Episode 1/3 : Transformation du paysage politique : dynamiques démographiques et sociales
En Haute-Savoie, entre Annecy, Genève et Chamonix se trouve la commune de La Roche-sur-Foron. Ville de 11659 âmes, elle connait depuis deux ans un dynamisme politique intense. Les 12 et 19 juin, en sus des élections législatives, rochoises et rochois seront appelés à voter pour le renouvellement du conseil municipal. Quatre à six listes se présenteront parmi lesquelles l’une se réclame du municipalisme. Au cœur d’un territoire historiquement acquis à la droite, la ville de La Roche-sur-Foron est progressivement devenue le terreau de la contestation de la politique des barons, cœur des initiatives participatives et d’un vote de gauche.
Cet article fait partie d’une série de trois articles sur les transformations politiques à La Roche-sur-Foron.
Elus démissionnaires et élections partielles intégrales
Mairie écologiste depuis les élections municipales de 2020, la majorité du maire M. Georget ne cesse de s’effriter depuis deux ans : départs et renoncements. Au début du mois de mars 2022, les neuf élus de l’opposition démissionnent. Par conséquent, les conditions ne sont plus réunies pour que le conseil municipal puisse se tenir. Au moins un tiers des membres du conseil municipal est démissionnaire et il est impossible de les remplacer grâce aux listes constituées en 2020. De fait, des élections municipales dites partielles intégrales se tiendront les 12 et 19 juin. À ces dates, les Rochois voteront à la fois pour élire un député et renouveler la totalité du conseil municipal.
De la droite identitaire aux sensibilités de gauche et écologistes
À ces bouleversements institutionnels, s’ajoutent des changements électoraux majeurs. Dans une commune où les idées et groupes politiques de droite sont hégémoniques depuis 1945, l’élection municipale de 2020 a permis à une liste inscrite sous la nuance « divers écologiste » de ravir le conseil municipal. Cette élection n’est pas une erreur ou une exception : la transformation progressive de l’électorat rochois est structurelle. Dix-huit ans plus tôt, lors de l’élection présidentielle de 2002, c’est M. Le Pen, candidat du Front National qui était arrivé en tête dans la commune avec 23.17% des suffrages exprimés, plus de 6% au-dessus de son score au niveau national. Ses deux concurrents, Jacques Chirac (RPR) et Lionel Jospin (PS) n’obtenant que 16% et 12% des votes des rochois, soit respectivement 4% et 3% de moins que leurs scores nationaux. Vingt ans plus tard, la tendance droitière s’est radicalement inversée. Lors de l’élection présidentielle 2022, MM. Macron (LaREM) et Mélenchon (UP) réunissent 28,5% et 25,5% des voix, soit 1% et 3,5% de plus qu’au niveau national. Mme Le Pen (RN), au contraire, n’atteint que difficilement la barre des 18% dans la commune, bien en-deçà de son score national s’établissant à 23,1%. Sur le temps long, c’est avant tout l’écologie politique qui fait son lit dans la commune haut-savoyarde. En 2019, lors des élections européennes, la liste Europe-Ecologie-les-Verts menée par M. Jadot réunit 13,5% des suffrages exprimés (3e) à l’échelle du pays quand elle en rassemble 18,3% (2e) en Haute-Savoie et 24,5% (1re) à La Roche-sur Foron.

