Samedi 23 avril, des marches lesbiennes ont eu lieu partout en France. Celle de Paris, organisée par le collectif Libération Lesbienne, avait notamment pour objectif de dénoncer l’extrême-droite aux portes du pouvoir.
Oui, il y avait bien des manifestations lesbiennes à Paris avant celle-ci. Il y en avait eu une d’abord, organisée par les lesbiennes de Jussieu, en 1979. Et puis il a fallu attendre 2021 pour qu’il y en ait une autre, organisée cette fois-ci par le collectif Collages Lesbiens. Il n’était pas question d’attendre à nouveau 42 ans pour prendre la rue.

La naissance de Libération Lesbienne
Samedi dernier, des marches lesbiennes ont été organisées à Paris, mais aussi à Pau, Lyon ou encore Marseille. L’une des membres de Libération Lesbienne m’explique : « L’an dernier c’était Collages Lesbiens qui avait organisé la première marche. Dans Collages Lesbiens on avait un peu bataillé pour avoir un cortège en non-mixité racisée. Il y a eu des divergences à la fin de la marche parce qu’il y avait des choses qui n’étaient pas claires vis-à-vis de leur traitement des personnes racisées. On s’est séparées. Cette année on a remarqué qu’il n’y avait pas de marche qui était préparée à Paris. Du coup, Libération Lesbienne a été créée, avec des personnes du groupe qui étaient dans le cortège de tête en non-mixité racisée l’an dernier. On a créé Libération Lesbienne pour assurer les marches lesbiennes sur Paris, et pour, à l’avenir, devenir une association et promouvoir la visibilité lesbienne, faire des actions sur tout ce qui nous concerne en tant que lesbienne : faire des interventions dans des écoles, créer des permanences… qu’on puisse montrer qu’on est publiques, qu’on existe et qu’on est là. »
En 2022, une marche d’autant plus politique
Car pour elles, le plus important est de comprendre que la marche est avant tout politique. Motivée l’an dernier par la suspension du projet de loi bioéthique, les revendications restent les mêmes cette année. Comme elles l’expliquent dans une vidéo pour XY Média (1), Libération Lesbienne exige notamment l’ouverture de la PMA aux personnes transgenres, qu’iels aient un libre accès à leurs gamètes, qu’iels aient décidé de changer leur état civil ou non. À plus long terme, elles souhaitent un changement d’état civil libre et gratuit en mairie. Le collectif exige aussi l’appariement pour les personnes racisées. L’appariement est une pratique médicale qui permet le « choix des donneureuses de spermatozoïdes ou d’ovocytes en fonction de la personne qui reçoit, afin qu’elle ait le même phénotype (couleur de cheveux, taille, carnation de la peau). Pratique soutenue afin d’éviter un potentiel rejette la gamète » comme l’explique Douce Dibondo sur son compte Instagram (2). Libération Lesbienne exige l’arrêt des thérapies de conversion et un accompagnement psychologique pour les victimes, l’arrêt des mutilations sur les personnes intersexes mais aussi l’acceptation obligatoire des demandeur·euses d’asile LGBT+. Au vu du contexte électoral, cette année ces revendications ont pris un sens encore plus fort comme me l’explique une membre du collectif : « C’était avant tout une marche politique. Le mot d’ordre c’était toustes contre le fascisme et l’extrême-droite. On appelait à voter pour l’élection qui se tenait le lendemain. On appelait déjà à voter pour Mélenchon au premier tour : c’était celui qui portait les idées les plus proches de nous. On est un collectif qui contient beaucoup de personnes racisées, mais aussi trans et handis, donc c’est important que le candidat qu’on choisisse ait conscience des combats qu’on mène. Quand il y a eu le second tour, on a appelé à voter pour le candidat « le moins pire ». Au moins, avec Macron, on peut continuer à se battre, s’organiser, mettre des personnes à l’Assemblée qui nous ressemblent plus, qui sont d’accord avec nos positions. »

Il suffisait de lire les slogans, mais aussi les collages réalisés par les membres de Collages Féminicides Paris tout au long du trajet, pour comprendre la dimension politique de la marche : « Being straight was my phase », « Gouines radicales contre le capital », « PMA gratuite et accessible pour toustes », « les lesbiennes au pouvoir, MLP au placard », ou encore « les placards c’est pour les balais pas pour les profs ». Cette dernière pancarte fait référence à la loi Don’t Say Gay, entérinée en Floride le 29 mars 2022. Elle interdit aux instituteurices d’évoquer les questionnements autour de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, de la maternelle au CE2. C’est une loi extrêmement dangereuse comme l’explique très bien Gabriel Moullec dans un article pour Têtu· (3). Comme le rappelle Libération Lesbienne, pendant la campagne électorale, certain.es candidat.es ont d’ailleurs mentionné cette loi. Emmanuel Macron s’était déclaré défavorable à ce que l’on aborde la question de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre : « Je pense que pour les enfants et les ados, il faut être très prudent. Je ne suis pas sûr que ce soit à l’école et au collège, le travail des enseignants, de rentrer sur ces sujets, qui sont aussi des sujets très délicats, de formation de l’identité » (4). Il ajoute qu’il faudrait peut-être attendre la deuxième partie du collège. Or, « la plupart des personnes LGBTQ savent dès l’enfance qu’elles ne sont pas hétérosexuel·les ou cisgenres. » explique Libération Lesbienne.
