la Bible de l’Assassin (2)

Le bar

Une jeune femme plus loin. Je la fixe. Elle lui ressemble, ses cheveux bruns et souples, son nez, ses yeux noirs, sa bouche… Elle lui ressemble trop, beaucoup trop. Je crache mon mégot en chute libre dans l’eau grise. Elle lui ressemble trop. Mes dents grincent, ma gorge se serre. Elle ne devrait pas être là. Ses cheveux bruns. Mes poings se serrent. Elle est seule et innocente. Je me mords les lèvres jusqu’au sang bouillonnant. Elle n’aurait pas dû être là. Son corps, ses formes, ses seins, ses cuisses dans la grisaille. Je passe ma langue sur les gouttes de sang qui perlent sur ma lèvre inférieure. Elle ferait mieux de partir tout de suite. On dirait elle.

Je me lève brusquement, empli d’une fièvre de rage incommensurable qui prend aux tripes, la pluie fine de l’Atlantique ruisselle sur mon visage. Je n’ai rien sur moi, si ce n’est qun paquet de clope détrempé avec une seule et dernière blonde, un Zippo en argent qui m’a coûté la peau du cul, et un minable couteau suisse rouillé à vous donner la gangrène. Minable. Comme moi, comme elle qui ose lui ressembler. Être là. La gorge nouée, je ne contrôle aucun geste, je ne respire plus, je l’approche comme un gentleman avec la conviction qu’elle est une envoyée du Diable pour que je commence cette vie interminable de soupirs douloureux. Je lui plante dans l’artère vitale, les infos à la télé locale parleront de massacre psychopathe. Je ne suis plus moi. Je la cisaille. Plusieurs fois, même. Empreint de folie, je ne peux arrêter mes gestes brusques que je ne me connaissais pas, qui me terrifient et me soulagent.

Un coup pour chaque déception de ma petite vie. Pour chaque blessure, chaque abandon et chaque larme. Son sang coule au rythme de son cœur. Et du mien, qui court et qui s’arrête. Elle me regarde avec des yeux suppliants d’innocence et d’interrogations, par terre en position fœtale, tendue de douleurs, les doigts crispés, les dents serrées. Je la regarde mourir. La surplombant de tout mon pathétisme. Je la regarde dans les yeux. Je crie. Je hurle, je l’insulte. Tu m’as détruit, toi et les autres. Vous êtes tous des raclures, des monstres hypocrites et cruels qui ne méritent pas de vivre en ce bas monde plein de haine. Barge. Ça ne dure pas très longtemps, mais un long moment. Aux infos locales, ils diront que je suis un fou furieux, un psychopathe. En liberté, inconnu, et prenez vos précautions dans le village, diront-ils. J’ai fumé ma dernière clope sur elle. Ils en retrouveront les cendres. Mes cendres, voilà ce qu’elle mérite, c’est tout. Et moi, ses cheveux. Elle paiera, ils paieront de m’avoir mis au monde pour me faire souffrir. Et je suis en fuite.

Où j’allais ? Je n’en sais rien. Qui je suis ? Je suis perdu. Je ne sais pas qui je suis, plus. Rien de ce qu’on dira de moi à la télé est vrai. Je n’ai pas tué de sang-froid, je ne me suis pas enfui comme un lâche, je ne suis pas encore fou. Ne lui en déplaise. Je ne ressemble pas à ces tueurs en séries des émissions américaines. Je n’ai rien de classe, de beau. Je pisse de la bière et crache du rhum. Rien d’extraordinaire. Pourtant. J’entre dans un bar un peu miteux et noir, qui sent la fumée chaude et les haleines alcoolisées, rempli de personnes suspicieuses dans une atmosphère on ne peut plus cauteleuse, crachotant de vieilles musiques des années 80. Le genre d’endroit oublié dans une ruelle sombre d’une ville sombre. Le genre d’endroit où le crime semble plus courant que de se brosser les dents, même si j’avais grand doute que la plupart des personnes dans ce bar ne se brosse les chicots.

  • Un Santa Teresa s’il vous plaît.

Le barman semblait être un trans’ d’une quarantaine d’année, tellement trans’ que je ne suis même pas certain que, malheureusement, cela puisse être légal.

Je le bus d’une traite et en redemandai un autre.

  • Tu vas déposer une belle petite galette, couillon.

Je tourne ma tête vers la voix. Moi ? Un couillon ? Il n’a pas vu sa gueule, lui.

  • Enchanté, ravi de te rencontrer ! “ ose-t-il avec un trop grand sourire de dents trop blanches, et une main trop chaleureuse tendue vers moi. Je la regarde de manière dédaigneuse, si j’avais eu les couilles ne serait-ce que deux secondes, je n’aurais pas hésité à cracher dessus, ou à lui couper d’une traite. Il continuait de me parler, à mon plus grand désespoir. Pourquoi nous menace-t-on d’enfer quand il existe des personnes comme lui ?
  • T’as dû faire une sacrée connerie pour être dans cet état… T’as la tête d’un meurtrier, dit-il en s’esclaffant. Boris ! Mets-moi deux Pastis !
  • Qui te dit que je n’en suis pas un ? dis-je sans regarder sa tête de tocard. Je ne veux pas de Pastis.
  • Cool ! Alors comment c’est ton nom de méchant ?

Je renifle, méprisant.

  • Moi c’est Philastère. Il se penche vers moi et m’annonce d’un air complice. Phil, pour les intimes.” Agrémenté d’un clin d’œil.

Sérieux ? D’où il sort, celui-là ? Peut-être dois-je être puni pour ce que j’ai fait, mais cela semble tout de même exagéré, en plus de la police à mes trousses.

  • Boris ? C’est ça ton prénom ? l’interpelai-je tandis qu’il posait les pastis devant nous. Il est à toi, ce con ?
  • J’te le laisse volontiers, me répond le barman.

Je marmonne ma mauvaise humeur, suffisamment fort cependant pour qu’il m’entende. En plus de ça, la musique de la vieille stéréo commence à me trotter dans la tête de façon fort accablante, ce qui m’irrite d’autant plus. Quelle belle journée de merde.

Par Coline Minaud-Lehmann

Illustration d’Héloïse Braisaz

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