Dans notre quatrième numéro consacré à la Démocratie, Zoé Maquaire faisait l’éloge des squats, ces lieux dévoyés par nos écrans de télévision.
De nos peurs et jugements
Quand je pensais aux squats, je pensais aux propriétaires avant tout. Je me disais « les pauvres », tout de même. C’est incroyable de se retrouver à la rue, au pied de sa propre maison, expulsé par des squatteurs. On pense à Christian, à Montreuil, dont la maison a été squattée pendant le confinement. On pense à bien d’autres particuliers dont l’histoire tragique a été relayée dans les médias. Quand je songeais aux squats, c’était donc toujours dans un mélange de peur et d’indignation. Et puis, j’ai lu Une fièvre impossible à négocier de Lola Lafon. Elle y raconte sa propre histoire, celle d’une jeune femme ayant subi un viol et qui cherche à tout prix à disparaître aux yeux du monde bien-né, ce monde qui jamais ne la croira. Car l’homme, insoupçonnable dit-elle, est un homme respectable. Elle cherche à fuir ce monde dont les Vérités ignorées la transforment en orage. Elle a trop à dire, et veut crier. Elle découvre alors le milieu militant. Cette découverte salutaire la conduit à emprunter leur chemin et à trouver refuge en leur compagnie dans un squat.
« Au mois de novembre, les Etoiles Noires habitent un immeuble abandonné en retrait dans une petite rue de Paris, dit squat dans Nova Mag. […] Selon les étages, il y a d’autres antifascites, des familles de Maliens avec ou sans papiers, des étudiants « en rupture », puis au dernier étage, un peu seuls, deux garçons pas étudiants. »
Subitement, presque avec surprise, je me suis rendue compte que, contrairement à ce qui est relayé dans les médias, les squatters investissent le plus souvent des lieux laissés à l’abandon. Subitement, je me suis rendue compte que deux types de squats existaient. Il s’agit pour les uns d’habiter sous un toit, pour les autres d’habiter en collectif, loin du lieu de vie traditionnel et individuel, triste, presque. Pour les uns, il est question de survie, pour les autres, d’idéal. Les uns sont des immigrés maliens, des étudiants sans le sou, les autres sont des antifascites. Déjà ma peur vacille. Loin de la colère et de la spoliation, c’est la misère et les rêves qui se dessinent un toit.
« Le soir je rentre nulle part. Nulle part est un endroit glacial et bouillonnant. On cuisine emmitouflés comme des débiles, on discute tard dans nos duvets. On n’arrêtera jamais de rêver encore plus loin que le lendemain. »
La jeune narratrice nous guide au milieu de nos préjugés et navigue au cœur des discussions, des projets, des rêves qui prennent naissance dans ce non-lieu, dans ce lieu qui n’a plus de propriétaire, dont la société ne peut plus s’emparer. De l’intérieur, nos yeux se posent enfin sur ces espaces que nos médias appréhendent toujours de l’extérieur, qu’ils pointent du doigt résolument hors les murs. Pas question d’y entrer. Mais c’est là fermer les yeux sur les rêves du « lendemain » qui s’échauffent dans le froid du béton et la chaleur des idées. Déjà ma peur a disparu et je me questionne. Des rêves, des rêves, quels rêves dans ce froid noir des luttes ?
Les imagineurs : un laboratoire d’idées
Quels sont ces rêves, ces espoirs et ces lendemains ? Un à un, ils égrènent et questionnent nos démocraties.
Autogestion.
« On se réunit tous les mardis dans le hall pour organiser ce qui a trait à l’intendance de la maison, les courses, le ménage commun, l’électricité à pirater sur l’immeuble d’à côté, les tours de garde de nuit pour les tox qu’il faut tenir à distance. »
Anodine, c’est dans cette phrase et cette capacité d’organisation que réside la moindre parcelle de démocratie. Sylvaine Bulle, sociologue du politique dont les travaux portent sur les formes de contestation radicale, souligne l’importance centrale de cette organisation : « L’autogestion rend possible une autosuffisance économique mais aussi démocratique et ce principe correspond là encore à un espace nécessaire en temps de crise ». C’est donc dans l’auto-gestion, même quotidienne, que ces hommes et ces femmes se libèrent de nos modèles démocratiques.
Autonomes, ils démontrent qu’une « auto-organisation est possible » et ainsi que « les formes étatiques de gouvernement et les institutions d’État ne sont pas invincibles ». L’autogestion permet la liberté. Reconstruction. Indépendants de nos démocraties et de ses vérités contestables. C’est dans cette autonomie que prend corps le laboratoire d’idées. Car, libérés, les squatters « peuvent redéfinir leurs normes d’existence, et se reconcevoir [eux]-mêmes », comme le montre Sylvaine Bulle.
Ce billet d’humeur fait partie de notre numéro 4, « Réinventer la Démocratie« , paru en juin 2021.