L’importance d’une marche lesbienne
Le collectif rappelle que « les lesbiennes sont invisibilisées, dans la société mais aussi dans la communauté LGBQTI : on est très effacées, un peu reléguées au second plan. C’était important de rappeler qu’on existe, qu’on est là, qu’on est visibles, qu’on a besoin de nos propres espaces à nous, lesbiennes, juste lesbiennes. On oublie souvent l’importance de l’apport et l’impact que les lesbiennes ont eues. » Les revendications portées sont spécifiques aux lesbiennes. D’ailleurs, pour elles, la Gay Pride a une dimension politique beaucoup moins forte que la pride des banlieues ou la pride radicale par exemple. De fait, elles regrettent un peu l’espace pris par le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) lors de la marche et la confusion que les drapeaux LGBT pouvaient apporter : « On avait appelé le NPA à participer à la marche, mais ils ont pris beaucoup d’espace et c’était un peu difficile pour nous de reprendre cet espace-là. Ça portait à confusion. »
La chaîne YouTube Le Cas Rosa Bonheur propose un exercice tout simple qui permet de nous rendre compte à quel point les lesbiennes sont en effet invisibilisées : elle demande à des passant·es de lui citer dix lesbiennes. Iels sont incapables de le faire. Au-delà de leur importance et de leur influence, c’est leur existence même qu’on en vient à questionner… D’ailleurs le cas de Rosa Bonheur l’explique très bien. Camille Paix a réalisé un article pour Libération à ce sujet (5), où elle explique que Rosa Bonheur a vécu toute sa vie avec des femmes, notamment Nathalie Micas et Anna Klumpke. Pourtant, aujourd’hui, certaines personnes affirment qu’elle n’était pas lesbienne. Dans la vidéo, deux passant·es se questionnent « t’en connais-toi des lesbiennes ? – Non ». On dirait presque que les lesbiennes n’existent pas. Libération Lesbienne nous explique d’où vient le problème : « Sur les réseaux sociaux, notamment Tiktok, il y a une remise en cause de ce que c’est, de ce que ça veut dire être lesbienne. Le lesbianisme est une sexualité qui exclut les hommes. On est dans une société patriarcale, dans laquelle les hommes sont partout et ont besoin d’être partout : ils n’acceptent pas que les lesbiennes puissent exister sans rechercher l’approbation des hommes. C’est très difficile pour la société de le concevoir. C’est impossible aux yeux de la société que des femmes n’aient pas envie ou besoin d’hommes. Ça fait peur. Les lesbiennes font peur. » L’existence même des lesbiennes remet en cause tout l’ordre cis-hétéropatriarcal de la société occidentale ; toute notre culture. Pas étonnant que certains préféreraient qu’elles n’existent pas. Désolée messieurs, mais samedi 23 avril, elles étaient plus de 3 000 à Paris !

