être humain et en la Nature. Pour cette école de pensée, la société, ses institutions, ne seraient que des éléments perturbant, rabaissant la pureté de ces premiers sentiments. L’harmonie ne pourrait ainsi se retrouver que dans la nature. Dès lors, pour parvenir à cultiver cette bonté, Thoreau tente une expérience abrupte mais nécessaire : il s’isole pendant près de deux ans dans les bois. Cela donnera naissance à son ouvrage principal, Walden, véritable manuel de survie à travers la nature. Cet écrit est souvent considéré comme un “transcendantalisme en acte”, comme l’application radicale dans l’expérience d’idéaux. Thoreau apporte dès lors au monde ce qu’il porte en lui, ses croyances, même les plus radicales et les plus folles, tentant de faire des miracles, comme lui-même le dit. En réalité, il mène cette expérience à seulement vingt minutes de son village natal où il se rend régulièrement. Mais c’est une démarche d’autosuffisance inédite vouée à marquer durablement les esprits.
L’expérience consiste à essayer de retrouver les choses essentielles pour s’éloigner de ce que dicte la société. Il s’agit de s’en extraire pour mieux mener à bien ses réflexions sur la vie simple. Il développe alors l’un des premiers concepts fondamentaux de son œuvre : la pauvreté volontaire. C’est le rapport étroit avec la nature qui lui permet de ne pas souffrir d’une pauvreté vue par la société comme douloureuse. Volontaire et amoureuse, elle s’enrichit au contact de la nature.
Se fondant ainsi avec son environnement, l’humain s’intègre au non-humain. On se retrouve et on s’oublie en découvrant l’altérité. Thoreau tente dès lors de comprendre les animaux, se compare et se fond aux végétaux, se disant “pousser” comme le maïs. Les sons même de l’écriture de cet ouvrage reflètent la musique de la nature. Sa langue s’adapte au monde dans lequel il s’intègre. Il renoue avec les qualités premières de l’Homme, effacées par la société. Il se retourne vers lui-même et tente de retrouver son être profond. L’expérience est bel et bien radicale, et indéniablement transcendantale.

La Désobéissance civile, un anticonformisme
Cet idéalisme ne peut plus dès lors pactiser avec la société dont Thoreau se retire. C’est ainsi que les idéaux mènent à l’action politique, ces derniers entrant forcément en désaccord avec les règles, les lois, les obligations dictées par la société corrompue. Amener dans les mondes les miracles que l’on porte, c’est mener une réflexion politique, malgré la formulation idéaliste et rêveuse. L’idéalisme mène Thoreau à des prises de position politique radicale et progressiste. Il refuse en effet toutes idées reçues, toutes traditions acceptées comme telles sans avoir été nuancées. Il veut, avant tout, être en accord avec ses idées, c’est pourquoi il se retrouve souvent en opposition avec les règles. C’est ainsi qu’il est emprisonné une nuit pour refus de payer ses impôts qui finançaient la guerre contre le Mexique et l’esclavagisme. L’anecdote est capitale car elle donne naissance à un deuxième ouvrage majeur de son œuvre, la Désobéissance civile.
Il y théorise ce concept fondamental de désobéissance, revendiquant le droit de contestation de la loi lorsque l’on a conscience, au plus profond de soi, que cette dernière est profondément injuste. Le non-respect des règles devient un enjeu politique. Par cette non-collaboration, un Homme peut se réapproprier ses responsabilités de façon non-violente et pourtant très ferme.
À son époque, Thoreau avait une réputation d’excentrique ou d’original, tant ses idées étaient révolutionnaires et inattendues. Encore aujourd’hui, alors même que Thoreau est reconnu comme l’un des plus grands penseurs de son époque, ceux qui s’inscrivent dans sa lignée, tentant de revendiquer leurs droits en désobéissant dans la non-violence sont toujours considérés comme dangereux, comme inconscients. Un exemple ? Il nous suffirait de citer l’avis émis par la Ligue des droits de l’Homme, celle de l’Enseignement, la fédération de parents d’élèves FCPE ou encore l’Unsa Éducation à propos de l’instauration de pratiques de sophrologie ou de méditation dans l’enseignement scolaire. Voués à aider les élèves dans leur apprentissage, leur apprendre le calme, la détente, l’introspection, la confiance et l’écoute de soi, ces enseignements n’en ont pas moins été traités de diablement dangereux. La faute aux dérives religieuses. Au lieu de tenter d’ouvrir les esprits vers le corps, d’essayer d’éveiller les élèves au bien-être et aux apports bénéfiques d’une longue tradition de respect et d’écoute, les institutions se focalisent sur le danger, la peur d’une ligne de conduite nouvelle, donc forcément radicale voire violente. Pourtant, ici, l’écart n’est pas un refus, il est une proposition. C’est dire que le « danger » et « l’excentricité » sont proches d’un simple pas de côté. La « révolution » se trouverait-elle, comme le pressentait Thoreau, dans le refus du conformisme, la curiosité, l’ouverture et l’écoute de l’harmonie ?
Dévier des lignes que l’on trace à notre place, se réapproprier ses responsabilités, voilà ce que Thoreau nous incite encore à faire. Il faudra toujours autant de courage à travers les âges pour que des miracles se produisent.
Par Zoé Maquaire et Coline Minaud-Lehmann
POUR ALLER PLUS LOIN (sources) :
https://www.franceculture.fr/emissions/avoir-raison-avec/avoir-raison-avec-henry-david-thoreau-0