Eva Byele : « Le théâtre, c’est là où résonnent les mots »

C’est la journée internationale du théâtre ! À l’occasion de la présentation de la nouvelle pièce d’Eva Byele, La Confiscation, jeudi prochain, Combat republie son portrait publié dans nos colonnes il y a trois ans. Au menu : écriture, voyages et féminisme.

« Ma vie se consume dans mes livres. » C’est pourtant vivante et farouchement engagée qu’Éva nous fait part de son expérience, de sa vie ou plutôt de ses vies. Elle est écrivaine, elle est comédienne, elle est éditrice, elle est inspiration parce qu’elle est femme tout simplement. Particulièrement, parce qu’elle a réussi à être tout ça, sans aide et en luttant contre le vent contraire qui lui soufflait qu’elle n’y arriverait pas, elle est un modèle. Ce vent qui souffle sur la société mais qui est aussi bien créé par elle-même. Ce vent qui pousse les femmes à se retrancher dans leurs chambres pour écrire ce qu’elles ressentent. Ce vent qui les pousse à ne pas croire qu’elles ont aussi une voix. Qui les laisse au fond des vieux tiroirs, ces livres fabuleux, ces femmes auteures. Alors aujourd’hui Eva elle se tient devant nous pour nous dire qu’aussi fort que soufflera ce vent, elle avancera quand même la tête haute pour porter aussi la voix de toutes ces femmes qui n’ont pas pu, pour aider celles qui n’osent pas, pour donner du courage à celles qui voudraient.

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Vingt-quatre heures d’une femme sensible © Eva Byele

Incarnation(s)

Eva, ce n’est pas son vrai nom. Il y a Marie, la femme présente, et puis Eva, la femme incarnée. En elle, deux femmes palpitent. L’artiste et l’intime. Celle qui vibre sur scène et s’imprègne d’écriture ; et celle qui se raconte, dans ce café de Paris, anonyme. Eva Byele, c’était parfait. Le prénom était « féminin, facile à prononcer ». Byele, c’était un clin d’œil à Stendhal qui figure quelque part dans son arbre généalogique. George Sand du XXIe siècle, son pseudonyme lui colle à la peau. « C’est une manière de protéger mes proches et moi-même, mais ça me donne surtout une sensation de liberté », nous confie-t-elle. Cette identité, Eva a l’impression de l’incarner chaque jour davantage, notamment grâce au théâtre.

Ecrivaine¸ éditrice, metteuse en scène, comédienne, Eva vit avec les mots. Sur des pages volantes ou sur scène, seule ou entourée, de nuit comme de jour, c’est avec l’écriture qu’elle se découvre au monde. Ses mots foulent les planches de son existence ; elle les manie autant qu’ils la façonnent.  

Ce rapport avec l’écriture, c’est à Anne Frank qu’elle le doit. Lorsqu’elle la découvre à l’âge de 12 ans, déjà férue de littérature, sa passion pour la plume surgit. Depuis, elle n’a cessé de tenir un journal.

« Le voyage est nécessaire »

L’inspiration, elle la tient également de ses voyages. Il suffit d’ailleurs de faire un tour du côté de sa bibliographie pour s’en apercevoir. Le Frère nous entraîne en Inde, Fleurâ Li et Theo Ming au Viêt Nam. Les yeux encore brillants, elle nous raconte comment une scène, au Pérou, avait permis la naissance de son premier poème. « Il y avait ces petits vieux qui jouaient au milieu d’un café. C’était bouleversant. Il y avait une sensation de bonheur qui se détachait de ce moment, quelque chose de magique. Je les regardai au milieu des rires et de la fumée. Et mon premier poème est né. » On revivrait presque la scène depuis notre tranquille café de la capitale.

Eva nous raconte que les voyages stimulent son écriture. D’ailleurs, la jeune femme vit en Espagne depuis neuf ans. « Le voyage est nécessaire, il permet une ouverture sur le monde, explique-t-elle. C’est cette forme de solitude, d’exil intérieur, qui consent à l’éveil de la création ». Le voyage, c’est « un lieu à soi », conclut-elle en paraphrasant Virginia Woolf. C’est qu’à l’étranger, Eva est beaucoup plus en éveil, elle cherche à tout comprendre, et cela guide sa création. Car si elle avoue être amoureuse de Paris, elle a besoin d’ailleurs lors de ses séjours parisiens. Au moment où elle nous parle, Eva a déjà les yeux tournés vers sa prochaine destination : la Tunisie.