Faire communauté, une puissance incroyable
Le collectif explique : « on voulait un cortège en non-mixité racisée et un cortège en non-mixité trans mais comme l’organisation est encore jeune, on avait pas assez de personnes pour assurer le service d’ordre donc on a décidé de faire juste un cortège en non-mixité lesbienne. Ça aurait aussi été trop dangereux, notamment vis-à-vis des personnes trans. Ça les aurait plus exposées à la transphobie… Nous on était à la tête donc on a pas forcément eu de visibilité sur tout le cortège, mais à chaque fois, nous avons de bons retours, de personnes qui ont passé un bon moment ou qui ont pu revendiquer ce qu’iels avaient à dire. Après je sais qu’il y avait des petites choses… Par exemple sur twitter, beaucoup de personnes se sont plaintes du fait qu’il y avait des personnes qui venaient dans le cortège de tête en non-mixité lesbienne, notamment des hommes… L’an prochain je pense qu’on va bien faire des bons rappels dans les micros et mégaphones ! »
L’une des membres me confie que ce qui la marque le plus, dans ces moments, c’est de « voir qu’on est autant ». Elle raconte : « Je trouve que l’expérience lesbienne c’est une expérience qui est très solitaire. C’est difficile de trouver des gens avec qui partager ça, que ce soit amicalement ou même de façon romantique. Ça fait juste du bien de voir qu’on est plusieurs, qu’on existe en fait. On ressent tellement de bienveillance, d’amour ; la joie de marcher, juste d’être là dans la rue, de prendre l’espace. C’est toujours une expérience très belle à vivre d’être dans ces marches. Si toutes les lesbiennes pouvaient au moins vivre une seule marche, ce serait génial. Je pense que c’est vraiment quelque chose qu’il faut vivre pour comprendre. C’est quelque chose d’extrêmement fort. C’est la force de la communauté. On le voit aussi dans les prides, notamment la pride des banlieues ou la pride radicale. C’est des manifs qui ont une puissance incroyable, parce qu’elles sont d’abord politiques avant d’être des endroits où on célèbre quelque chose : c’est ça aussi qui fait la force de ce qui se passe sur le moment. On est pas juste là pour célébrer nos identités, on est là aussi pour les revendiquer, rappeler qu’on existe, faire partie d’un combat qui existe depuis des années et des années et des années, et qu’on perpétue. »
Nous pouvons agir à notre échelle, en allant voter aux législatives les 12 et 19 juins prochains. Mais nous pouvons aussi agir au quotidien tout au long de l’année, en nous syndiquant, en rentrant dans des associations, en continuant à se tenir au courant, en consommant des œuvres de lesbiennes comme Roxane Gay par exemple. L’une des membres du collectif tenait à la mettre en lumière en cette journée nationale de visibilité lesbienne : « écrivaine journaliste fantastique qui milite pour les personnes LGBT mais aussi contre la grossophobie, elle se bat avec une dimension intersectionnelle ». Libération Lesbienne l’affirme : « On peut aussi en parler autour de soi, même si c’est à petite échelle, ça a toujours un impact considérable. On minimise souvent les petites actions alors qu’elles sont très importantes. » Évidemment, il n’est pas question de se mettre en danger si vous n’êtes pas out ! Priorisez-vous, toujours.

(1) vidéo disponible sur leur compte Instagram @xymediafr via ce lien https://www.instagram.com/p/CcsXBCsjm2l/
(2) vu sur le compte Instagram de @doucedibondo via ce lien https://www.instagram.com/p/COnEUOTAsL9/
(3) MOULLEC Gabriel, « Don’t Say Gay : le Parlement de Floride adopte sa loi homophobe sur l’école », le 8 mars 2022, pour têtu· via ce lien https://tetu.com/2022/03/08/homophobie-etats-unis-dont-say-gay-parlement-senat-floride-adopte-loi-homophobe-ecole/
(4) sur le compte Instagram @lecoindeslgtb via ce lien https://www.instagram.com/p/CcISKM-jSar/
(5) PAIX Camille, « Mais qui cherche à rendre Rosa Bonheur hétéro ? », Libération, 1er avril 2022, via ce lien https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/mais-qui-cherche-a-rendre-rosa-bonheur-hetero-20220401_Q5GPZRJ7O5CBLLOYCZSYBFDOMI/