Nos émotions peuvent-elles sauver l’environnement ?

Cette année, la Journée de la Terre a décidé de mettre en lumière un concept de plus en plus présent dans la société : l’éco-anxiété. Derrière ce mot un peu barbare se cacherait « le nouveau mal du siècle » mais aussi, pourquoi pas, un nouvel outil pour le militantisme écologique.

« Parfois, on dirait que le futur est mort. » Depuis son enfance, Léa est envahie par les images de catastrophes naturelles. En boucle sur les écrans, inondations, sécheresses, ouragans, incendies, tempêtes alternent chaque année. « C’est tellement présent qu’on n’en a presque plus conscience » explique la lycéenne. Il y a trois ans, alors en seconde, la jeune fille se fait entraîner par des amis dans les Marches pour le Futur. « Il y avait un côté festif, sourit-elle en jouant avec la fermeture de sa veste. On était des centaines de jeunes à défiler dans les rues de Paris pour le climat. C’était plus euphorisant qu’autre chose. » Elle s’abonne alors à de nombreux comptes d’activistes sur les réseaux sociaux et entre dans ce qu’elle définit comme « un naufrage de l’angoisse » : « au bout de quelques semaines, mes fils n’étaient emplis que de ça. Le cataclysme. Je n’arrivais pas à débrancher. Je me disais : là, c’est la catastrophe, et moi je révise mes cours de maths. Je me sentais complètement inutile. »

Aux origines de la Journée de la Terre

La journée de la Terre est créée en 1970, aux États-Unis, par le sénateur américain Gaylord Nelson. Le mouvement a pris une ampleur internationale le 22 avril 1990, avec la mobilisation de plus de 130 pays qui proposaient des initiatives environnementales : concerts, activités de collecte et de recyclage, actions dans des écoles, plantations, manifestations… La mission du Jour de la Terre : accompagner les personnes et les organisations à diminuer leur impact sur l’environnement. Le Jour de la Terre agit comme un catalyseur de la prise de conscience et de l’éducation environnementale et se positionne comme le promoteur de l’éco-citoyenneté et de l’action.

Cette année, la Journée de la Terre est pilotée par le Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités (GERES), une ONG de développement international qui lutte contre la pauvreté et contre les changements climatiques depuis 1976.

L’écoanxiété, ce mal du siècle

En 1996, la médecin et chercheuse en santé publique et en santé mentale Véronique Lapaige s’intéresse aux ressentis de la population face aux bouleversements de la planète. Elle s’aperçoit alors qu’un certain nombre de personnes ressentent un véritable mal-être lorsqu’elles sont conscientes de l’état du réchauffement climatique. Un constat qui se fait surtout auprès des jeunes générations. Pour la médecin, 85% des 15-30 ans se sentent concernés par le changement climatique. Plus présente sur internet et sur les réseaux sociaux, cette génération est quotidiennement sous le flux des informations liées à l’urgence climatique, informations souvent absentes des autres médias davantage suivis par les autres générations.

Autrement dit, l’éco-anxiété est un mal-être physchologique et social issu de notre angoisse face à l’avenir. Elle est, selon le docteur Alice Desbiolles, « la perception d’un avenir compris, d’un monde en péril. »  Un mal à différencier de la solastalgie que le philosophe de l’environnement Glenn Albrecht définit comme « la douleur ou la détresse causée par une absence continue de consolation et par le sentiment de désolation provoqué par l’état actuel de son environnement proche et de son territoire. Il s’agit de l’expérience existentielle et vécue d’un changement environnemental négatif, ressenti comme une agression contre notre sentiment d’appartenance à un lieu. » La solastalgie est donc davantage la nostalgie ressentie face à la dégradation de notre environnement proche.

« Vouloir changer le monde? Un peu vain et déjà tenté mille fois. Se battre? Épuisant, même quand l’énergie est utilisé à bon escient. Alors que faire? Comment s’occuper dans les mois, les années, les décennies qui viennent? Agir dans les espaces de liberté restants, ceux où nous avons encore une prise, pour retrouver du sens au temps qu’il nous reste. »

-Laure Noualhat

La place des émotions face au climat

Ce qui en premier lieu apparaît uniquement comme un « mal » pourrait bien en réalité devenir un tremplin vers l’action. Prendre conscience de l’urgence climatique, et ainsi s’engager dans la lutte environnementale, suppose de se sentir responsable face à l’ampleur du désastre. En constatant la réalité vertigineuse de ce qui se passe en face de nous, nous entrons facilement dans une phase de responsabilité, voire de culpabilité. Et c’est cette phase qui, demain, nous poussera à nous engager, d’abord de manière intérieure, puis de manière collective.

C’est notamment ce qui a poussé Hugo, 27 ans, à s’engager dans la lutte pour la justice climatique. À l’arrêt pendant les confinements successifs, il se met à s’informer davantage sur les réalités écologiques. D’abord par les réseaux sociaux, puis de plus en plus par les livres qu’il se procure en masse. « C’était un peu comme une drogue, se souvient-il. Plus j’en apprenais, plus je déprimais, plus j’avais besoin d’apprendre davantage. Comme si ça pouvait m’aider, à comprendre, à trouver la formule magique. » À l’époque, le Brestois rejoint alors le collectif Extinction Rebellion mais « ce n’était pas vraiment la bonne période pour ça, avoue-t-il. On était en plein confinement, les regroupements étaient interdits. Parler de luttes tous les dimanches soirs derrière un écran avec des personnes plus virtuelles qu’autre chose, ça n’a pas aidé. » Finalement, quelques mois plus tard, Hugo a quitté son travail dans la restauration. Il vient de s’engager auprès de Sea Shepherd. « La petite goutte d’eau que je suis ne va pas changer le monde, confesse-t-il. Mais au moins, je ne tourne plus en rond. En devenant activiste, j’ai peut-être aussi choisi la liberté. »

Léa, elle, rêve toujours d’entamer des études de droit, mais plus pour les mêmes raisons : « au début, j’hésitais à changer de choix de carrière, parce que  je ne voyais plus le lien entre la justice et tout ce qui se jouait autour de moi. Mais avec l’affaire du siècle, on a vu que le droit avait un rôle très important à jouer. On peut défendre l’environnement, mais aussi les personnes victimes du dérèglement climatique. »

L’écoanxiété entraîne inévitablement des élans nécessaires face aux bouleversements climatiques, mais le mal se nourrit aussi de lui-même. S’il peut se transformer en force mobilisatrice et créatrice, il peut aussi faire entrer les individus dans une boucle infernal, surtout si ceux-ci sont isolés. Qu’il s’agisse de changer de métier, de rejoindre des collectif, de se mobiliser dans des mouvements de désobéissance civile, il s’agit alors de créer ensemble notre propre espérance et de créer des espaces où notre impuissance se transforme petit à petit en puissance salvatrice.

Pour aller plus loin :

  • Glenn Albrecht, Les émotions de la terre, Les liens qui libèrent, 2020
  • Alice Desbiolles, L’éco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé, Fayard, 2020
  • Antoine Pelissolo et Célie Massini, Les émotions du dérèglement climatique, Flammarion, 2021
  • Laure Noualhat, Comment rester écolo sans finir dépressif, Tana, 2020

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