« Le théâtre, c’est une rencontre avec l’autre »

Curieusement, son rapport au théâtre est quant à lui moins lié à cette nécessité du voyage. Si ses romans naissent sur les routes, sa passion des planches lui vient d’ailleurs. Ce sont les difficultés auxquelles elle a été confrontée en tant que femme écrivain qui l’ont menée jusque-là. Pourtant, sa passion pour le théâtre était bien présente depuis son adolescence : il suffisait juste de la mettre en œuvre. C’est en arrivant à Barcelone, neuf ans plus tôt, qu’elle ressent un déclic. En rejoignant une troupe française, elle ressent immédiatement que quelque chose de fort vient bouleverser sa vie. « Je me suis rendue compte ensuite que je voulais écrire mes propres pièces », raconte-t-elle. En 2016, elle met en scène « Écrivaines », Paroles de femmes, à l’Institut français de Barcelone. Réunissant six femmes toutes générations confondues, ce projet rend hommage à des femmes auteures.

Puis, il y a eu Le Piano en 2017, sur l’émancipation de la femme à travers la musique.

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Vingt-quatre heures d’une femme sensible © Eva Byele

Et surtout, plus récemment, c’est Vingt-quatre heures de la vie d’une femme sensible qu’Eva a porté jusqu’à Avignon. Elle y adapte son roman épistolaire inspiré de Vingt-quatre heures d’une femme sensible de Constance de Salm, grande poétesse et dramaturge du XIXe siècle négligée aujourd’hui et qui a pourtant inspirée les Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig. Seule sur scène, elle devient le temps d’une heure cette femme qui parvient à s’émanciper grâce à l’écriture. Bond en arrière : nous voilà dans les années 1920, dans une maison bourgeoise près de Paris. Aussi mariée que désespérée, cette femme rencontre un homme, artiste comme elle,  dont elle tombe éperdument amoureuse. De cette passion éphémère naîtront 24 lettres écrites en 24 heures pour pallier le silence et l’absence de son amant. On retrouve là toute la quête menée par Eva : celle d’une femme enchaînée par la société et qui parvient à s’affirmer grâce à l’écriture.

« Mon expérience avec le théâtre est différente de celle avec le roman, poursuit l’auteure. Ici, il y a une idée d’immédiateté : c’est magique. Quand j’écris un roman, j’ai besoin de solitude. Le théâtre, c’est plutôt une rencontre avec l’autre. On sort d’un circuit fermé pour aller vers un public. » Cette ancienne timide entretient d’ailleurs un rapport très fort avec son public. Avant lui, elle pensait que la plus belle des reconnaissances était l’édition. Ses représentations et ses rencontres ont démenti cette idée. De pièce en pièce, de ville en ville, elle a rencontré parfois des personnes en larmes qui lui affirmaient qu’elles allaient reprendre l’écriture grâce à elle. Surtout, Avignon l’a bouleversée. « Ce qui m’a beaucoup surprise pendant le festival, c’est que j’ai vu des hommes pleurer devant la pièce. En les poussant à la virilité, en leur interdisant la sensibilité, la société empêche les hommes d’être des artistes. D’ailleurs, la société empêche les hommes et les femmes de créer. C’est ça que dénonce ma pièce. » On la croit donc facilement lorsqu’elle affirme qu’Avignon a été « une expérience très dure physiquement mais magnifique ». En un mois, Eva y a croisé tous les âges, de 18 à 80 ans, tous les sexes, toutes les nationalités. « Ce qui est très drôle, raconte-t-elle, c’est que j’y avais été l’année précédente en tant que spectatrice. Je me souviens m’être dit « le théâtre, c’est là où résonnent les mots ». À ce moment-là, je savais que je reviendrai l’année suivante. »

Avec le théâtre, Eva ressent quelque chose de vivant. Avant, sa vie se consumait dans les livres ; elle avait la sensation de ne pas vivre tout en donnant vie à ses personnages. « En plus d’être frustrant, c’était un véritable marathon physique, se souvient-elle. Il y a un côté « tu te jettes à l’eau sans filet ni garantie ». Pourtant la comédienne existait déjà, mais je ne le voyais pas ». Au bout d’un moment, Eva n’en pouvait plus du roman. Ses personnages même étaient torturés. « Au théâtre tu n’es le personnage que sur scène, c’est un moment ponctuel tandis que dans le roman tu vis mentalement le personnage vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’avais l’impression que le personnage s’imposait à moi, bien plus que l’inverse. Quand j’ai fini mon premier livre, j’étais vidée ! Pendant un an et demi, je m’y étais donnée corps et âme : ma vie entière tournait uniquement autour de lui! »

Aujourd’hui, Eva a trouvé un équilibre et garde les pieds sur terre. À ceux qui lui soutiennent qu’elle ne peut pas être à la fois femme de théâtre, romancière et éditrice, elle leur prouve chaque jour le contraire. Elle a fini d’être esclave de sa création : « L’art est une manière de guérir des maux », affirme-t-elle.

