A La Roche-sur-Foron, l’appel de la démocratie (3/3)

Episode 3/3 : Redonner le pouvoir au peuple

Alors que La Roche-sur-Foron est traversée par des changements politiques importants, que son conseil municipal s’effrite et s’effondre, une initiative d’un genre nouveau voit le jour. Depuis janvier 2022, l’association La Roche Autrement s’organise pour présenter une liste aux prochaines élections municipales. Leur but : que la décision politique revienne aux citoyens et non à un groupe restreint. Ils se réclament du municipalisme, concept clé du théoricien écologiste et libertaire Murray Bookchin, et comptent bien créer la surprise les 12 et 19 juin.

Cet article fait partie d’une série de trois articles sur les transformations politiques à La Roche-sur-Foron. Le Premier épisode est à retrouver ici et le deuxième ici.

En 2020, lors des élections municipales, des listes citoyennes et participatives ont fleuri à travers la France. La liste La Roche Autrement (LRA) n’est pas originale par sa nature mais par le cadre dans lequel elle s’inscrit. La Roche-sur-Foron est une petite ville – moins de 20 000 habitants – ancrée dans un territoire historiquement acquis à la droite. Or, en 2020, ces initiatives sont davantage apparues dans des terres de gauche ou des villes moyennes et grandes. La liste questionne sur le pourquoi de son existence mais également sur sa viabilité et son intérêt.

La sourde oreille politique à la source de l’engagement

C’est un mouvement qui ne naît pas ex-nihilo. Ces dernières années, une association, Pays Rochois en Transition (PRET), s’active pour créer un mouvement de fond autour de la transformation écologique de la commune de La Roche-sur-Foron. Bien que les deux associations n’aient pas la même vocation, certains membres de la première font partie de la seconde. De plus, les méthodes délibératives ont été transmises de PRET à LRA et sont utilisées dans un but similaire : la transformation politique et écologique de la commune.

M. Chambourdon éclaircit les lignes entre les deux initiatives et remonte aux origines de l’engagement de la liste La Roche Autrement : « LRA a une approche électoraliste quand PRET est centré sur l’action, basé sur le principe des villes en transition. Il y avait le pacte [NDLR : le pacte pour la transition signé en 2020 par le maire sortant M. Georget], il a été rompu. Les ambitions politiques de PRET étaient plus restreintes, se limitant à l’influence et à la négociation entre association et pouvoir politique. C’est maintenant LRA qui est sur cette partie politique et qui va développer cette ambition électoraliste. […] Pour moi c’est clairement un échec de ne pas pouvoir travailler en parallèle, entre associations et le monde politique. C’est ce qui a motivé mon engagement. On se rend compte que pour les politiques, la majorité d’entre eux, le seul intérêt qu’ils ont est particulier, ils n’ont aucune volonté d’intérêt général. Quand tu es du monde associatif, en face, tu as des murs, juste des gens qui n’ont aucune envie. Et tu te retrouves parfois satisfait de recevoir un courrier où ils te disent non. On m’a souvent dit « Si t’es pas content tu n’as qu’a te présenter ». C’est chose faite. Pour détourner un avion, le mieux c’est d’avoir les pieds dedans. »

L’évidence de la participation galvaudée par des incantations sans effet

Toutes les listes s’engagent à mieux intégrer les Rochois mais le terme « participation » est évité. « Le terme de démocratie participative a été galvaudé. On l’entend depuis les années 1980 et tous les vieux partis qui nous rabâchent les oreilles avec leur démocratie participative.» déclare M. Chambourdon. Il est rejoint par M. Lombard, membre de la liste La Roche ! : « Le problème de la démocratie participative c’est que ça devient un terme fourretout puisque toutes les listes s’en sont revendiquées. Tout le monde a le mot démocratie participative à la bouche et pas qu’à La Roche si bien qu’on ne sait plus vraiment ce que ça recouvre. Je ne sais pas si c’est ce qui mobilise. Nous on va parler de propositions, de renouvellement, d’appropriation démocratique. Des termes plus signifiants que démocratie participative qui, au final, ne veut plus dire grand-chose puisque des gens radicalement opposés l’utilisent comme La Roche Autrement et M. Georget qui, pourtant, n’ont pas du tout les mêmes pratiques. Je ne sais pas si c’est ce terme qui va attirer les gens de gauche ».

Mme Grubergroh, de l’association La Roche Autrement, confirme cet écart entre ceux qui s’en réclament et ceux qui l’appliquent, « Notre particularité c’est quand même la démocratie participative qui n’est pas très présente chez les autres. Enfin, avec de réel dispositif ». M. Chambourdon poursuit « Nous ce qu’on a envie de dire, c’est que la démocratie on veut la faire vivre, peu importe le nom et les mots qu’on mettra derrière. Qu’elle vive ! On veut vraiment s’inscrire dans la durée et parler de cette démocratie qu’on appelle vivante et continue et pas être dans l’urgence et la réaction. »

Efficacité et utilité d’un liste délibérative

À la nécessité de réinventer la manière de faire de la politique, les critiques abondent contre la démocratie ouverte et délibérative. M. Lombard questionne la pertinence de telles pratiques à l’échelle d’une commune. « C’est très bien qu’il y ait des tentatives et de démarches qui questionnent la démocratie. Maintenant, je pense que dans la période d’instabilité récente, les Rochois ont besoin d’autre chose. Ils ont besoin d’avoir des projets vitaux, une maison de santé, une crèche. Ce sont des sujets qui doivent aller vite, qui font consensus et qui ne peuvent pas rentrer dans une démarche à mon sens de démocratie horizontale et de vote par consensus. Leur méthode est très démocratique mais très peu efficiente. A mon sens, la pratique démocratique ne peut se passer d’efficacité sous peine d’être décrédibilisée et de perdre ce pour quoi elle est née. »

