Pour le climat, doit-on enfreindre la loi ?

Quoi qu’il arrive dimanche, le candidat élu ne sera pas en mesure de répondre concrètement aux lignes directrices proposées par le GIEC. C’est pourquoi ces cinq prochaines années devront voir se multiplier nos actes individuels et collectifs, mais aussi donner une place encore plus grande à la résistance et à la désobéissance civile.

« Si le changement climatique continue à ce rythme-là, trois milliards et demi de personnes vivent sur des territoires qui vont devenir inhabitables à la fin du siècle. Comment est-ce que les journalistes peuvent voir passer cette information, se retrouver face à des candidats aux présidentielles et ne pas leur poser la question ? » Cette semaine, sur le plateau de Télématin, le réalisateur et auteur Cyril Dion s’insurge.

Il est vrai que la nouvelle a davantage fait bouger sur les réseaux sociaux que sur les plateaux des JT : en début de semaine, le GIEC a sorti le troisième volet de son rapport. Celui-ci peut se résumer de la manière suivante : alors que l’humanité n’a jamais autant émis de gaz à effet de serre que ces dix dernières années, et que l’avenir semble être dans l’impasse, il nous est encore possible de limiter le réchauffement climatique à 1.5°C d’ici la fin du siècle. Et pour cela, il nous reste trois ans.

Les solutions selon le GIEC

La « bonne nouvelle » de ce volet du GIEC, c’est que des solutions sont possibles. Pour la plupart, elles existent même déjà. Pour vous remettre dans le contexte, voici un bref récapitulatif des alternatives envisagées par le rapport. Vous pouvez approfondir avec cet article, ou en lisant le document en lui-même :

  • Mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles. Le rapport préconise l’arrêt du charbon d’ici 2050 et une diminution drastique de l’utilisation du gaz et du pétrole, d’au moins 70%, d’ici la même année.
  • Utiliser des outils de capture de carbone pour compenser les émissions qui ne seront pas suffisamment réduites d’ici 2050.
  • Faire la part belle aux énergies renouvelables, en développant notamment l’éolien et le solaire.
  • Mettre en place des aménagements permettant de réduire l’utilisation de la voiture et de l’avion au profit des transports en commun ou du vélo.
  • Utiliser davantage les véhicules électriques, tout en gardant en tête que ceux-ci sont encore dépendant de minéraux comme le cobalt pour la fabrication des batteries.
  • Utiliser davantage les technologies numériques, mais avec modération ! Par exemple, la data peut être un moyen d’optimiser notre consommation d’éclairage public, mais
  • Mettre fin à la déforestation et restaurer les écosystèmes dégradés.
  • Mettre fin à l’agriculture industrielle.
  • Décarboner les flux financiers.

Le climat face à notre système démocratique

À première vue, le rapport du GIEC est donc porteur d’espoir : oui le changement climatique est bien en cours, mais des solutions existent. Pourtant, à quelques jours des présidentielles, nous sommes en droit de nous interroger sur les réelles conséquences du rapport sur le (peut-être pas nouveau) Président. De manière absolument réaliste, nous n’avons plus le luxe de laisser cinq ans de plus un gouvernement prêt à maintenir le système dans lequel nous vivons actuellement.

Car le rapport du GIEC le montre aussi : l’urgence climatique est aujourd’hui plus que largement sous-estimée par les institutions politiques, financières ou commerciales. La finance telle qu’elle existe dans nos sociétés occidentales est complètement hors-sol. À l’heure qu’il est, dire qu’il nous reste trois ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre ne signifie pas que nous devons poursuivre une politique d’atténuation, mais bien prendre notre courage à deux mains pour revoir en profondeur nos modes de gouvernance, de vie, de faire société.

Or, les derniers sondages pour les présidentielles montrent encore récemment la forte probabilité d’un second tour Macron-Le Pen. Le premier finit son mandat dans l’illégalité climatique et effleure à peine le sujet écologique dans son programme. La seconde n’est pas beaucoup plus prolixe et propose notamment de démanteler les éoliennes existantes.

Si l’urgence climatique n’a cessé d’augmenter ces dernières années, allons-nous vraiment permettre au scénario d’il y a cinq ans de se répéter ? Allons-nous nous contenter de grimacer dimanche soir devant le duo gagnant ? D’après une étude abordée dans le Monde, 94% de la population estime que l’écologie est un sujet capital. Où sont donc passés ces 94% de la population dans les intentions de vote ? Où sont passés tous nos cris, à nous, jeunes qui nous sommes tant retrouvés pour les Friday for Future ? Où sont passés celles et ceux qui luttent tant derrière les écrans que sur le terrain ?

