En 2004, Catherine et Christine ouvrent l’unique librairie féministe, LGBTI+ et lesbienne en France. 18 ans plus tard, le 12 février 2022, elles partent à la retraite. Une campagne de financement participatif est alors lancée par six femmes, lesbiennes et féministes, pour que ce lieu ne disparaisse pas. Léa et Olivia en font partie.
Naissance d’un projet
Léa est actuellement électricienne, mais elle a déjà eu de nombreuses vies dans lesquelles elle était tour à tour éditrice, formatrice ou barista. Olivia quant à elle, est éditrice aux BeauxArts, une maison d’édition spécialisée dans les livres d’art. Autour d’un café, elles racontent comment ce projet est né.
« Ça fait plusieurs années que Catherine et Christine parlaient du fait qu’elles voulaient prendre leur retraite mais il y a eu le COVID, ça a été difficile. À chaque newsletter, elles parlaient du fait qu’il n’y avait pas de repreneuses. C’était aussi compliqué pour elles de se projeter parce qu’elles savaient qu’elles ne pouvaient pas donner le local : l’immeuble allait être en travaux pendant plusieurs années. En janvier, elles ont dit qu’elles partaient à la retraite. Alors avec Loïse, on a déposé notre projet de reprise auprès de Christine et Catherine. Assez rapidement, d’autres jeunes femmes nous ont rejoint, Olivia notamment ; mais aussi ma meilleure amie Elise ; Lucile qui s’occupe de la communication et un petit peu des budgets ; et Hermance qui est notre graphiste. Aujourd’hui on constitue un noyau dur de six personnes avec des expériences diverses et variées. » Loïse par exemple, est bénévole aux archives lesbiennes de Paris. Hermance est graphiste et plasticienne multimédia. Léa explique : « On vient de milieu différents donc on se complète vraiment très bien. Il y en a qui sont plus à l’aise à l’oral, donc elles vont être plutôt mobilisées pour les rendez-vous avec les mairies par exemple ».

Dès le début, elles imaginent Violette and Co sous forme de coopérative, avec un espace café pour accueillir des rencontres et exposer des artistEs. Elles lancent alors un formulaire de promesses de dons et récoltent plus 100 000 euros en une semaine. « Ça a été rassurant. Ça nous a aussi donné une sorte de légitimité auprès des fondatrices, parce qu’on leur a dit : regardez, on n’est pas toutes seules, on est soutenues, on a de l’énergie, on a des contacts, on a un réseau, les gens répondent présent. C’est là que la force du collectif apparaît. On s’est dit : wow mais en fait c’est possible. » Alors tout commence, elles déclarent une association et lancent la campagne de financement pour la réouverture de la librairie.
Un lieu unique, historique et indispensable
En voyant les réactions suite à l’annonce de la campagne de financement, elles se rendent compte de l’importance de ce projet : « je pense notamment aux parents qui nous envoient des messages pour nous dire : mon fils a hâte de venir, j’ai hâte d’y aller et de lui trouver des livres. C’est très émouvant. Ça fait super plaisir. Ça nous a appris qu’on pouvait compter les uns sur les autres. » Olivia tient à rappeler que rien de tout cela ne serait possible sans l’immense travail réalisé pendant 18 ans par Catherine et Christine, les anciennes propriétaires : « on part pas de rien, on récupère tout ce qui a été construit par Catherine et Christine. C’est grâce à elles, elles ont mis toute leur énergie dans cet espace. Elles ont investi dans ce projet, c’était leurs économies personnelles. Elles ont créé une communauté autour de cette librairie. » En effet, quand elles ouvrent Violette and Co en 2004, celle-ci est la seule librairie à allier féminisme et lutte LGBT, ce qui, comme le rappelle Léa, était loin d’être une association évidente à cette époque. Aujourd’hui encore, elle est la seule librairie à avoir cette triple dimension. De nombreuses initiatives féministes et LGBT se sont développées depuis 2004 : heureusement ! Les Mots à la Bouche par exemple, est une librairie LGBT dans le 11ème arrondissement de Paris. Un livre et une tasse de thé est une librairie féministe dans le 10ème arrondissement de la capitale.
Malgré toutes ces initiatives, nous peinons encore à trouver des espaces lesbiens. « Il y en a trois » dans Paris me dit Léa avant qu’Olivia n’ajoute « et c’est souvent des lieux festifs aussi », c’est-à-dire centrés autour de l’alcool. Il y a par exemple La Mutinerie, le Bonjour Madame ou encore le Bar’Ouf. Léa conclut : « on répond à une demande parce que nous n’avons pas assez de lieux lesbiens : en 2022 c’est quand même pas normal que les lesbiennes soient encore invisibilisées alors qu’on est la première lettre de LGBT. Il y a eu plein d’initiatives depuis : à Lyon, à Toulouse, à Nice, etc. C’est incroyable et nous on se revendique de cette sororité. On aimerait à terme pouvoir faire une association des librairies féministes de France, pouvoir se réunir une fois par an pour se parler des sorties à venir, des événements à faire… Ce serait vraiment génial ! »

