Né en 1993 à Alger

Les soixante ans de la signature des accords d’Evian ont eu lieu la semaine dernière. Dans ce contexte, Mehdi Bouchali revient sur une histoire familiale tiraillée entre deux patries. Tribune.

À l’occasion de l’anniversaire des accords d’Evian, France 2 proposait le 17 mars, une série en deux épisodes au sujet de la guerre d’Algérie. Une Algérie qui est mienne puisque par les hasards de l’histoire, il se trouve que je suis né en hiver 1993, à Alger, au beau milieu des couvre-feux et de la terreur du Groupe Islamique Armé. Je suis issu d’une histoire familiale intimement concernée par l’histoire franco-algérienne. En effet, mon grand-père, né en 1930 et ses frères, furent impliqués corps et âme dans les cellules du F.L.N d’Alger.

Tour à tour porteurs de valises, maquisards, membre des groupes de choc pour la fédération de France du FLN, proches de Yacef Saadi, chef de la rébellion algéroise, les hommes de ma famille sont encore reconnus à Alger comme étant de purs révolutionnaires et nombreuses sont les rues qui portent le nom de Bouchali. Il se trouve qu’en 1959, alors que mon grand-père est à Paris pour récolter des fonds, il fait la rencontre de ma grand-mère, pure bretonne. C’est en cette année 1959 que la France entrera donc dans les esprits de ma famille, puisque ma grand-mère a quitté ses études à Paris pour les continuer à Alger, alors en proie aux attentats.

Cette histoire, dont j’ai hérité, me permet aujourd’hui de mesurer le drame de cette guerre. Dans un moindre degré, je retrouve ce sentiment dans les œuvres de Camus, mon frère de cœur. De par mon sang français, je ne suis pas un Algérien pure souche quand j’erre dans le centre-ville d’Alger. Et de par mon sang algérien, je ne peux être un Français pure-souche en France. Ajoutons cela à la guerre qui a fait rage entre mes deux patries, dont la plaie n’est pas refermée.

Chaque jour, je fais face aux relents de cette terrible guerre. En effet, par l’ironie du sort, mon père étant franco-algérien (de mère bretonne et de père Algérien) et ma mère algérienne, lorsque nous avons quitté l’Algérie en 1993, notre dossier s’est vu classé parmi celui des rapatriés. Aux côtés des dossiers des pieds noirs. Les hasards de l’Histoire sont parfois étonnants.

Un dernier exemple ne manque pas de me faire réfléchir, notamment lors de cérémonies militaires. Communicant pour ma Ville, je couvre chaque cérémonie. Pour celle du 19 mars, un sentiment de malaise m’envahit. Je me trouve aux côtés d’anciens appelés d’Algérie. Je ne connais rien de leur passé, mais à ma couleur de peau, ils devinent quelque chose. Anciens membres de l’OAS ? Simples jeunes appelés de vingt-ans ? Parachutistes aux ordres de Bigeard ? Je ne peux connaitre leurs rôles dans cette guerre. Si pour ces hommes le 19 mars est synonyme de drame, dans mon cœur résonnent les youyous de mes aïeux, aspirants enfin à retrouver leurs droits à disposer d’eux-mêmes. Et pourtant, soixante ans après, nous voici réuni sous le drapeau tricolore, à tenter de panser la plaie.

Par Mehdi Bouchali

Les accords d’Evian

Signés en 1962 entre le Gouvernement français et le FLN algérien, les accords d’Évian permettent surtout un cessez-le-feu avant d’ouvrir la voie à l’indépendance de l’Algérie, reconnue par une déclaration du Président de la République le 3 juillet 1962. Ces accords mettent fin à 132 années de colonisation française et à sept années et cinq mois de guerre, ayant opposé environ 130 000 combattants algériens à 400 000 combattants français et ayant causé la mort de 250 000 à 400 000 Algériens (jusqu’à un million et demi selon l’État algérien), 28 500 soldats français, 30 000 à 90 000 harkis, 4 000 à 6 000 civils européens (ainsi qu’environ 65 000 blessés).

Des Parisiens lisent l’édition de « Dimanche-Soir » annonçant, le 18 mars 1962, qu’un cessez-le-feu a été conclu à Évian lors des négociations sur la guerre d’Algérie. © AFP

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