Notre génération aujourd’hui, à l’image de toutes les autres sans doute, ne se reconnaît plus dans le système qui reproduit à la carte des candidats quasi similaires, tous les cinq ans. Mais soyons conscients que dans trois jours, notre bulletin dans l’urne décidera de la politique climatique de notre pays, de la direction écologique européenne, et donc de notre avenir et des générations à venir. Oui, voter est loin d’être suffisant face à l’urgence environnementale. Mais elle peut être la première pierre d’un nouveau monde et la bouder serait une totale inconscience. Le vote nous apparaît depuis longtemps comme caduque, mais il n’appartient sans doute qu’à nous de lui redonner un semblant de valeur.

 « Les activistes climats sont souvent décrits comme des dangereux radicaux mais les dangereux radicaux sont les pays qui augmentent la production des énergies fossiles. »

– Antonio Guterres

La sobriété dépend (aussi) de nous

D’après l’étude du Shift Project, la grande majorité des candidats ne proposent que des mesures insuffisantes, même si Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon semblent s’en sortir un peu mieux. Des élections présidentielles réellement soucieuses de l’environnement placeraient donc ces deux candidats au second tour, dimanche soir. Pour le moment, ce scénario est apparemment loin d’être réalisable. Et dans le cas où il l’était, les mesures proposées par EELV ou LFI ne seraient pas encore en mesure de renverser historiquement notre modèle de société, comme le demandent les scientifiques.

C’est pourquoi la prise de conscience et en actes doit aussi se faire de plus en plus à petite échelle. On ne parle plus de trier ses déchets, mais d’influencer les flux financiers, les politiques d’alimentation et de transport, l’avenir de notre mode de vie. Oui, il va être difficile de réorienter les flux financiers sans pression politique. On ne peut pas casser toutes les banques, mais on peut choisir les banques auprès desquelles on s’inscrit. On ne peut pas créer, à la place des gouvernants, des petites lignes de train. Mais on peut éviter l’avion quand cela est possible, boycotter les comptes d’influenceurs qui offrent régulièrement des voyages à coût carbone exorbitant, et acheter chez le producteur du coin plutôt qu’à l’autre bout du monde. On ne peut pas les remplacer en termes de politiques alimentaires, mais à nous de réduire notre consommation de viande, de faire prendre conscience nos proches et d’alerter sur les lobbys en place.

Évidemment, le rapport le rappelle encore une fois, les plus aisés polluent bien plus que les autres. Les ménages dont le revenu se situe dans les 10 % les plus hauts sont à l’origine de 34 à 45 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre des ménages liées à la consommation. Ceux dont les revenus se situent dans les 50 % inférieurs contribuent à hauteur de 13 à 15 %, soit deux à trois fois moins. Cela ne doit pas nous empêcher de repenser nos modes de vie à tous les niveaux.

Il ne s’agit pas de pointer du doigt les plus pauvres, et celles et ceux qui se permettraient d’y répondre en commentaire de cet article seraient juste des partisans de la mauvaise foi. Dire aujourd’hui qu’un Français de classe moyenne gagne bien mieux sa vie qu’un Béninois de classe moyenne n’est pas de la culpabilisation, mais un fait avéré. Dire qu’aujourd’hui, 95% de la population de plus de 15 ans possède un smartphone, dont l’extraction du lithium est responsable de l’assèchement des sols en Bolivie et d’un travail quasi-esclavagiste dans la région, n’est pas de la culpabilisation mais un fait avéré. Il ne s’agit pas de pointer du doigt cette quasi-totalité de la population, mais de nous responsabiliser en achetant en reconditionné plutôt que de se jeter sur le dernier Iphone (et, au passage, de nourrir les multinationales) ou de jeter un coup d’œil du côté des marques dites plus « responsables. » « Nous mangeons les enfants du Sahel par notre surconsommation de viande » écrivait dans L’utopie ou la mort René Dumont pour lequel « la faim des autres rend  scandaleux nos gaspillages, nos boîtes à ordures trop garnies. »

Entrer dans un mode de vie plus sobre, renoncer à une partie de notre confort, celle-là même qui fait chaque jour sombrer le tiers monde un peu plus dans la famine et dans la pauvreté, ne doit plus avoir à être considéré comme de « l’écologie punitive. » Ce n’est pas parce que Jeff Bezos va faire ses courses en jet privé que nous pouvons tranquillement faire nos achats sur Amazon au principe que « les riches polluent plus. » Un mode de vie plus sobre ne doit pas nous inquiéter. Cela ouvre la porte à un monde plus juste, plus égalitaire, et sûrement bien plus beau.