Transmettre l’histoire de la culture lesbienne
« Mais pourquoi ne pas partir de zéro, imaginer totalement un espace nouveau ? », je leur demande naïvement. « C’est une question qu’on nous a souvent posée. On ne voulait pas voir un autre lieu féministe, lesbien, LGBT fermer, on voulait vraiment que ça puisse continuer. On a envie de continuer tout ce que Catherine et Christine ont construit. » répond Olivia, laissant Léa ajouter « sans les générations précédentes, les vieilles lesbiennes, ça se perd. Les lesbiennes des générations avant nous, c’est vraiment des bibliothèques vivantes. C’est aussi pour ça qu’on remercie Christine et Catherine, la transmission qu’elles nous apportent pour qu’on puisse poursuive leur mission et ce qu’elles s’étaient données comme ambition : transmettre cette culture lesbienne. » Elles m’expliquent que « les violettes » comme elles appellent les anciennes propriétaires, les accompagnent dans chaque étape du projet. En discutant avec elles, elles découvrent l’histoire de leur communauté : où allaient les lesbiennes pour danser, pour boire un verre. Quels lieux existaient ? À leurs côtés, elles se rendent compte « à quel point c’est important, de voir qu’on a existé avant. » Rouvrir Violette and Co c’est se souvenir. Se souvenir du courage de Christine et Catherine, de toutes les « vieilles lesbiennes », qui ont lancé des initiatives alors qu’elles étaient incomprises. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque, m’expliquent Olivia et Léa. En 2004, on est loin d’avoir le mariage, on est loin d’avoir l’adoption et le pacs a été extrêmement difficile à obtenir. Le mot féminicide n’existe pas, le mot féministe est celui qu’on ne doit pas prononcer. « Et alors le mot lesbienne je te raconte pas… » ajoute Léa. « Quand elles ont ouvert, ça a été très difficile pour elles. C’est grâce à des initiatives comme elles et tout le travail qu’elles ont fait pour maintenir Violette and Co que pour nous c’est plus facile. Elles ont ouvert la voie. Quand elles ont ouvert la librairie, il n’y avait rien d’autre dans le paysage des librairies parisiennes et françaises qui existait. Pour nous c’est très important de mettre en avant cet aspect-là de la librairie. C’est une histoire qui est importante. C’est extrêmement précieux. » conclue Olivia.