Étonnement et interrogation du personnel politique local
Transformations longues et lentes, ces changements sont perçus tardivement par le personnel politique local. M. Lombard – de la liste municipale La Roche !, issue de l’ex-opposition – s’étonne : « Il y a une vraie question qui s’est posée en 2020 autour de la gauchisation de La Roche, on s’y attendait assez peu. Ensuite, on a été surpris par le fait que ce soit M. Georget qui gagne et qui devienne président de la Communauté de Commune du Pays Rochois (CCPR). Cette impression a été renforcée par les élections européennes puis l’élection présidentielle où Jean-Luc Mélenchon est arrivé 2e au niveau de la commune, voire 1er dans certains bureaux de vote. »
Comment expliquer ce phénomène ? Pour le jeune conseiller municipal, c’est par la démographie qu’il serait possible de le déchiffrer : « J’explique ça par la nouvelle démographie de La Roche, son renouvellement démographique. Il y a de plus en plus de frontaliers [NDLR : des individus habitant en France et travaillant en Suisse] qui s’y installent, des trentenaires, des quarantenaires avec un enfant qui habitent sur les hauts de La Roche. Ça, on ne l’a pas vu venir, c’est leur vote qui modifie la structure politique de La Roche. ». Pour M. Chambourdon – du collectif La Roche Autrement, association politique présentant une liste aux élections municipales de 2022 –, c’est avant tout par les interactions entre la population ancienne de la commune avec les néo-rochois et les jeunes revenus des villes dans lesquelles ils sont partis étudier que l’explication se trouve : « Il y a eu un brassage des populations, il y a eu beaucoup de frontaliers qui sont arrivés avec des origines très différentes. La population se rajeunit, les anciens ne sont pas renouvelés. Les jeunes qui vont faire de longues études ailleurs sont revenus et continuent de revenir. Il y a eu un brassage. Et quand il y a brassage, il y a ouverture des esprits. ».
La démographie insuffisante pour expliquer les transformations d’orientation politique
L’explication la plus plausible à ces transformations politiques serait d’ordre démographique. Pour mieux appréhender ce phénomène, il est important d’établir un parallèle avec des villes témoins servant de base de comparaison. Pour cela, seront étudiées les villes de Bonneville, 12 500 habitants, similaire par sa taille et proche de la commune rochoise, et de Saint-Pierre-en-Faucigny, 6 500 habitants et constituant le tissu urbain qui assure la continuité entre les deux autres villes.
La Roche-sur-Foron est une ville dans laquelle la population a été fortement renouvelée ces vingt dernières années. 83% de la population rochoise a emménagé dans sa résidence principale dans les vingt dernières années et au moins 70% de ces personnes viennent d’une autre commune. Ce renouvellement se retrouve également dans la commune de St Pierre-en-Faucigny qui a mis Mme Le Pen en tête lors du 1er tour de l’élection présidentielle 2022 et ne peut donc constituer le seul facteur explicatif des changements politiques rochois. En ce qui concerne les catégories socio-professionnelles et le niveau de diplôme de La Roche-sur-Foron, de 2008 à 2018, la population de cadres et de professions intermédiaires a augmenté au détriment des ouvriers et des employés. Cela peut s’expliquer par l’accessibilité des villes de Genève et d’Annecy depuis la commune rochoise grâce à des infrastructures de transports routières et ferroviaires faciles d’accès et bien desservies. Ce qui n’est pas observable à Bonneville, ville encore très ouvrière dont la population est faiblement renouvelée. A St Pierre-en-Faucigny, la représentation des CSP est similaire à celle de La Roche-sur-Foron. Pourtant, les habitants de Bonneville votent davantage pour M. Mélenchon que pour Mme Le Pen, contrairement à ceux de St Pierre-en-Faucigny. La représentation socio-professionnelle est, de fait, peu indicative quant à la trajectoire politique des territoires. Le niveau de diplôme augmente dans les trois villes de manière similaire bien que les diplômés de l’enseignement supérieur soient très nombreux à La Roche-sur-Forn ce qui affaiblit le vote Le Pen.
Le seul facteur démographique ne permet pas d’expliquer la transformation politique que connait La Roche-sur-Foron et que ne connaissent pas nécessairement Bonneville et St Pierre-en-Faucigny.
Associations et services, les structures « du lien » au cœur de la transformation politique
Si la démographie n’explique pas ou peu la « gauchisation » de La Roche-sur-Foron, la justification est ailleurs. Celle-là est suggéré par M. Chambourdon. Il suppose que : « Quand ils sont dans une nouvelle ville, les gens ont envie de s’impliquer. Il y a des associations qui naissent. Aujourd’hui, à la BASE [NDLR : la Base d’Action Sociale et Ecologique], je crois qu’il y a dix assos et je ne sais combien qui sont en train d’incuber. Ça n’arrête pas de bouger. Il y a un terreau à La Roche pour la vie associative. Moi, depuis que je suis arrivé, il y a une vingtaine d’années, je vois ça se développer, des projets de monnaie locale, des projets comme Pays Rochois En Transition et puis maintenant, ce mouvement politique [NDLR : La Roche Autrement]. »
Suite à l’élection présidentielle, commentateurs et journalistes ont tenté de trouver les orientations du « vote populaire ». Dans un article d’Alternatives Economiques, Vincent Grimault en suppose l’issue : une partie mineure se dirige vers M. Macron quand deux flux plus importants se répartissent entre Mme Le Pen et M. Mélenchon. Il explique que l’électorat populaire de Mme Le Pen est « souvent en emploi, souvent isolé, peu syndiqué ou intégré dans des collectifs de travail et peu impliqué dans la vie de son territoire, et souvent inquiet pour l’avenir, notamment pour leur travail. ». Le manque d’interaction dans les dynamiques sociales du territoire seraient les plus gros marqueurs du vote pour la droite identitaire. Cette fois, les comparaisons sont plus probantes entre les trois villes. A St Pierre-en-Faucigny, les services, les associations et les entreprises des arts et spectacles sont en nombre bien plus réduit qu’à La Roche-sur-Foron. Un rochois bénéficie de près de 50% de structures « du lien* » de plus qu’un Saint Pierrois. Bonneville se trouve dans un parfait intermédiaire, tout comme sa situation électorale.

Le maillage associatif et la dynamique sociale en ville sont des facteurs clés du vote populaire de gauche. Il est également l’un des facteurs explicatifs le plus important des changements électoraux à La Roche-sur-Foron. Par la richesse de sa vie associative, la concentration de services et le foisonnement d’entreprises culturelles, la ville de La Roche-sur-Foron a vu sa population se transformer politiquement et tendre vers la gauche.
Ces changements d’orientation politique des Rochois ont bouleversé la scène politique institutionnelle et suscité la création d’un mouvement citoyen d’ampleur inédit dans le département. Ils sont à découvrir dans les deux prochains épisodes.
* Structures « du lien » : ici, structures considérées comme permettant l’investissement dans le territoire et facilitant les interactions sociales avec les autres membres de la collectivité.

Par Adrien Desingue
Ressources
Article de presse
Grimault Vincent, Alternatives Economiques, 22 avril 2022, URL : https://www.alternatives-economiques.fr/candidat-de-france-populaire/00103084
Données institutionnelles sur les associations et services des communes
Annuaire Mairie, Bonneville : https://www.annuaire-mairie.fr/ville-bonneville-74.html
Annuaire Mairie, La Roche-sur-Foron : https://www.annuaire-mairie.fr/ville-la-roche-sur-foron.html
Annuaire Mairie, St Pierre-en-Faucigny : https://www.annuaire-mairie.fr/ville-saint-pierre-en-faucigny.html
Données démographiques
Insee, 2018, Dossier complet commune de La Roche-sur-Foron : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-74224#chiffre-cle-3
Insee, 2018, Dossier complet commune de Saint-Pierre-en-Faucigny : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-74250#chiffre-cle-3
Insee, 2018, Dossier complet commune de Bonneville : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-74042


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