Aux sceptiques, M. Chambourdon lance une invitation à venir à leurs réunions pendant un mois. « Nous sommes une synthèse de la gouvernance partagée, de la prise de décision au consentement et de la gestion en cercle. On fonctionnait déjà comme ça dans certaines assos et on a sorti plus de projets avec cette gouvernance dans ces associations que dans une mairie, tout en fonctionnant avec 3000€ de budget par an alors qu’eux en ont plusieurs millions. Je comprends que les gens qui ne connaissent pas aient peur et d’autant plus quand ils ont vu tout ce qu’on a pu faire par le passé. »

Qui participe ?

À cela s’ajoutent les critiques concernant la hiérarchie implicite derrière une telle initiative. M. Lombard reproche au mouvement d’oublier une partie des Rochois. « Il n’y a pas de mouvement de fond qui se crée dans ce mouvement délibératif. Les personnes qui portent un intérêt au projet ont une sociologie particulière, sûrement des frontaliers avec un capital culturel important. Tous les autres, ce n’est pas ça qu’ils attendent en termes de pratiques démocratiques. »

Le problème est connu et les protagonistes du mouvement municipaliste l’ont pleinement intégré. Ils n’ont de cesse d’expérimenter et de chercher des moyens qui permettent à ceux qui sont désintéressés ou éloignés de la politique de s’y intégrer et d’y participer. « Beaucoup de citoyens se sentent illégitimes à participer, alors on cherche à élargir le nombre qui serait prêt à participer. C’est pourquoi on a mis en place un tirage au sort. On a tiré au sort 350 électeurs sur les listes électorales [NDLR : 5% des individus inscrits dans la commune] et on leur a adressé un courrier pour voir s’ils voulaient se joindre à nous. Par extension, nous réserverons 5 places sur la liste sur les 33 pour des gens tirés au sort et qui se reconnaissent dans nos valeurs. » déclare M. Chambourdon avant que Mme Grubengroh complète : « Pour aller chercher les personnes plus marginalisées, on se déplace. C’est nous qui allons chercher les gens plutôt que l’inverse, on va sur les places publiques, on parle aux gens, on les écoute et on les incite à nous rejoindre. On ne peut pas non plus obliger les gens à participer donc il faut les rendre légitime en les invitant et en allant les chercher. »

Réunion publique du 9 avril 2022 ayant pour objectif la définition des principales mesures du programme de la liste LRA – © Yves Mino

Longue vie à la démocratie !

Pour lier la parole aux actes, le collectif ne voit qu’une solution : faire vivre cette démocratie délibérative au jour le jour, qu’elle s’implante et dépasse les échéances électorales. Mme Grubergroh donne le ton « Pour nous la démocratie ne s’arrête pas à l’élection. Il faut remettre dans la tête des citoyens que ce sont eux qui décident ! On a commencé en janvier, ça ne fait que quatre, cinq mois et on ne va pas s’arrêter ici. »

M. Chambourdon rejoint sa concitoyenne et pointe le manque de réflexion des autres listes sur ces questions : « On ne doit pas se borner aux élections. Notre objectif, c’est de faire vivre la démocratie et la politique entre les élections. Et c’est ce qui nous distingue de ceux qui s’en réclament en accordant des sujets à la marge ou en s’y prenant à la va vite. « On fera un budget participatif. » « On fera un conseil de quartier. » D’accord mais c’est quoi un quartier ? Est-ce qu’ils ont réfléchi à ces choses-là ? Est-ce que c’est une zone autour d’une ressource ou d’une infrastructure, est-ce que c’est en fonction du bâti autour de trois résidences, autour de Broys [NDLR : une large zone de la commune] ? »

Pour illustrer son objectif il déclare que « Si on venait à être élus, nous mettrions en place un conseil participatif. C’est quelque chose qui manque à tous les acteurs du territoire. C’est un équivalent de la Convention Citoyenne pour le Climat sauf qu’elle serait appliquée à une thématique locale. Par exemple, on veut réduire de 50% nos déchets, comment on fait ? Ce n’est pas nous qui prenons la décision dans notre coin avec quelques techniciens. Cela reviendrait au conseil participatif. Il y aurait trois temps. Un temps de formation où des experts viendraient pour expliquer tenants et aboutissants avec évidemment une pluralité de visions. Un 2e temps où il y aurait des échanges, des débats, un moment où le gens se forgent leurs opinions. Et puis, il y aurait un 3e temps où des propositions seraient formulées de telle sorte que les élus puissent prendre une décision éclairée. Cette inclusion et cette vivification de la démocratie, c’est la seule chose qu’on recherche. » Charge désormais à la liste de remporter l’élection pour le démontrer.

Les élections municipales partielles intégrales auront lieu les 12 et 19 juin. D’ici là, les quatre listes auront à charge de remporter le cœur, mais surtout le vote, des Rochoises et des Rochois pour mettre en œuvre les propositions de transformation qu’ils portent. La ville deviendra-t-elle un laboratoire de la démocratie délibérative ? La liste du maire sortant réussira-t-elle finalement à se maintenir ? Le collectif La Roche ! réussira-t-il sa politique efficace d’aménagement de la ville et de la vie des rochois ?

Seuls les citoyens auront le pouvoir d’en décider.

Par Adrien Desingue

Atelier participatif mené par les membres de la liste La Roche Autrement – © Yves Mino

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