Oui, pour un monde plus juste et respectueux du vivant, c’est tout le système qui doit s’effondrer. Mais le système ne tombera que lorsque la base, c’est-à-dire nous, aura fait sécession de ses dirigeants. Il ne suffit plus aujourd’hui de pointer du doigt les grandes fortunes et les décideurs, il faut désormais arrêter de les engrosser.

« Comment peut-on être optimiste ? Sinon en recherchant presque désespérément un monde possible, construit sur d’autres bases économiques et politiques. Ce ne sera pas facile, mais nous y sommes acculés. »

– René Dumont

JULIETTE AVICE / Hans Lucas

Le temps de la désobéissance civile

Quoi qu’il arrive, quel que soit le candidat à entrer à l’Elysée dans les prochaines semaines, le prochain mandat ne pourra se passer d’une forte mobilisation citoyenne en faveur de l’environnement. Cela suggère notamment de renforcer les actes de résistance collective et de désobéissance civile entrepris ces dernières années.

Il est plus que jamais temps d’agir sur le terrain. Oui, informer est un droit non négociable. Oui, les réseaux sociaux nous ont permis de faire connaître le rapport du GIEC, de le décrypter et de le diffuser là où les médias traditionnels s’échauffaient sur les dernières polémiques présidentielles ou la gifle de Will Smith. Mais il est temps désormais de fermer nos écrans et de partir à la rencontre de celles et ceux que l’on nomme maladroitement « climato-sceptiques », les mal-informés, celles et ceux qui n’ont pas le temps, pas l’âge ou pas les moyens de scroller sur instagram ou de dénicher des médias indépendants en ligne pour lire une information scientifique accessible. L’urgence climatique ne peut plus rester l’apanage des scientifiques, de la génération des réseaux sociaux ou des métiers du terrain auxquels on laisse bien trop peu la parole. Il s’agit alors de trouver de nouveaux moyens, plus forts, plus concrets, d’informer toutes catégories socio-professionnelles et tout âge confondus.

Enfin, « agir sur le terrain » équivaut aussi à multiplier les actions militantes, en rejoignant des collectifs comme Les soulèvements de la terre ou Extinction Rebellion. Car les actes collectifs de désobéissance civile ont un vrai poids aujourd’hui. En 2018, ils ont permis l’arrêt de projet de l’aéroport à Notre Dame des Landes. En 2021, en lien avec la justice, ils ont permis de condamner l’État français pour ses manquements en matière de lutte contre le changement climatique. Le mois dernier, ils ont permis de sauver les Jardins d’Aubervilliers, menacés par le projet du Grand Paris. En Afrique du Sud, la population a récemment empêché la construction d’un nouveau siège d’Amazon. En France, beaucoup de chantiers sont à reprendre. Comment aujourd’hui, à notre échelle, lutter contre le désastre environnemental de la coupe du Monde 2022 alors que le Qatar remplit tranquillement ses stades de climatiseurs géants ? Comment empêcher le massacre entrepris par le Grand Paris à destination des Jeux Olympiques de 2024 ? Comment protéger les 130 chênes centenaires que le nouveau métro parisien menace d’arracher ? Comment rendre à nos paysans les terres rachetées par de grands groupes industriels de l’agroalimentaire ou du secteur de la cosmétique, à propos desquelles la journaliste Lucile Leclair alerte dans l’ombre ? Et puis, tout autour de l’hexagone, lutter contre l’artificialisation des terres, contre l’élevage et l’agriculture industrielle, contre la société de consommation qui prend sans cesse le pas sur la société responsable ?

Juillet 1846. Parce qu’il a refusé de payer un impôt à l’État américain, Henry David Thoreau est emprisonné. Par ce geste, il entendait protester contre l’esclavagisme qui régnait alors dans le Sud et la guerre américano-mexicaine. Suite à cela, il rédige son ouvrage phare, La Désobéissance Civile. On y lit alors :

« Si l’injustice est indissociable du frottement nécessaire à la machine gouvernementale, l’affaire est entendue. Si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. »

Soyons réalistes : tous les rapports du GIEC au monde seront inutiles face à des gouvernants qui n’ont d’autre priorité absolue que de maintenir au pouvoir un système écocide. Le monde n’attendra pas que des esprits trop obnubilés par leurs profits sortent tout à coup de l’apathie. Peut-être sommes nous les seuls, aujourd’hui, à pouvoir le sauver un peu. Avec ou sans eux, il est temps pour nous de stopper la machine.

Par Charlotte Meyer

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