Plus qu’une simple librairie, un lieu de vie
Pour Olivia : « ce n’est pas juste une librairie, on veut un espace plus grand, parce qu’on en a besoin, nos espaces de la communauté LGBT sont toujours très petits. On s’est dit ‘voyons plus grands’. On veut que l’espace café soit un espace modulable, qu’il puisse par la suite accueillir les rencontres de la librairie. Ça aussi c’est un aspect très important de la librairie quand elle réouvrira : des rencontres qui seront organisées, des ateliers d’écriture… On souhaiterait que les murs du café soient un espace d’exposition. Elles en avaient déjà un et c’est une des choses qu’on veut continuer, faire grandir. On aimerait mettre en avant une vitrine de femmes artistes, lesbiennes, LGBT… En terme de continuité : Violette and Co réouvrira comme elle était avant en termes de stock de livres. On y retrouvera la diversité, la quasi-exhaustivité et vraiment la qualité de leur sélection parce qu’on fait cette reconstitution du stock des livres avec elles. Il y aura des sciences humaines, des polars, de la fiction, de la poésie, du théâtre, des livres de littérature généralistes, des revues, des magazines, tout ce qu’elles avaient. »
Léa confirme : « on avait envie d’un lieu qui ne soit pas seulement un lieu de passage, pas seulement un commerce, mais aussi un lieu de communauté, de convivialité, un lieu où les gens allaient pouvoir se retrouver. C’était important pour, notamment parce que des lieux de communauté et de convivialité LGBT à Paris y’en a peu » affirme Léa. Or, les lieux existant actuellement sont surtout à destination des plus âgés, qu’il s’agisse de bars ou de clubs. C’est pourquoi, offrir un lieu aux plus jeunes leur tient particulièrement à cœur. Elles veulent que ce soit un lieu où iels puissent venir acheter un livre, mais aussi s’asseoir à une table, rencontrer des personnes, discuter, oser demander des conseils aux libraires s’iels cherchent de la SF avec une romance lesbienne. C’est pourquoi Elise s’est concentrée sur la reconstitution d’un stock jeunesse et bande dessinée : « elle a reconstitué, avec ses simples connaissances et sa bibliothèque personnelle, les 500 ou 600 titres qu’on va avoir dans ces deux catégories seules. Ça en plus de l’offre que les violettes avaient déjà. Ça nous fait un catalogue de pointe et d’expertise unique, en France et probablement en Europe, dans ce qui se fait autour du féminisme et des cultures LGBT depuis de nombreuses années. »
Pour l’instant, rien n’est joué !
Léa m’explique qu’à l’origine, elles s’étaient « inspirées de comment les salarié·es de Les mots à la bouche, avaient réouvert après leur rachat, parce que c’est aussi une coopérative. Ce sont les salarié·es qui ont racheté à leur patron son fonds de commerce. Ils avaient réussi à rouvrir au bout de six mois, mais ils avaient trouvé un local très facilement. On s’était un peu basées sur leur retro planning à eux, on s’était dit que d’ici le mois de juin, ce serait possible de rouvrir. » Actuellement, elles cherchent toujours un local, qui soit accessible à toustes, notamment aux personnes à mobilité réduite. « C’est ça l’étape la plus importante : trouver un local. On veut qu’il soit de plain-pied. On cherche dans le 11ème, 12ème et 20ème arrondissement. On a du soutien des mairies, qui nous aident dans les recherches. C’est un peu la prochaine grande étape : c’est important d’avoir un local pour pouvoir se projeter, réfléchir au lieu, au nombre de livres qu’on pourra avoir dans la librairie, comment on pourra aménager l’espace café… On a vraiment confiance. On se dit : ça réouvrira. Mais en effet, tant qu’on a pas les 150 000 euros on peut pas rouvrir. Aujourd’hui, c’est impossible d’envisager une réouverture en juin. C’est le local qui bloque. On a un nouvel objectif : ouvrir en septembre, pour la rentrée littéraire. On pense que c’est faisable et atteignable. Pour ça, il faut qu’on trouve un local ce mois-ci, ce qui serait possible. » déclare Olivia. La campagne de financement est divisée en cinq grands paliers. Elle explique « on a pu récupérer qu’une petite partie du stock de la librairie, il y a un énorme travail de reconstitution et de rachat. On a un crowdfunding à 150 000 euros, on sait que ça peut paraître impressionnant mais on est toutes bénévoles, on a l’énergie, on a les contacts mais on a pas d’apport financier : on doit atteindre les 150 000 pour pouvoir envisager de rouvrir. »

C’est pourquoi elles tiennent à rappeler que :
« Rien n’est encore joué. Chaque don compte, même un euro. Pour les gens qui ne peuvent pas participer à la campagne, partagez nos post, relayez autour de vous, parlez-en, suivez-nous sur Instagram. C’est vraiment ça qui va nous permettre de rouvrir Violette and Co. Aidez-nous à trouver un local, si vous avez les compétences et/ou le réseau pour. Hésitez pas à nous contacter pour nous inviter à participer à des événements : on serait ravies de venir présenter le projet. »
Vous pouvez les soutenir en participant à la campagne de financement participatif ici :
https://www.helloasso.com/associations/violette-and-coop
En attendant la réouverture officielle, vous pouvez retrouver le collectif :

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