La nouvelle pièce d’Eva Byele, à découvrir jeudi prochain. Photo : Lucie Herrero

Désinvisibiliser les oeuvres des femmes

Quant au féminisme, il a été présent dès son deuxième livre, Les Livres de ma mère, même si elle a mis beaucoup de temps à réaliser qu’il était déjà là. Inconsciemment, Eva a cherché toute sa vie à lire des femmes, qu’il s’agisse des sœurs Brontë, de George Sand, mais aussi d’auteures oubliées comme Carmen Laforet et Irène Némirovsky. « J’ai souvent été confrontée à des personnes qui me disaient qu’il n’y avait eu que de grands hommes écrivains et pas de grandes femmes. En réalité, il y en a beaucoup, mais elles ne sont pas enseignées ! » Cette absence de la femme écrivain dans nos habitudes littéraires, c’est en faisant de la traduction qu’elle l’a ressentie en s’apercevant que 95% des publications venaient d’hommes. « Il y a une volonté d’invisibilisation, dénonce-t-elle. Du coup, aujourd’hui, beaucoup de femmes ne se sentent pas légitimes d’écrire. Or, il faut parler du fait que les femmes ne créent pas car la création, c’est le pouvoir. J’ai beaucoup ressenti cette difficulté dans mon parcours de femme écrivain. Pendant l’écriture de mon premier roman, on me disait que j’étais folle ! ». Voilà ce que cherche à faire Eva à travers son travail : rendre hommage à celles qui ont été et faire écrire les femmes autour d’elle. À l’heure où une femme a « neuf fois moins de chances qu’un homme de gagner un prix littéraire », elle se bat pour lever les interdits sur les femmes qui veulent écrire. Comme l’écrivait Françoise Chandernagor, «[…] il nous faudrait conclure qu’une romancière, qui a déjà trois fois moins de chances d’être publiée qu’un romancier, a aussi – une fois passé l’obstacle de la publication – neuf fois moins de chances de recevoir un grand prix.» Un interdit qui va parfois jusqu’à la mort, ajoute Eva en citant Olympe de Gouges : « Je n’existerai pas si ces femme n’avaient pas ouvert le chemin » affirme-t-elle. « J’avais besoin de lire ce qu’elles avaient écrit avant, me l’approprier. » Grâce au théâtre, à sa troupe, elles se sentent puissantes les unes les autres. Son rapport aux femmes change : elle s’entoure de plus en plus de femmes créatrices.

Son idée ? Créer des chaînes. Aider non seulement les femmes à créer mais également les hommes. Avoir un rôle politique, en quelque sorte. Car la sororité est politique, affirme celle qui avoue avoir eu une conscience politique tardive puisque « la politique, c’est une affaire d’hommes. » Aujourd’hui elle admet que son rôle est politique. Elle participe à des colloques, va dans des écoles, adore parler avec les adolescents, organise des conférences à l’institut français de Barcelone. Eva met un point d’honneur à en parler avec les jeunes : « moi-même, j’aurai aimé savoir tout ça plus tôt. » Actuellement, elle a d’ailleurs en tête l’idée de créer une école qui représenterait les femmes à travers les arts.

Alors, a-t-elle la sensation d’être devenue un modèle ? “Je sais que j’inspire les femmes, et c’est beau car c’est difficile.” Répond-elle.

Dans le café, les décors s’estompent pour nous faire voler sur les mots enchanteurs d’Eva. Nous qui buvons ses paroles, on ose affirmer qu’elle est un modèle. Femme artiste, femme présente, mais surtout femme vivante. Si l’on efface le nom des grandes femmes depuis vingt siècles, nul doute que le vingt et unième gravera le sien au cœur de notre Histoire.

Elle est écrivaine, elle est comédienne, elle est éditrice, elle est inspiration parce qu’elle est femme tout simplement. 

À vos agendas !

Le jeudi 31 mars à 19h30, Eva Byele présentera à La Sorbonne sa nouvelle pièce, La Confiscation. Rendez-vous dans l’amphithéâtre Richelieu avec la comédienne Clémentine Stépanoff. La lecture dramatisée sera suivie d’un débat avec la spécialiste Éliane Viennot sur la féminisation de la langue…

Evénement gratuit. Inscription obligatoire : https://www.billetweb.fr/la-confiscation

Vous pouvez aussi découvrir l’actualité d’Eva sur son site web

BONUS : Vous êtes à la recherche de femmes à lire ? Eva Byele vous conseille :

  • George Sand
  • Louise Labé
  • Irène Némirovsky
  • Carmen Laforet
  • Olympe de Gouges
  • Les sœurs Brontë
  • Charlotte Delbo
  • Madame de Lafayette
  • Daphné du Maurier
  • Constance de Salm
  • Madeleine de Scudéry
  • Anna de Noailles
  • Renée Vivien
  • Madame de Villedieu
  • Mary Shelley
  • Louise Ackermann
  • Madame de Genlis
  • Alexandra David-Néel

Article à l’origine co-écrit sur le site de Combat-Jeune en 2019 par Charlotte Meyer et Alexia Rebeyrolle

Photo : Lucie Herrero

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